Ce n‘est pas une surprise, la guerre en Ukraine et sa dimension aérienne pèsent d’un poids considérable sur l’année aéronautique 2022. Mais pour Bruno Clermont, ancien général de l’Armée de l’air, consultant défense aéronautique et intervenant assidu sur les plateaux télé, d’autre sujets ont pris du badin au cours de l’année écoulée : la relance du programme SCAF, le très grand niveau d’engagement des forces aériennes françaises et la rédaction d’une LPM (Loi de programmation militaire) votée dans l’urgence mais selon lui vide de sens…
De la guerre en Ukraine, on voit essentiellement le volet terrestre, mais pourtant la guerre aérienne est très présente et elle sera, selon Bruno Clermont, décisive. « Les Russes s’y sont très mal pris dans le domaine terrestre mais aussi en matière aérienne. On a fait à cette occasion le constat des limitations d’une armée russe que l’on connaissait finalement très mal. Or c’est sur le champ de bataille que se juge une armée et l’Ukraine est à ce titre un révélateur terrible pour les Russes. Ceci dit, les opérations sont entrées depuis le 8 octobre dernier dans une nouvelle phase avec les raids massifs de missiles et drones contre les villes, contre l’infrastructure et l’industrie ukrainiennes. Et sous l’impulsion du général Sourovikine, qui commande les forces aérospatiales sans être lui-même un pilote, les Russes ont changé de stratégie en utilisant intensivement leurs bombardiers stratégiques : une centaine d’avions répartis sur quatre bases qui sont utilisés simplement pour tirer des missiles de croisière depuis l’espace aérien russe, en toute sécurité. Les trois quarts des missiles russes seraient tirés de cette manière ».
Un autre élément qui ressort de la guerre en Ukraine est l’importance de la défense sol-air. Or il s’agit là d’un point faible des armées françaises, de l’armée de l’air et de l’espace et aussi de l’armée de terre. « On se rend compte à la lecture des événements de 2022 que la défense aérienne c’est important, mais que c’est aussi compliqué à maitriser pour obtenir une bonne intégration avec les autres moyens de défense. Aucun des deux belligérants n’ayant obtenu la supériorité aérienne, ils se sont de facto neutralisés dans la 3ème dimension et en sont revenus à des combats à l’ancienne avec leurs forces terrestres, avec quelques briques modernes ici ou là. C’est en quelques sorte une guerre du 20ème siècle « technologisée ». Mais ce n’est pas la guerre de haute intensité telle que la ferait les Américains et donc l’OTAN. Attention aux fausses leçons que l’on pourrait tirer de ce qui se passe en Ukraine ».
On assiste bien entendu en Ukraine à la multiplication de l’usage des drones de tous types, et particulièrement des matériels bon marché issus du monde civil. « Je pense que le véritable drone tactique qui a de l’intérêt aujourd’hui, dans le contexte de la haute intensité, c’est la solution « low cost » consommable ou réutilisable un certain nombre de fois. Mais nous manquons en France d’industriels capables de proposer des solutions dans ce domaine. Les grands groupes ont autre chose à faire, les PME n’ont pas la bonne envergure pour y arriver. Il faut faire encourager des ETI (entreprises de taille intermédiaire) pour faire émerger ces matériels allant de la munition rôdeuse à un appareil comparable au TB-2 turc ».
A l’autre bout de l’échelle des engins volants figure le programme SCAF, dont la phase 1B vient d’être lancée après des mois de bras de fer entre Dassault Aviation et Airbus. « Le lancement de cette phase est un succès pour l’avenir de l’aviation de combat au-delà du Rafale, c’est une première bonne nouvelle » souligne Bruno Clermont. « La deuxième bonne nouvelle est que Dassault Aviation a obtenu gain de cause en mettant la pression sur tout le monde. L’avionneur français conserve en outre une vision globale sur tous les piliers du programme non pas dans une volonté d’ingérence, mais pour garantir une cohérence globale. La phase 1B est essentielle pour faire émerger des briques technologiques qui seront toujours utiles pour la suite, même si le programme SCAF ne devait pas se faire finalement ».
Sur le plan purement franco-français, Bruno Clermont note enfin que les forces aériennes françaises ont été au rendez-vous de toutes les opérations engagées. « Avec les moyens à leur disposition elles ne pouvaient pas faire mieux » résume-t-il. « L’année 2022 a été celle du succès du Rafale au standard F3R pour l’Armée de l’air et de l’espace ainsi que pour la Marine. Je suis en revanche beaucoup plus inquiet sur les perspectives de l’actuelle LPM (Loi de Programmation Militaire). La guerre en Ukraine a entrainé la rédaction dans la précipitation d’une nouvelle LPM alors que cette guerre, avec les enseignements qui s’y rapportent, n’est encore pas terminée. Il faudrait éviter une nouvelle LPM « Canada Dry ». Les grands programmes sont lancés. Les marges de manœuvre seront limitées. Tout se jouera sur la trajectoire budgétaire qui dans le contexte économique actuel pourrait ne pas être différente de la loi actuelle. Pour reprendre l’expression du chef des armées sur le porte-avions Charles de Gaulle, la question est aussi de « tenir notre rang ». Et cela nécessite un passage rapide à 3% du PiB (70/75 milliards). Parce que dans tous les domaines de la guerre, le retard accumulé en 30 ans de lois de déprogrammation militaire est considérable. Un seul chiffre : 30 ans après le lancement du programme Rafale, notre armée de l’air et de l’espace n’en compte qu’une centaine pour la mission nucléaire et toutes les missions conventionnelles. 2023 doit être l’année du réarmement de la France ».
Propos recueillis par Frédéric Lert
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