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Défense

Le Charles de Gaulle remonte sur scène

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Frédéric Lert

La durée de vie d’un porte-avions se compte en décennies, à condition de renouveler périodiquement son combustible nucléaire, de moderniser ses systèmes et d’investir sans cesse dans son entretien courant. Autant d’opérations réunies dans l’Entretien Technique Majeur (ETM) dont vient de bénéficier le Charles de Gaulle. Le navire est prêt désormais à dix nouvelles années d’opérations quasi ininterrompues. Embarquement pour un état des lieux.

Le premier ETM a eu lieu en 2008, une dizaine d’années après que le bateau eu commencé à vivre. Le second, l’ETM2, vient de se terminer en septembre dernier. Depuis, le navire est en phase de remontée en puissance, en symbiose avec les aéronefs du Groupe Aérien Embarqué (GAé).

18 mois en cale sèche

L’ETM2 qui avait débuté en janvier 2017 a donc duré 18 mois, conformément aux prévisions. 18 mois de travail en cale sèche dans le bassin Vauban de Toulon, qui a vu la conduite simultanée d’une myriade de chantiers. « En plus des travaux d’entretien classiques, le rendez-vous de 2017-2018 était spécial car il s’agissait également d’une refonte à mi-vie » résume le commandant adjoint du navire.

Le prochain et ultime ETM aura lieu en 2028, avec un retrait de service du navire prévu pour 2038.

Opération à cœur ouvert

Le budget total de l’ETM2 s’est élevé à 1,3 milliards d’euros. Pourtant, quand on parcourt les échappées et les coursives, le hangar et le pont d’envol, aucune transformation profonde ne saute au visage. Le Charles de Gaulle cache bien son jeu, puisque 200.000 tâches distinctes ont été réalisées pendant les 18 mois de travaux, des plus simples au plus complexes.

Un chiffre résume l’ampleur du chantier : il a fallu ouvrir 80 brèches dans le bateau pour faire passer des équipements impossible à déplacer autrement. L’opération la plus spectaculaire a porté sur l’entretien des deux chaufferies nucléaires K15 et le remplacement de leur combustible. Une véritable opération à cœur ouvert dont on distingue les cicatrices sur le plancher du hangar, sous le pont d’envol : à l’aplomb de chaque réacteur, une ouverture circulaire généreusement boulonnée a permis le passage des barres de combustibles.

Une nouvelle autonomie de dix ans

Le pont a été ouvert, les barres « consommées » ont été sorties, les neuves ont pris leur place. Le tout a transité ensuite par les ascenseurs latéraux. Autour des brèches, des préfabriqués blindés isolaient le chantier comme s’il s’était agi d’une centrale EDF classique. Pendant l’échange, les deux cuves ont été inspectées et nettoyées par un robot.

Les travaux terminés, les brèches ont été refermées et boulonnées, le sol gratté et une peinture spéciale appliquée pour éviter tout risque de pollution. L’installation de protection a été démontée et le hangar est redevenue une zone publique. Avec un cœur neuf, le Charles de Gaulle repart avec une autonomie énergétique de dix ans, à raison d’une centaine de jours de mer par an.

Autonomie et régénération

Le passage d’une flotte de chasseurs 100% Rafale a également généré de nombreux travaux de modifications des installations aéronautiques. Le retrait des SEM s’est traduit par le débarquement de tous les équipements de maintenance qui leur étaient spécifiques. A l’inverse, le passage à 24 Rafale embarqués, et donc 48 réacteurs à entretenir, se traduira à l’avenir par une activité accrue de l’atelier moteurs.

Un troisième banc de « démodulation » (démontage en modules) des réacteurs M88 a été créé. « Si on se compare aux porte-avions américains, la marine française a tendance a emporter moins de pièces de rechange et à plus compter sur sa capacité de régénération » explique un officier mécanicien. « En quatre mois d’opération en mer, on va régénérer 4.000 équipements, ce qui est équivalent peu ou prou à un flux logistique d’une douzaine d’A400M. Sur cette même période, on va également passer en atelier un moteur tous les trois jours. Pendant la mission Arromanche 3 en 2016, nous étions partis avec treize M88 en rechange. Au final, nous en avons « consommé » seulement trois en cent jours d’opérations aériennes »

Rénovation du sol au plafond…

L’ETM2 a également été l’occasion de modifier les soutes à munitions et de l’adapter au tout Rafale. Certains armements ont disparu avec le SEM : missile AS30L, GBU-49, bombe de 125 kg. A l’inverse, les soutes ont été aménagées pour recevoir le missile Meteor qui équipera le Rafale au standard F3R.

L’ETM2 coincide également avec l’intégration poussée du NH90 dans le groupe aérien. L’hélicoptère sera désormais utilisé comme « snooper » (littéralement « fouineur ») grâce à son radar et l’installation technique à bord s’est étoffée pour mieux le recevoir. Un palan trois axes pour la dépose des moteurs a notamment été installé.

Le navire lui-même a été l’objet de nombreux soins. Les automates de conduite on été modernisés, le système dynamique de stabilisation, essentiel pour la bonne marche de l’activité aérienne, a été rénové. Un nouveau logiciel de calcul de stabilité a été implémenté : il permettra notamment de mieux prendre en compte des voies d’eau pour préserver l’équilibre du navire.

L’ancien miroir d’appontage OP3, qui avait plus de 40 ans et avait été hérité du Clemenceau, a été remplacé par le système IFLOLS. Le revêtement du pont a été refait sur les deux tiers de sa longueur ainsi que sur les ascenseurs. Une des deux cuisines a été entièrement refaite et les unités de réfrigération changées. Les bouilleurs d’eau de mer, qui permettent de produire 120 tonnes d’eau douce par jour, ont été visités.

Mieux traiter l’information

A côté de ces grosses pièces, l’ATM2 a également permis de traiter différentes obsolescences en renforçant particulièrement les équipements de veille et de surveillance : le système de combat a été rénové avec l’installation d’un nouveau radar tridimensionnel de veille air et de désignation de cible Thales SMART-S apportant des portées en forte hausse pour la détection d’avions, de missiles ou de bâtiments de surface.

Les radars de navigation ont été remplacés par des modèles plus modernes et le bateau a reçu un système de veille optronique EOMS NG de Safran, permettant la veille et la poursuite infrarouge. L’EOMS NG a également été complété par le système Artemis de Thales, assurant une vision panoramique, capable de détecter et suivre simultanément jusqu’à 200 cibles de petite taille sur 360° autour du bateau.

400 km de fibre optique et table tactile

Près de 400 km de fibre optique ont été installés en remplacement des traditionnels fils de cuivre et le Central Opérations (CO) a été complètement refondu. Dans ce qui constitue le centre nerveux du navire, les écrans plats ont remplacé les tubes cathodiques sur les consoles de travail. « Du plug and play, facile à remplacer en cas de dégât » explique le capitaine de frégate responsable du groupement opération.

Quelques écrans géants ont été ajoutés sur les parois du local et, c’est une première pour un bâtiment de la marine nationale, une table tactile est également en expérimentation. Encore plus discret et pourtant essentiel, les serveurs du bateau ont été rénovés. Le Charles de Gaulle peut communiquer aujourd’hui par liaison de données L11 et L16 et il pourra recevoir en temps et heures la liaison L22. Toutes les données recueillies convergent dans le système de combat pour y être fusionnées. Elle peuvent ensuite être disséminées vers les différents utilisateurs du CO.

Le Charle de Gaule à l’ère de la cyber menace

Pour protéger le tout, le bateau s’est doté de deux centres de surveillance « cyber » à bord, avec une capacité de restauration des réseaux et des systèmes de secours. Une dizaine de spécialistes sont chaque jour sur le pont, ou plutôt sous le pont, pour assurer la bonne marche de ce qui constitue le système nerveux des navires modernes.

La guerre moderne ne se joue plus seulement autour des navires, elle s’est invitée au cœur de leur fonctionnement et un bon service cyber est aujourd’hui aussi important sinon plus qu’une batterie de missiles…

Frédéric Lert

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une trentaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • Bonjour
    Quid des turbines aussi : General Electric étant au bord de la faillite .
    Ce n'est pas nouveau GE en 2014 étant déjà au bord de gros problèmes au moment de la vente de Alstom se lançait dans une frénétique vague d'achats d'entreprises pour essayer de stabiliser sa position chancelante .

    Pour le moins GE n'était pas un acheteur fiable pour une entreprise stratégique comme Alstom "énergie" fabricant de nos turbines de centrales nucléaires , porte avions et sous marins du même nom .
    Pas top l'indépendance après cela !!!!!

    Vente qui s'est faite avec l'accord "éclairé" d'un certain Emmanuel Macron alors secrétaire adjoint de l'Elysée pour les questions économiques , ayant commandé une étude sur la vente de Alstom à GE pour un montant de 300000€ ...... sans en avertir un certain Arnaud Montebourg ministre de l'économie à l'époque .
    Le tout fait en osmose avec de grandes banques d'affaires . Déjà !

    Donc si on se fâche avec les USA ou que notre politique leur déplait , au fur et à mesure des pannes ou de l'usure , fini les centrale nucléaires , fini le porte avions et sous marins nucléaires .......
    Merci ! Nous sommes indépendants !
    Salutations

  • Quid de la souveraineté nationale concernant la révision des turbines de fabrication ex-Alstrom, à présent General Electric?

    • Bonjour Tallois
      Après retraitement à la Hague les déchets "des déchets" seront enterrés sur la commune de Bure dans "le trou sans danger" de la CIGEO .
      Vous savez , ces galerie de mine creusées dans une zone stable et étanche.
      Pas tout à fait étanche comme on veut nous le faire croire car des puits "d'aération" son prévus pour relâcher dans l'atmosphère les gaz radioactifs issus des désintégrations nucléaires des "colis" entreposés .
      En prime certains colis sont combustibles avec entre autre du bitume .
      Pour info dans les gaz relâchés il y a de l'hydrogène ...... ça brule bien l'hydrogène et si le feu se communique à toutes les galeries je ne vous fait pas un dessin car il serait trop radioactif !
      Je viens de rechercher , vous avez tout là :
      https://cedra52.jimdo.com/nos-actions/bure-cigeo-le-projet-fou/
      Salutations

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