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Défense

Le BEA-E fait la lumière sur une éjection accidentelle à bord d’un Rafale

Published by
Frédéric Lert

Le 20 mars 2019, à Saint-Dizier, un passager civil (64 ans) s’éjecte d’un Rafale, 30 secondes après le lâcher des freins. Sans raison apparente. Parce que son siège éjectable n’a pas fonctionné, le pilote réussit à ramener l’avion. L’enquête sans concession du BEAD-E a permis de reconstituer l’enchainement étonnant des événements. Une remarquable transparence.

L’affaire avait fait grand bruit, et pas seulement à la verticale de la BA 113 : un civil, embarqué en place arrière d’un Rafale B pour un vol de familiarisation, s’était retrouvé suspendu à son parachute quelques secondes seulement après le décollage. Par mesure de précaution, et devant la bizarrerie de l’affaire, une partie de la flotte de Rafale avait d’ailleurs été brièvement interdite de vol. Un an plus tard, le Bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’état (BEA-E, anciennement BEAD-Air) remet son rapport, aussi fouillé qu’intéressant.

Le dysfonctionnement de l’éjection permet de sauver l’avion

Le Rafale n°358 (codé 4-FY) de l’Escadron de Transformation Rafale (ETR) 3/4  Aquitaine fait partie d’une patrouille de trois avions qui décolle à 12h50 pour une mission d’entrainement. L’éjection a lieu moins de 30 secondes après le lâcher des freins.

Deux configurations d’éjection sont possibles sur le Rafale biplace : départ séquencé des deux sièges à partir du déclenchement de l’éjection d’un seul d’entre eux. Ou bien départ non séquencé, chaque poste déclenchant l’éjection de son siège. C’est la première position qui a été sélectionnée sur l’avion pour ce vol et l’éjection de la place arrière aurait dû faire également partir le siège avant.

L’avion de retour sur terre, ramené par son pilote avec beaucoup de sang-froid. Les deux verrières ont explosé mais le siège avant n’est pas parti. © BEA-E

Les deux verrières sont instantanément découpées par leur cordon explosif mais, coïncidence extraordinaire, un dysfonctionnement fait que le siège avant (un Martin Baker Mk-F16F) ne part pas. L’analyse de l’avion montrera que le dysfonctionnement vient d’un composant pyrotechnique défectueux dans le boitier relais devant coordonner le départ des deux sièges. Toujours est-il que cette situation permet au pilote, commandant en second de l’ETR, de rester aux commandes et de ramener l’avion au sol, sans autre dommage.

L’éjection provoquée par le passager

L’avion est pratiquement neuf, il ne compte que 49 heures de vol et son entretien s’est fait selon les directives en vigueur. Les informations très précises issues de l’enregistreur embarqué montrent que l’éjection survient dans une phase de vol sous facteur de charge négatif (-0,63 g) faisant suite à une phase sous facteur de charge positif (entre 3,5 et 5 g) du au décollage à forte pente.

L’enquête permet de retrouver des fibres en provenance des gants portés par le passager sur la poignée d’éjection, ce qui confirme que le départ du siège a été provoqué par une action du passager. Celui-ci a perdu son casque dans l’éjection : la jugulaire n’était pas attachée et le casque n’était retenu que par le système d’attache du masque à oxygène par ailleurs mal ajusté.

L’éjection photographiée par un témoin. Le passager était en situation de stress… Une chance qu’il n’ait pas fait de crise cardiaque pendant l’éjection ! © BEA-E

Une action involontaire lourde de conséquences

Le passager, 64 ans, responsable des équipes d’essais au sein d’une société d’armement, 1m65 pour 73 kg, n’a jamais volé sur avion militaire. Il a obtenu son aptitude médicale spécifique à l’embarquement sur un avion équipé d’un siège éjectable le matin même. Il a ensuite été briefé sur le fonctionnement du siège et les systèmes de sécurité.

Le rapport rejette l’hypothèse d’une action volontaire sur la poignée d’éjection par le passager. Il rejette également l’hypothèse d’une perte de conscience soudaine et temporaire : le temps d’exposition très bref à l’accélération supérieure à 3g la rend très improbable.

Il reste alors l’hypothèse de l’activation involontaire de la poignée d’éjection : le rapport du BAE-E souligne le haut niveau de stress du passager, avec notamment la tachycardie enregistrée par sa montre connectée. Entre le départ du point de stationnement et l’éjection, la fréquence cardiaque du passager évolue entre 120 et 145 battements par minute ! « Le passage d’une hypergravité à une gravitée inversée a entrainé des réactions physiologiques et cognitives inattendues pour le passager pour qui c’était le premier vol en avion militaire » explique le rapport, qui précise ensuite :  « La combinaison des effets successifs d’un facteur de charge positif et négatif (…) peut expliquer que le passager ait tiré de façon involontaire la poignée d’éjection afin de s’accrocher à son siège et de contrer la sensation d’élévation et de montée dans les bretelles (…) L’action involontaire du passager sur la poignée d’éjection est liée à un défaut de compréhension et de préparation à certains effets inhérents au vol en avion de chasse ».

Les paramètres enregistrés par l’avion, du début du roulage jusqu’à l’éjection. Moins de 40 secondes au total. © BEA-E

Une surprise qui tourne mal

Le rapport conclut en mettant le doigt là où ça fait vraiment mal : « les résultats des expertises montrent que les causes de l’éjection ne relèvent pas du domaine technique ni du domaine environnemental : les facteurs organisationnels et humains sont donc prépondérants ». Et l’on apprend que le vol a été organisé par des collègues du passager (certaines sources évoquent un cadeau de départ à la retraite) sans l’en avertir.

Celui-ci « n’a jamais fait état d’une envie de réaliser ce type de vol (…). La volonté de conserver la surprise jusqu’au moment du vol a eu pour conséquence de réduire au maximum les délais de chaque étape de préparation au vol (…). La pression sociale de l’entreprise, représentée par un nombre important de collègues présents et notamment un ancien pilote de l’Armée de l’air à l’origine du vol, a empêché tout refus ».

Ce rapport du BEA-E est une fois de plus très édifiant et l’on ne saurait trop conseiller la lecture in extenso des 40 pages qui le composent.

Frédéric Lert

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une trentaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • L'arrêt de la construction de l'A-380 marque que le choix du hub to hub était équivoque . Déjà en 1985 les ETOPS (temps de vol avec un moteur en panne était de 180 mn ) .Un B-767 d'American joignait déjà New- York à Lyon et retour . Le point à point retenu par Boeing s'est avéré préférable avec les gros biréacteurs plus économiques et une fiabilité satisfaisante des moteurs . Pourquoi les décideurs d'AIRBUS n'ont-ils pas repris la formule très réussie de la dualité A330/A340 qui a abouti à pérenniser la chaîne d'assemblage A330 . Un A380 raccourci avec des GE 90 distance franchissable diminuée et matériaux composites aurait pu concurrencer le B-777-800 . Heureusement les A-350 900 & 1000 ont repris en partie ce créneau .

  • Qu'est ce qui a amené un civil à être passager de cet avion ? Il y a des procédures qui n'ont pas été respectés !

    • Lorsque l'on connaît l'aptitude physique qu'il faut avoir pour voler dans un avion de chasse , je ne comprends toujours pas pourquoi on autorise un homme de 64 ans à faire un vol dans ce genre de machine ou le moindre changement de trajectoire engendre au moins 3 à 4 g . Il faut que l'organisme suive et ce n'est pas pour rien que les pilotes sont jeunes et font pas mal de sport , un vieillard de plus de 45 ans n'a pas sa place dans un chasseur .

  • Ces vols ont toujours existés depuis les premiers avions d'arme de pointe version biplace :LE MirageIIIB à Dijon ,les 2 premiers à ma connaissance ,Jacques Santi et
    Christian Marin alias Tanguy et Laverdure ,là l’immersion avait duré plusieurs semaines
    et l'Adjudant (tiens un sous-off.) Gonnet avait soigné son pax le grand escorgriffe ainsi que le pistard;
    ensuite de nombreux ministres: Robert Galley , J.Chirac à St Dizier en Jaguar ....
    la série des rencontres pilotes Matra (tiens déja ? ) - 2/2 cote d'or à l'occasion de courses auto organisées sur la BA102 :Pescarolo ,Beltoise ,Cevert ....
    Série poursuivie sur la pointe de diamant à Orange et à Reims sur Mirage F1B.
    Les journalistes régionaux ,en place AR d'un IIIB avec le Cdt Rey et un J du bien public. Puis la PAF qui se découvre une vocation :Kily ,son altesse S. ,Veronique ..... ,
    Alain et Michel D. ,Hulot pas solide ...
    L'AA comme le reste éprouve le besoin de "communiquer" et c'est pas une grosse facture carburant finalement;
    pour finir certains médaillés sportifs ont eu leur tour de manège :à Tours c'est Catherine Maunoury qui d'après l'article Aviasport alla cherché le gros taux de roulis
    aux ailerons ;le comble aurait été d'offrir un back-seat à Renaud après son titre ! pensées .

    • Certes, mais tous les exemples cités étaient des vols "adaptés" comme un simple baptême de l'air d'aéroclub en quelque sorte.

      Dans le cas présent le pauvre pax s'est trouvé à bord quasiment à son corps défendant et dans le cadre d'un vol opérationnel....

  • Ne connaissant rien au fonctionnement des sièges éjectables, je me pose une question:
    Le pilote pilotant normalement son avion, pieds sur les palonniers, non prévenu de l'éjection surprise et si tout avait fonctionné normalement, n'aurait-il pas eu les jambes arrachées par le tableau de bord lors de l'éjection?

    La perte d'un Rafale et la mort d'un pilote opérationnel, compte tenu des circonstances douteuses de ce vol, ça aurait fait très "cher" le baptême de l'air forcé d'un civil, non?

    • Les sièges sont équipés d'un rappel de jambes qui plaque automatiquement les jambes entre elles pour éviter l'écartèlement.

  • Il faut chercher dans les étages supérieurs de l'état-major de l'Armée de l'air, qui a autorisé ce vol.… en pensant bien que cela arrangerait sa promesse d'embauche au sein de la société de l'éjecté, une fois à la retraite. Ce n'est pas plus compliqué que ça - et beaucoup de décisions, dans d'autres domaines, s'expliquent malheureusement de façon analogue.

    • Ou pour être un peu moins dans le billard à 3 bandes, pour ne pas dire se terrer dans le complot permanent...
      On peut imaginer plus simple : l'équipe (fournisseur et client) ont voulu faire un cadeau à un ingénieur apprécié, qui a fait sa carrière dans l'aéro militaire et qui va bientôt prendre sa retraite...

      C'est pas possible de penser normal pour une fois ?
      Même si cette aventure se termine bien, les protagonistes sont assez matures pour en tirer les conséquences.

      J'imagine le retour du pilote, à la Jack Krine, l'écharpe au vent, le casque en cuir et lunettes cromwell, le sourire aux moustiques poser les roues, ... en Rafale !
      Une histoire taillée pour B. Chabbert, dans quelques années.

      • Oh la la l'exemple du moustachu,l'écharpe au vent ,les cromwell sur le front n'est pas l'exemple à suivre chez les gens sérieux de l'aviation , mais plutôt une posture de bande dessinée et de bon client pour les médias.

      • Je serais curieux de connaître l'avis du pilote du Rafale sur votre commentaire badin..... Pas sûr qu’il partage votre insouciance et votre légèreté !

  • Histoire digne de Tanguy et Laverdure! Et conforme a la réputation des pilotes d'être amateurs de blagues... Mais la ils ont quand même accumulés les écarts au règlement. heureusement grâce a la qualité des équipements et du personnel, ça finit bien mais il y a du avoir une sévère remontée de bretelles a la base!!

    A noter que cette incident aura permis de mettre en évidence un défaut technique du système d'éjection suite a une modification technique mal pensée

    Histoire a éviter mais tout de même digne des bars d'escadrille

    • C'est assez paradoxal de dire que "grâce à la qualité des équipements ...... ça finit bien" et plus loin que l'histoire aura permis de mettre en évidence un défaut technique", non?

      Heureusement, ça a permis d'économiser 70m d'€...... mais ça reste un coup de bol alimenté par une défaillance technique et la dextérité du pilote qui a pu en bénéficier!

  • Monsieur tout le monde ne peut pas voler sur un avion de Chasse!
    Il faudra que l'Armée de L'Air finisse par comprendre!
    C'est un environnement hostile, certainement pas fait pour pour des touristes!

  • A ce niveau de technologie ,cet amateurisme glace le sang. Mais bon ils ne sont pas les seuls…Y'a 5/6 semaines on te disait (les pontes médicaux et les politiques): "Bah les masques" et depuis 3 jours c'est "oh les masques").
    Va comprendre Charles!

  • Au delà de tous les commentaires et considérations plus ou moins justifiés le rapport du BEA est extrêmement intéressant en ce qu'il témoigne effectivement, d'une part, de la qualité des techniciens qui l'ont rédigé et de sa complétude, et d'autre part de la volonté de transparence -ce n'est pas coutume, loin s'en faut- de la Grande Muette.
    Il est vrai aussi que l'enquête a été grandement facilitée par le fait que le CdB ait pu poser l'appareil intact grâce au dysfonctionnement d'une partie du système d'éjection.

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