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Défense

Opération Tobus

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Frédéric Lert

En 1986, alors que Paris engage un bras de fer contre la Libye du colonel Kadhafi, l’Armée de l’air française va renifler la base aérienne de Ouadi Doum, dans le nord du Tchad sous contrôle libyen. L’occasion pour un Mirage IV n°31 de réaliser le plus long vol jamais accompli par l’avion.

De la Mauritanie au Tchad, les années 1970 et 1980 sont marquées par plusieurs interventions décisives de l’Armée de l’air en Afrique. Avec l’année 1986 arrive une confrontation directe avec la Libye qui pousse ses pions dans le nord du Tchad. Epaulé par des conseillers techniques d’Allemagne de l’Est, le colonel Kadhafi vient de décider la création d’une base aérienne dans la région de Ouadi Doum, au cœur du désert tchadien.

La France réplique avec le lancement de l’opération Epervier et un ambitieux raid aérien : le 16 février, pas moins de onze Jaguar sont lancés depuis Bangui pour détruire la piste de 3.700m en construction. Les chasseurs sont épaulés par cinq Boeing ravitailleurs.

Le lendemain, réplique libyenne avec un Tupolev Tu22 qui se fait passer pour un vol commercial et vient bombarder l’aéroport de N’Djamena. Les forces françaises présentes sur place répliquent et l’avion, endommagé par les tirs venus du sol, fini par s’écraser dans le désert avant de rejoindre la Libye. Fin du deuxième acte.

Le troisième acte a débuté quelques heures plus tôt en France, avec la préparation d’une mission de reconnaissance ambitieuse : un Mirage IV partant d’Istres doit aller survoler Ouadi Doum pour photographier le résultat du raid des Jaguar. C’est l’opération Tobus, du nom du chien du commandant du COFAS de l’époque. A quoi tient l’Histoire…

Deux avions, un « titulaire » pour la mission et son remplaçant en cas de souci technique, sont sélectionnés au sein de l’Escadron de Reconnaissance et d’Instruction (ERI), qui dépend lui-même du CIFAS 328 (Centre d’Instruction des Forces Aériennes Stratégiques). Les deux avions sont équipés de la nacelle CT52 qui fait du bombardier nucléaire un formidable avion de reconnaissance.

Le volumineux conteneur photo CT52 prenait la place de la bombe atomique sous le fuselage et l’avion gardait ainsi sa capacité Mach 2 après avoir largué ses réservoirs externes. © Armée de l’Air

Avec cette nacelle entrée en service en 1971, les Mirage IVA peuvent photographier à la vitesse supersonique et depuis une altitude de 56.000 pieds. C’est exactement ce qu’il faut pour survoler en toute impunité le terrain de Ouadi Doum protégé par des batteries de canons et missiles sol-air d’origine soviétiques.

Le Mirage IV A n°31 et immatriculé BD décolle d’Istres le 18 février au matin. Le commandant Morel (pilote) fait équipe avec le capitaine Merouze (navigateur). Les deux hommes n’en sont pas à leur coup d’essais, ils ont déjà l’expérience des missions secrètes sur l’Afrique avec le Mirage IVA et son conteneur photographique.

Pour ne pas donner l’alerte pendant le long vol de transit qui les conduit vers l’Afrique, l’équipage suit une ruse vieille comme le monde, ou du moins vieille comme la généralisation des radars : il vole en patrouille serré sur son ravitailleur, un C-135F, qui se fait lui-même passer pour un vol commercial. Depuis le sol, les contrôleurs aériens ne distinguent qu’un seul avion sur leurs radars. Le capitaine Merouze a raconté la suite dans « ANFAS contact » de janvier 2010, la revue des anciens des FAS :

« Jusqu’à la côte africaine, tout va bien. La météo est excellente, le système de navigation tourne comme une horloge et les recalages radar sont faciles sur les côtes. Au-dessus de l’Afrique, les choses se gâtent. Le contrôleur du pays survolé constate que le Boeing s’écarte de la voie aérienne. Le pilote du C-135 l’assure quil est bien au cap 150. Nous sommes en réalité au 190.

Après plusieurs minutes de ce dialogue, le contrôleur se fait de plus en plus insistant et annonce que nous allons pénétrer dans une zone interdite. Nous décidons alors de faire le plein complet et de quitter le Boeing plus tôt que prévu ».

Le Mirage IV a fait un excellent avion de reconnaissance stratégique en combinant la capacité de ravitaillement en vol et des pointes de vitesse à Mach 2. © DR / coll. JL.Gaynecoetche

Le Boeing a amené le Mirage le plus loin possible. A l’avion de reconnaissance de se débrouiller seul à présent. Il vient de prendre 8 tonnes de carburant quand il se sépare du Boeing et prend un cap direct vers Ouadi Doum qui n’est plus qu’à 800 km droit devant. Quelques minutes plus tard, les bidons (vides) sont largués et l’avion accélère à Mach 1,9 et monte à 50.000 pieds, au-dessus de la portée théorique des missiles libyens.

Un dernier recalage optique permet d’affiner la navigation. Le temps est clair et la piste peut être repérée d’assez loin. Après 5 h 15 de vol, le navigateur met en marche les caméras haute altitude alors que l’avion passe à la verticale de l’objectif. Le capitaine Merouze raconte la suite : « Virage et décélération, cap sur le Soudan. Rejointe sans souci avec le deuxième ravitailleur qui nous attend (…) Il reste moins de 2 tonnes de pétrole dans lavion quand on enquille. Retour cap au nord en patrouille serrée avec le Boeing, en rasant la frontière libyenne ».

Le Mirage atterrit directement sur la BA106 de Bordeaux Mérignac où l’attend le général Fleury, commandant des FAS. Les films sont développés très rapidement, puis un officier renseignement en fait une interprétation rapide avant de les envoyer à Paris pour une interprétation plus poussée et une présentation aux autorités.

Avec la Mission Tobus, le Mirage IVA n°31 vient de réaliser la plus longue mission de reconnaissance de l’histoire du biréacteur. L’avion a parcouru 10.000 kilomètres en 11 h de vol dont trois heures de nuit et 30 minutes de supersonique. Quatre ravitailleurs ont été engagés pour lui fournir 48 tonnes de carburant en douze contacts.

En fait, la mission est allée au bout de ce que pouvait donner le Mirage IV, dont l’autonomie maximale était dictée par la consommation d’huile. Si le carburant pouvait être renouvelé à loisir par les ravitailleurs, les compléments d’huile ne pouvaient être faits en plein vol. Or la lubrification de certains paliers des réacteurs ATAR 9 se faisait à huile perdue et c’est bien la taille des réservoirs d’huile qui conditionnait la durée maximale de leur fonctionnement. 

Le Mirage IVA n°31 de l’opération Tobus est aujourd’hui préservé et exposé au Musée européen de l’Aviation de chasse de Montélimar. L’avion est superbe dans la livrée métallique qu’il avait à l’époque. Si vous passez dans la Drôme, courez le voir !

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • Que ne dire que c’est à cette occasion que l’un de nos Jaguar a tiré un missile français Martel anti radar sur le radar d’Oua Didoum qui fut détruit. Le seul usage opération de l’histoire de ce missile ! Avec succès.
    Je pense que certaines reconnaissances Mirage IV ont également navigué en rassemblant discrètement avec de vrais avions civils non avertis pour se camoufler sur le chemin de N’Djamena !!!

    • Bonjour Popo,
      Raconter toute l'histoire du Mirage IV et des guerres du Tchad en 6000 signes, c'est pas simple et c'est pas le but ! Quant au coup du vol collé à un avion civil, je crois me souvenir d'une traversée de l'Espagne de cette manière... à confirmer !

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