Un partenariat n’exclut pas la concurrence. Le programme franco-allemand SCAF à peine lancé en est la preuve. L’Allemagne a choisi de pousser le DLR en dépit du manque d’expertise de ses chercheurs dans le domaine militaire. Elle prend de cours l’ONERA dans l’attente d’une décision de la France qui ne vient pas.
Lors de la réunion des laboratoires de recherches aéronautiques, au salon du Bourget 2019, la directrice du DLR allemand s’est félicitée de la décision de Parlement allemand de lui accorder une subvention inattendue de 106 M€. Elle a également annoncé à ses collègues européens que son ministère de tutelle lui a passé « un gros contrat pour son expertise en regard du programme SCAF », une expertise jugée par l’ONERA bien en deçà de la sienne.
Cette réunion d’experts s’est tenue quelques heures après le lancement en grandes pompes du programme SCAF par le président de la République française et un aréopage de ministres français et allemands et de grands patrons de l’industrie aéronautique. Un événement mis en scène comme aime à le faire la France.
Et pendant que la France fait le show, l’Allemagne trace la route. Et tant pis si le DLR allemand ne possède pas l’expertise de l’ONERA dans le domaine aéronautique civil. Le DLR est en ordre de marche. Ce jour-là, à défaut d’une subvention exceptionnelle « SCAF » et de contrat pour mettre au travail ses chercheurs qui n’attendent qu’un feu vert, le PDG de l’ONERA a dû se contenter d’arborer la médaille de l’Aéronautique.
On ne peut évidemment que déplorer l’attentisme du gouvernement français et se féliciter que l’ONERA n’aie pas attendu que l’Allemagne avance son pion DLR sur l’échiquier SCAF pour se lancer dans la partie. Devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat (4 décembre 2019), Bruno Sainjon, le PDG de l’ONERA a déclaré : « Nous avons fait des propositions sur des sujets sur lesquels nous sommes attendus, c’est par exemple des sujets sur lesquels nous avions été contractualisés dans le cadre de FCAS franco-britannique. ». A ce propos, il a rappelé aux sénateurs que « les entrées d’air du Rafale doivent beaucoup aux équipes de l’ONERA. Et les entrées d’air du futur avion de combat devront probablement aux équipes de l’ONERA. Sur ces sujets comme sur les matériaux nous sommes force de proposition. »
Mais pour l’heure, les chercheurs français attendent une réponse à leurs propositions. « Je pense qu’on attend du côté français que les choses se mettent en place du point de vue industriel avant de les décliner », déclare non sans un certain fatalisme le patron de l’ONERA qui sait aussi, et il ne s’en est pas caché devant les sénateurs, que le laboratoire français part avec des handicaps.
Le premier est d’ordre financier. Entre 2011 et 2018, la subvention annuelle accordée par le ministère de la Défense à l’ONERA est passée de 115 à 105 M€. Celle attribuée au DLR allemand, sur la partie aéronautique uniquement, est passée de 134 à 202 M€. « Et le département aéronautique du DLR peut s’appuyer sur les autres départements du DLR. Ce qui n’est évidemment pas le cas de l’ONERA », souligne Bruno Sainjon qui reconnaît que pour le laboratoire français, « il est effectivement de plus en plus compliqué de se maintenir au niveau du DLR. »
L’autre handicap dont souffre l’ONERA est lié à ses ressources humaines et découle directement du premier. Du fait de la pyramide des âges, dans les cinq ans à venir, 30% de ses effectifs vont partir en retraite, et autant sur les cinq années suivantes. Et compte tenu des niveaux de salaires offerts aux ingénieurs et aux chercheurs, les recrutements ne sont pas faciles. « Quel que soit l’âge, les ingénieurs de l’ONERA sont moins bien rémunérés que ceux de la DGA. »
Avec 1.910 personnes dont près 330 doctorants l’ONERA doit couvrir l’ensemble du périmètre de l’activité (défense, aéronautique civile, spatial). A titre de comparaison, les effectifs du DLR qui traite, rappelons-le uniquement l’aéronautique civil, sont passés de 1.562 en 2011 à 1.860 en 2018.
Outre les départs en retraite, l’ONERA est confronté à des démissions : 22 pour les neuf premiers mois de 2019 dont 6 ou 7 parties après une première expérience. « Nous nous situons au bout de la chaine alimentaire. Les industriels confrontés au même problème peuvent venir débaucher chez nous avec un chèque ». Il est urgent de resserrer les rangs, du côté français, et de mettre les acteurs de tout bord en marche. A l’évidence, le coach de l’équipe de France n’est pas encore entré dans le match.
Gil Roy
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Bonjour,
L'article, qui ressemble un peu (trop) à une communication de lobbying de l'ONERA, sous-entend que le gouvernement français organise mal ses choix budgétaires et ne sait pas préparer l'avenir comme celui d'Allemagne.
Qui peut penser que le gouvernement ait encore le moindre choix budgétaire disponible aujourd'hui ? Il est complètement écrasé entre notre endettement suicidaire et galopant (c'est bien le nôtre hélas, ou celui de nos enfants, pas le sien), et les revendications hurlantes et irresponsables de tous les jours.
Pour le bon sens "du père de famille", les deux seules bonnes raisons de s'endetter, c'est soit d'étaler un coup dur passager, soit d'investir pour l'avenir. Donc un défaut d'investissement, c'est comme un endettement supplémentaire. Mais ça n'est pas comptabilisé.
Quelle est la marge de choix de l'état entre les retraites des régimes déficitaires, et l'avenir de la première industrie du pays ? Moins que zéro ! Pour chaque milliard lâché, il faut bien trouver 10 fois 100 millions...
Par ailleurs, je trouve qu'assimiler l'ONERA au "coach de l'équipe de France" est plus qu'exagéré. Je ne veux pas critiquer, j'ai eu plusieurs excellents profs qui travaillaient à l'ONERA, puis j'ai travaillé plusieurs fois sur des projets auxquels l'Office participait, mais quand même, dans tous les cas dont j'ai eu connaissance, l'industrie n'a pas fait appel à l'ONERA, c'est L’État qui par le biais de subventions dont une proportion était systématiquement réservée à l'Office, se mettait en entremetteur. C'est loin de l'idée du Coach...
Enfin, je trouve vraiment ironique qu'en pleine crise de contestation pro-retraites des fonctionnaires et dérivés, on présente le départ à la retraite de nombreux scientifiques, au sommet de leur compétence, comme un handicap majeur. Tiens donc, du bon sens caché ? :-) Tous les Allemands (donc je suppose au DLR aussi) partent à la retraite vers 66 - 67 ans... on voudrait nous faire croire que ce n'est pas tout bénef pour la collectivité, la compétitivité, ces 7 ou 8 ans grattés ?
Juste en France, au lieu de mettre volontairement les budgets (nos impôts) dans la recherche d'avenir, l’État les met, contraint et forcé, dans le soutien aux régimes de retraite des chercheurs. Et on critique le gouvernement, quel qu'il soit.
Je parie que le retard de l'ONERA sur le DLR ne va pas aller en s'arrangeant.
Dans mon esprit, le coach de l'équipe de France, c'est le président de la République qui a mis en scène la signature du contrat, au salon du Bourget 2019. Pas l'ONERA qui serait peut-être l'avant-centre…
Le sujet a déjà été abordé dans un article des Échos: ce tropisme pro allemand du gouvernement Macron est intolérable car basé sur une théorie qu il faut faire du 50/50 avec les Allemands sous prétexte que c'est ainsi que l on bâtira l Europe de la défense. La priorité allemande est d acquérir des compétences dans les rares domaines où ils sont en retard sur nous pour ensuite développer leur industrie. En réalité cette stratégie cache une incapacité à financer les études amont nécessaires au SCAF par une absence de capacité à décider des bonnes priorités pour notre recherche amont. L 'Onera qui a fourni à nos écoles d ingénieurs les meilleurs professeurs est une référence mondiale reconnue mais la participation de l état à son budget stagne au mieux alors que depuis cinq ans l Allemagne augmente le budget du DLR .De nombreux articles dans la presse en attestent. Les salaires de ces ingénieurs et doctorants sont inférieurs à ceux de l' industrie et l'Office périclite. Pauvre pays que celui qui ne croit pas à sa recherche aéronautique et spatiale alors que des pays comme la Corée,la Turquie,le Brésil,le Japon à titre d exemples investissent seul dans des projets voisins du Scaf que nous pourrions faire seul sur la base de notre expérience en planifiant sur un cycle long les études amont mais pour cela il faut des dirigeants ayant une vision industrielle de long terme.
L'ONERA office public comme d'habitude ça ronronne, c'est lent...
Connaissant les services publics de plusieurs pays - y compris sur un plan professionnel - je me permets de souligner que selon mon expérience, les fonctionnaires français sont loin d'être les pires.
Il y a malgré tout des fonctionnaires, que je qualifierai de romantiques, qui croient en ce qu'ils font, et j'ai tendance à penser qu'ils sont plus nombreux en proportion en France, qu'ailleurs (par exemple Outre Atlantique)
Si vous lisez bien l'article, ce n'est pas la supposée lenteur de l'ONERA qui et en cause, mais plutôt l'absence de décision de l'Etat quant au financement d'un contrat d'expertise vers l'ONERA, qui a toutes les compétences en la matière.
Les personnels de l'ONERA ne sont pas fonctionnaires, ils ont un statut de droit privé. Les contrats qu'ils gagnent financent leurs salaires ; la subvention reçue, en diminution systématique depuis des années comme le précise l'article de Gil, ne couvrant qu'une fraction de son budget annuel, de l'ordre de 40%.
... quand on sait que certains équipements sont allemands à l'origine !
Un office qui brasse intelligemment du vent ?
(Je plaisante, tant je trouve que ces travaux sont utiles, pas uniquement en aéro)
Manifestement, les allemands ne sont pas en grève. On ne peut pas être partout à la fois !
Des grèves, il y en a partout, pour la plupart des pays, on en parle juste plus rarement.
Bonjour Gil,
Bien que nous soyons censés avoir lu les précédents articles sur le SCAF (dont l'un d'eux est en lien de l'article), je pense qu'il serait intéressant tout de même d'indiquer la signification des acronymes lors de leur première utilisation dans le texte par exemple.
Si au fur et à mesure de la lecture on finit par comprendre la signification de DLR, SCAF, etc. au premier abord, on se pose des questions.
Merci
C'est un fait.
SCAF : Systeme de Combat Aérien du Futur. Les anglophones préfèrent FCAS (Future Combat Air System).
Quant au DLR, il s'agit de l'équivalent allemand de l'ONERA, le centre français de recherches aérospatiales.
Merci beaucoup.