Patrouille de France 2016 : paroles de schtroumpf !

A quelques jours de son passage devant la Commission de sécurité des vols, devant le Chef d’Etat-Major de l’Armée de l’Air et de sa première présentation publique, la Patrouille de France revient sur son entrainement hivernal. L’occasion unique de se faire expliquer la construction de la série 2016 par le nouveau leader et d’échanger avec l’un des trois nouveaux « schtroumpfs », de son intégration.

Lorsqu’on évoque le nom de la Patrouille de France (la PAF de son petit nom), l’image première, pour le non initié, est celle des 9 Alphajets La patrouille évolue habituellement à 8 appareils mais lors du défilé du 14 juillet, le pilote remplaçant intègre la formation tirant leur panache tricolore à la verticale des Champs Elysées chaque année, en ouverture du défilé de la Fête Nationale.

Pour les amateurs, familiers de meetings, la PAF, c’est plutôt un ballet aérien, exécuté avec technicité et précision plus d’une cinquantaine de fois dans l’hexagone à chaque saison estivale. Mais lorsqu’on assiste à cette chorégraphie bien huilée, réalise-t-on quel travail a été nécessaire pendant la saison hivernale ? Immersion dans cette période méconnue de la vie de la formation nationale !

 

L’entrainement de la PAF débute rapidement à l’issue de la saison précédente, dans le courant du mois de novembre. Si les « anciens » prennent quelques vacances, pour les 3 nouveaux, arrivés au début du mois de septembre, La sélection des postulants, basée sur le volontariat, commence par un filtre liée à l’expérience passée, avec un pré-requis de 1500 heures de vol en escadron et la détention de la qualification la plus élevée dans la carrière d’un pilote de chasse, celle de chef de patrouille. La seconde étape, plus administrative, dépend de la DRHAA (Direction des Ressources Humaines de l’Armée de l’Air) et découle de la gestion globale de ses effectifs dans les escadrons. Mais la véritable sélection commence, lors d’une journée à Salon de Provence où le postulant va se fondre et partager les activités de l’équipe en place.

Cette journée se clôture par un entretien où il sera soumis au feu des questions des pilotes titulaires… interrogatoire destiné à mieux le connaître, percevoir ses aptitudes à vivre en petit groupe fermé et percevoir sa motivation. La sélection est donc basée sur une cooptation excluant toute notion de favoritisme et cette particularité va jouer un rôle prépondérant dans la cohésion de l’équipe et de sa vie quotidienne.

A leur arrivée à un mois de la fin des meetings, les 3 nouveaux qui accompagnent la formation dans tous ses déplacements, vont vivre une période d’observation et commencer à intégrer les procédures propres à la PAF, (radio, tenue de place, prise de repères) jusqu’à la mi-octobre, date à laquelle vont commencer leurs entraînements. le temps est venu de se préparer à intégrer la formation et prendre chaque jour un peu plus leur place dans l’équipe.

C’est ainsi que depuis la semaine qui suit la cérémonie de passage de commandement, familièrement appelée la « DER » et le départ des pilotes sortants, les Schtroumpfs Le terme de « Schtroumpf » qui qualifie les nouveaux entrants, vient d’une époque où un des nouveaux pilotes est revenu d’un vol avec une combinaison totalement bleue à la suite d’un dysfonctionnement du système fumigène, faisant que sa fumée s’est répandue dans l’habitacle. Il n’y a rien de péjoratif dans ce terme, totalement lié aux traditions de la PAF. vont entrer dans une période d’apprentissage de leur futur métier d’équipier. Ces 3 pilotes entrants (Commandant Nicolas Lieumont, capitaines Cyril Touzet et Damien Bourmaud en 2016), vont alors multiplier les vols « en double » pendant 3 semaines avant de prendre leur place définitive dans le « box avant » (4 avions), et poursuivre cet entrainement, pas à pas, dans un objectif de recherche permanente de perfection. .

Le Capitaine Cyril Touzet, équipier intérieur gauche (N°3) a rejoint Salon de Provence en septembre dernier. Il revient sur cette période qu’il a vécu intensément : « Lorsque je me suis présenté à la sélection de la PAF, je n’avais qu’une vague idée de son fonctionnement. En arrivant, j’ai découvert un mode de vie totalement différent de celui que j’ai vécu en escadron de chasse. Nous sommes 9, et du matin jusqu’au soir, on partage tout ! Pendant cette période hivernale c’est un rythme hyper intense dans une permanente promiscuité entre nous et c’est sans doute cela qui créé des liens très soudés et construit la cohésion de l’équipe, qui va devoir être performante et parfaitement prête pour la saison estivale ».

 

Aérobuzz : « Est-ce que pour des pilotes confirmés comme vous l’êtes, cet entrainement s’avère très différent de ce qu’il était lorsque vous étiez en escadron ? Vous saviez déjà voler en patrouille, c’est un peu le cœur de votre métier ?

Cne Touzet : « Quand je suis arrivé à la Patrouille de France, je m’attendais à quelque chose de très compliqué mais en fait j’étais loin du compte. Ce que nous vivons tous les trois depuis octobre est vraiment très difficile sur le plan technique et cette période d’entraînement m’a conforté personnellement dans l’idée que je ne savais pas faire grand-chose au départ, en regard de la particularité de la mission. A titre d’exemple, effectuer un simple virage en patrouille serrée, même pour un pilote chef de patrouille de chasse, dans le but de rechercher « l’effet plateau » qui va donner l’esthétique à la figure, nécessite un entrainement particulier. Il y a une technique à acquérir pour que vu du sol, la cohésion du dispositif soit parfaite.

A cette difficulté s’ajoute celle d’un pilotage qui se fait presque exclusivement au trim de profondeur pour éviter les mouvements et coups de manche parasites. Le « trim » est un système électrique ou mécanique qui permet de maintenir une gouverne dans une position permettant d’annuler les efforts du pilote sur le manche ou sur le palonnier. Sur l’Alphajet, le trim est une commande électrique agissant sur un servo-moteur qui lui-même active le compensateur intégré dans les gouvernes. C’est la seule manière pour obtenir une cohésion d’ensemble. Pour nous, issus d’escadrons où nos Mirage 2000 ou Rafale possèdent des commandes électriques, nous avons dû, quelque part, totalement réapprendre à piloter. C’est une remise en question sur le plan technique pour chacun d’entre nous et nous nous apercevons qu’il faut quelques mois avant d’en avoir percé tous les secrets. »

Aérobuzz : Fin janvier, une autre étape importante marque la progression de votre formation, qui se concrétise par la boucle à huit avions. C’est aussi un moment un peu particulier où les Schtroumpfs deviennent des pilotes à part entière de la PAF, un autre stade qui se concrétise par un petit cérémonial d’adoubement dans la formation. Qu’avez-vous ressenti à ce moment là ?

Cne Touzet : « Tous trois, nous avons franchi les degrés « step by step » jusqu’à la boucle à 8 avions et même si à cette époque nous savons qu’il nous reste encore beaucoup de travail et de persévérance jusqu’à la première présentation publique, nous avons le sentiment d’avoir franchi une étape importante dans notre progression…

Même si nous avons, au cours de l’entrainement déjà effectué cette figure, la boucle officielle de fin janvier est un constat très gratifiant dans le parcours, qui s’accompagne aussi d’une certaine satisfaction et fierté d’en être là où nous en sommes aujourd’hui… c’est juste le passage d’un cap, car dès le lendemain, il va falloir enchaîner les figures dans les différentes formations composant la série en vue de finaliser la présentation.

Une grande émotion aussi bien sûr, car à l’issue de cette boucle à huit, les 3 nouveaux pilotes se voient remettre l’insigne de la PAF et le casque bleu frappé de l’Alphajet. Lors de ce petit cérémonial qui fait partie des traditions de l’escadron, je me suis revu il y a 15 ans lorsque je suis entré dans l’Armée de l’Air, n’imaginant pas une seul instant en arriver là où je suis aujourd’hui …

Cela dit, même si ce fut un instant très important de fierté et de joie dans ma carrière, c’est aussi le moment où j’ai mesuré le chemin restant à parcourir et le nombre d’imperfections à corriger… ».

Pour Christophe Dubois, Commandant la PAF 2016, son travail de leader a déjà commencé l’an dernier au cours de sa première année à la Patrouille de France alors qu’il était numéro 4 de la formation. Une année entière pour se préparer à ce nouveau rôle, dans lequel la mission de Relations Publiques prend une part prépondérante.

Aérobuzz : Mon Commandant, cette année entière de charognard est maintenant derrière vous… Vous a-t-elle suffisamment préparé à appréhender le poste de leader que vous tenez désormais ?

Cdt Dubois : L’année de charognard, Le pilote qui porte le N°4 dans la patrouille est appelé « charognard » en référence à sa place au sein du dispositif. Cet officier de carrière, issu de l’Ecole de l’Air qui se destine à prendre la fonction de futur leader, occupe la place juste derrière le leader de l’année, place où il est le mieux à même d’enregistrer les évolutions qu’il aura à conduire l’année suivante. La petite histoire veut que ce vocable a été choisi pour identifier celui qui vole au contact de celui qu’il veut dévorer pour prendre sa place. ,même si elle se déroule très vite, prépare bien à tenir le poste de leader l’année suivante. Le Cdt Romain Bethoux, l’an dernier m’a beaucoup aidé à envisager mon nouveau poste, techniquement au cours des vols en me laissant sa place, mais aussi en étant le plus souvent possible à ses côtés notamment dans sa mission de représentation, qui n’est pas la moindre. Je l’ai beaucoup écouté, observé. J’essaye de m’en inspirer, et avec ma propre sensibilité, apporter ma touche personnelle. »

Aérobuzz : « Maintenir la continuité tout en amenant sa propre « griffe » et un peu de changement est aussi une tradition à la PAF, les leaders qui se succèdent souhaitant peu ou prou, tous innover dans la série. Comment préparez-vous votre présentation et comment introduisez vous les nouveautés ? »

Cdt Dubois : : « L’été précédent, alors que j’étais encore charognard, avec mes futurs équipiers extérieur gauche (N° 5) et premier solo (N° 7), nous avons mené une réflexion sur ce que pourrait être la série de l’année suivante. Ainsi, dès l’automne, la physionomie du « ruban » et de la « synchro » Le « ruban » désigne la première partie de la présentation au cours de laquelle les 8 appareils restent soudés tout en changeant sans cesse de formation. La « synchro » est le second temps de la démonstration après l’éclatement intermédiaire au cours duquel sont notamment libérés les solos. Les évolutions, en groupe de 2, 4 ou 6 avions, faites de croisement, de percussions et autres figures spectaculaires, ajoutent de la dynamique à la présentation. est presque déjà décidée par ce « tryptique décisionnel » au sein de la formation.

J’ai également beaucoup questionné les anciens leaders que je croisais en meeting quant à la constitution de la série, leurs propres difficultés à la construire en leur temps (…) mais surtout nous voulions continuer à maintenir les évolutions du ruban dans un volume restreint en serrant le plus possible les figures sans jamais sortir du domaine visuel du public. En conséquence la durée de la présentation a diminué et a gagné beaucoup de rythme… il faut qu’en 20 mn nous donnions le maximum sur le plan artistique pour toujours intéresser le public… »

Aérobuzz : L’entrainement hivernal est soutenu et les journées à la PAF sont bien remplies, avec alternance de séances de sport, briefings/debriefings et deux vols quotidiens, comment se déroule cet entraînement et à partir de quel moment débutez vous les enchaînements qui vont composer la série de l’année ? Comment se construit la présentation ?

Cdt Dubois : : « Les jours se suivent et sont formatés sur le même modèle, débutant le matin par une séance de sport, suivie du briefing du premier vol. Généralement, cette première séance d’entrainement se déroule sur le site de l’ancien aérodrome d’Orange Plan de Dieu, où la PAF bénéficie d’une zone protégée. Au retour à Salon de Provence, nous débriefons ce vol qui a été filmé du sol par le cameraman depuis le point central, puis préparons le second vol qui aura lieu à la verticale de la base en mi-journée. Les vols débutent à 4 avions courant novembre et peu à peu nous introduisons les bases de la future série. Les Schtroumpfs sont alors rapidement plongés dans la réalité !

Dans la progression de l’architecture de la série, c’est le « ruban » qui est travaillé d’abord et il doit être complètement au point mi février. Les étapes, à chaque moment de l’année reposent sur les critères « savoir faire, être capable, maîtriser » et on adapte l’entrainement en fonction du passage de ces stades. Par ailleurs, quand il fait beau nous nous entraînons sur la série « beau temps », et lorsque la météo est dégradée nous travaillons la « mauvais temps ». Trois présentations sont travaillées au cours de l’entraînement hivernal dont l’une d’entre-elles sera choisie en fonction de la météo du jour de la démonstration :
La « beau temps » : (4500 pieds de plafond nécessaires). La démonstration s’effectue dans le plan vertical.
L’ « intermédiaire » : (2500 pieds de plafond). Dans ce cas, la présentation est conçue dans le plan oblique mais ne permet pas d’effectuer le « coeur ».
La « mauvais temps » : (1000 pieds de plafond). Les nuages sont bas ou la visibilité est fortement diminuée. La présentation sera effectuée dans le plan horizontal. Ensuite, après le stage de cohésion à la montagne en Février, nous enchaînons sur l’aspect synchro. »

Aérobuzz : Arrive donc le moment de la boucle à huit avions la dernière semaine de janvier, c’est un moment important de la vie de l’équipe, comment décidez-vous que la patrouille est prête à tourner cette première boucle au complet ?

Cdt Dubois : En réalité, la première boucle à huit avions est tournée très tôt, mi novembre mais la technicité et l’esthétique parfaite de cette boucle n’arrivent généralement que fin janvier. C’est alors que nous décidons, sous le regard intransigeant du N°9 (pilote remplaçant) si cette boucle a un niveau d’exigence satisfaisant.

C’est aussi à ce moment que la «phase Schtroumpfs » s’achève et au cours d’une petite cérémonie interne, les nouveaux pilotes prennent leur nom et indicatif définitifs, Athos 2 pour l’équipier Intérieur droit, Athos 3, pour l’ Intérieur gauche et Athos 4, pour le charognard et commandant en second de la Patrouille de France. Pour eux, cet instant un peu solennel représente l’accomplissement d’un travail important, mais qu’il va falloir poursuivre encore, jusqu’à la fin de la saison hivernale.

Aérobuzz : Enfin, le Général Lanata, Chef d’Etat Major, devrait valider très prochainement votre série 2016 mais auparavant, elle aura été disséquée et évaluée par la Commission de Sécurité des Vols de l’Armée de l’Air. Ne redoutez-vous pas qu’une ou plusieurs figures que vous aurez choisies soient supprimées ou jugées trop « hardies » par cette commission, vous obligeant à réorganiser votre présentation ?

Cdt Dubois : En fait la Commission de sécurité des Vols vient trois fois pendant la période d’entrainement et à chaque fois nous lui montrons où nous en sommes. Si ses membres constatent des écarts par rapport aux tolérances, ils nous arrêtent de suite pour que le jour J, nous soyons certains que le Chef d’Etat Major valide notre présentation. D’ailleurs la commission intervient pour la dernière fois juste avant la présentation au CEMAA. Il y a ainsi peu de risque que la présentation soit amendée au dernier instant.

Le mercredi 3 mai 2016, avec les autres Ambassadeurs de l’Armée de l’Air (EVAA, Cartouche Doré, Rafale Solo Display et Ramex Delta), les pilotes de la Patrouille de France, anciens et nouveaux vont donc se soumettre à un examen de passage, montrant ainsi aux plus hautes autorités le résultat de leur travail et le chemin parcouru depuis le début de l’hiver, dans cette recherche incessante de l’excellence. Le public, quant à lui, devra attendre le samedi 14 mai pour découvrir cette présentation 2016, au grand show « Le Temps des Hélices » de La Ferté Alais, qui ouvre traditionnellement la saison des meetings aériens pour la formation tricolore.

Philippe Chetail