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Défense

Les drones Reaper français dans l’oeil du cyclone.

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Frédéric Lert

Les drones MQ-9 Reaper utilisés par la 33ème escadre de surveillance de reconnaissance et d’attaque (33ème ESRA) font sans cesse la preuve de leur utilité dans le Sahel. Ne sont ils pas aujourd’hui victimes de leur succès ?

La 33ème escadre de Cognac vit à l’heure de l’opération Barkhane, mais l’inverse est également vrai : on ne pourrait aujourd’hui imaginer l’intervention de la France au Sahel sans l’omniprésence des drones MQ-9 Reaper qui sont pratiquement de toutes les opérations. Puisque « essayer le Reaper c’est l’adopter », la communauté Reaper française installée à Cognac a connu une croissance rapide depuis l’arrivée du premier appareil en 2013.

L’équipage français du drone Reaper est composé de quatre personnes : un pilote, un opérateur capteur, un opérateur image et un coordinateur tactique. © Frédéric Lert / Aerobuzz.fr

L’escadron du début a laissé maintenant la place à une escadre forte de quatre escadrons et 250 personnes pour mettre en oeuvre quatre systèmes de trois drones chacun, soit douze aéronefs au total. Mais cette croissance est loin d’être terminée, puisque la 33ème escadre devrait regrouper 450 personnes à l’horizon 2025 et même culminer à 1.000 personnes à l’horizon 2030 si la mise en service du futur drone européen se confirme.

Les quatre systèmes drones Reaper de la France

Mais revenons à 2021. Sur les quatre systèmes en possession de la France, les deux premiers concernent des appareils au standard 1 et les deux autres des block 5. La différence porte sur les armements emportés : GBU-12 à guidage laser pour les premiers, GBU-12, missiles Hellfire et GBU-49 à guidage mixte GPS/laser pour les seconds. Les block 5 se distinguent en outre par la capacité à mettre en oeuvre une charge ROEM (Renseignement d’Origine Electromagnétique) et une interface « homme-machine » refondue pour le plus grand bénéficie du pilote et de l’opérateur capteur. Pour les deux autres membres d’équipage, l’opérateur image et le coordinateur tactique, le passage du block 1 au block 5 ne change rien.

Les block 5 déjà livrés apporteront d’ici 2022 une plus grande variété de munitions et la possibilité d’emporter également une charge d’écoute électronique. Le block 5 se distingue facilement par la présence de winglets en extrémité de voilure. © Frédéric Lert/aerobuzz.fr

Après leur arrivée en France en janvier 2020, les MQ-9 block 5 ont obtenu une première capacité opérationnelle (PCO) sur le théâtre malien en mai dernier. Cette PCO ne leur ouvre pas toutefois la capacité de tirer de l’armement : celle-ci ne sera acquise que cet été, avec la GBU-12, à l’issue d’expérimentations portant sur l’emploi du laser. Puis il faudra attendre la fin de l’année 2021 ou le début 2022 pour valider l’emploi cette fois des Hellfire et GBU-49 ainsi que de la charge ROEM.

Il aura donc fallu deux ans pour disposer d’un appareil pleinement opérationnel.

Avec quelle conséquence sur l’opération Barkhane ? Celle-ci va probablement évoluer vers un désengagement au sol qui sera compensé par une implication toujours plus grande des drones pour les missions de surveillance et de bombardement.

Il faudra encore attendre une dizaine d’années avant de voir les appareils américains remplacés par l’Euromale, si toutefois celui-ci entre en service un jour…© Frédéric Lert/aerobuzz.fr

Inutile à ce stade de tirer sur l’ambulance et de faire remarquer que l’Euromale, ersatz franco-allemand du Reaper (en beaucoup plus lourd et beaucoup plus cher), n’arrivera pas quant à lui avant 2029, s’il arrive un jour.

On nous avait vendu il y a quelques années la mise en oeuvre de 8 systèmes MALE à l’horizon 2030, avec une répartition équitable entre Reaper et Euromale.

Il faudrait pour y parvenir que le développement de l’Euromale et la livraison de 4 systèmes se fassent sans heurt et à la vitesse de la lumière.

La bataille du recrutement

On annonce à Cognac disposer de trente équipages formés mais sans vouloir dire combien sont opérationnels et combien sont en formation. C’est un secret, mais qui en fait n’a guère d’importance puisqu’on nous explique en même temps qu’il faut en moyenne la valeur de 15 équipages (en comptant les périodes de formation, de permission, d’indisponibilités diverses et variées…) pour tenir une orbite 24h/24.

Après les pilotes de chasse, les pilotes d’hélicoptères et les transporteurs, l’Armée de l’air et de l’espace vient de mettre en place une filière de formation pour des « pilotes à distance » sans expérience aéronautique préalable. © Frédéric Lert/aerobuzz.fr

Les trente équipages de la 33ème escadre offrent donc à la France une capacité théorique de deux orbites H24 simultanées, ou bien quatre orbites de 12 heures, une durée de vol plus couramment pratiquée.

On peut raisonnablement penser qu’au moins une orbite est « consommée » à Cognac pour la formation des équipages. Il en reste donc au mieux trois disponibles pour le Sahel, pour six appareils qui y sont actuellement déployés. Ce calcul purement théorique montre que le point bloquant de l’utilisation des drones par l’Armée de l’air et de l’espace (AAE) est la ressource humaine. La faute sans doute à un manque de moyens humains à la 33ème escadre, ce qui explique que l’AAE soit aujourd’hui engagée dans une politique de recrutement agressive pour ses opérateurs et « pilotes à distance ».

Les plus belles missions

On l’a vu, l’équipage français est composé de quatre personnes : un pilote, un opérateur capteur, un opérateur image et un coordinateur tactique. Un cinquième membre d’équipage pourrait se greffer dans le futur pour la mise en oeuvre de la charge ROEM, le sujet est en cours d’étude. Pour les trois derniers opérateurs cités, le drone offre un « cockpit » et de belles opportunités de carrière, avec un recrutement très large et la possibilité in fine de participer activement aux opérations. Le jugement est plus complexe pour les pilotes, recrutés à l’origine exclusivement dans le vivier des pilotes de chasse (parce qu’habitués à évoluer dans des environnements complexes et à tirer de l’armement).

La doxa officielle veut que le métier soit exaltant et en évolution rapide, avec des missions très riches. Et ce n’est pas faux…

« Mes plus belles missions tactiques, je les ai faites en drones » explique un ancien pilote de Mirage rencontré à Cognac.

« Nous sommes complètement immergés dans les opérations et pour chaque détachement c’est au moins une ou deux missions particulièrement intenses par semaine ». Toute la difficulté pour l’AAE est aujourd’hui de le faire comprendre à ses futurs pilotes de drones et de battre en brèche l’idée d’une carrière au rabais. Clairement, il y a là pour elle un virage à ne pas rater en matière de recrutement et de fidélisation.

Premiers ab initio

« On essaie beaucoup de choses et on a beaucoup appris » explique-t-on à Cognac quand est évoquée la question du recrutement des pilotes. Après les pilotes de chasse sont donc venus les pilotes d’hélicoptères et de transport. Les uns et les autres gardent en parallèle une activité aérienne régulière sur les Grob 120 de Cognac afin de garder leurs qualifications sur « avion habité ». Ce qui leur permet également de continuer de toucher la solde à l’air (comme tous les autres navigants de l’AAE), ce qui n’est pas anodin.

Et maintenant, suivant le modèle américain, l’Armée de l’air et de l’espace a mis en place une filière parallèle d’ab initio, c’est à dire de jeunes gens formés exclusivement pour piloter des drones, au moins dans une première partie de carrière.

La formation initiale est donnée à Salon-de-Provence sur planeur et monomoteur Cirrus SR20, puis sur Grob 120 à Cognac avant d’attaquer le pilotage du drone proprement dit. L’accent est mis sur une formation solide au pilotage, à la voltige basique (en guise de mise en garde contre les situations inusuelles), le vol sans visibilité et la navigation.

L’inflexion qui sera sans doute rapidement donnée aux opérations dans le Sahel devrait se traduire par un plus grand engagement des drones pour les missions de surveillance, en liaison avec l’engagement au sol de commandos très mobiles. © Frédéric Lert/aerobuzz.fr

Ces jeunes officiers continueront ensuite au cours de leur passage sur Reaper à voler sur avion léger pour aiguiser leur « sens de l’air ». Les premiers ab initio sont en cours de formation sur la base américaine d’Holloman, où ils apprennent en cinq mois les bases du métier. A l’issue de leur retour des Etats-Unis, ces pilotes devront être qualifiés suivant les standards français pour être opérationnels et déployés en opération.

« Vu la qualité de ces premiers pilotes, nous n’avons pas de doute sur le fait que cette filière va donner de bons résultats explique-t-on à Cognac. L’interrogation porte plutôt sur le temps que cela prendra pour les faire mûrir et les rendre pleinement opérationnels ».

Frédéric Lert

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une trentaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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  • Quand je pense que j'ai connu les T6 à Cognac et la 33 sur B26 , le treuil le Week end pour voler sur C800 à l'aéroclub... ça m'en fout un sacré coup de vieux!!

  • Cette semaine parution d'un avis d'attribution de marché par le Pentagone concernant la France, pour le rétrofit de quatre Reaper block 1 en block 5 et la fourniture de deux appareils neufs.

  • Quel article passionnant ! Bravo Fred ! un bel inventaire de toutes les possibilités opérationnelles de ces avions sans pilote (on board), de nouvelles spécialités/métiers au sein de l'AAE aussi... Le voile est désormais levé sur la dernière version et les missions de l'aviation de combat du 21 et 22ème siècle ! St Ex pourrait être fier de ce qu'est devenue son escadre... la "33"...

  • Au début des drones, ils ne devaient faire que de la reconnaissance. Maintenant ils sont armés et peuvent tuer sans aucun risque pour le (télé) pilote. C'est cette course inégale qui m'inquiète, nous aurons un jour des drones au dessus de nous qui pourront au gré d'un appui sur une touche, nous tuer nous mêmes.

    • Un drône n'est pas plus dangereux qu'une carabine chargée posée sur une table...
      Là oú ça se complique, c'est quand le pilote reçoit l'ordre de faire feu...à lui ou elle de savoir quand il doit savoir désobéir!
      "Démocratiquement" votre!
      P.Dessirier

      • Le pilote, un militaire est formé pour obéir à un ordre sauf s'il est illégal.
        Il n'y a pas a désobéir ou pas !
        Si ce pilote n'accepte pas ce principe il n'a rien à faire dans notre armée.

    • Faut suivre l actu , c est ce qu il ce fait par les US et autres en Irak, Iran, Syrie, Afghanistan. ... et Mali, télépilotés dans une salle climatisée a des milliers de Km ! Imparables.

    • Vous pensez que lorsque les stukas, avec pilotes, tiraient sur les réfugiés qui fuyaient les combats en 1940, le combat était équitable ? 

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