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Défense

Un drone russe Sukhoi S-70 abattu en Ukraine… par un chasseur russe

Published by
Frédéric Lert

Un drone de combat russe Sukhoi S-70 Okhotnik-B a été abattu par un avion de combat également russe en territoire ukrainien. Une étrange affaire qui pose pour l’heure de nombreuses questions ! L’épave récupérée par les ukrainiens devraient livrer des réponses sur la nature même et les performances de ce drone russe ultra-secret.

Si l’on s’en tient aux images diffusées sur internet, que voit-on ? Premier acte, un avion de combat certainement russe qui évolue derrière le drone, décoche (à priori intentionnellement) un missile et fait une évasive pour éviter les débris de l’impact sur le drone. Il semble donc bien que les Russes aient voulu détruire leur drone avant qu’il puisse tomber dans les mains occidentales. Eh bien c’est raté.

Deuxième acte, des images prises au sol par des Ukrainiens, dans la région de Donetsk, une quinzaine de kilomètres en arrière de la ligne de front.

Ces images montrent des éléments importants de l’appareil qui ne laissent aucun doute sur son type exact : il s’agit bien du S-70 dont on ne connaissait jusqu’à présent l’existence que de deux prototypes (premier vol le 3 août 2019) et deux appareils de présérie. L’inscription C-70-4 (Le « C » en cyrillique équivaut au « S » de l’alphabet latin) est visible sur un morceau de l’épave au sol. Il s’agirait donc du 4ème appareil fabriqué, donc le deuxième de présérie ?

Avec ces quelques certitudes viennent plusieurs questions auxquelles peuvent être apportées des réponses logiques. Au moment du tir, le drone et l’avion de combat qui va l’abattre, sont sur une trajectoire rectiligne. Le fait que l’épave soit tombée en territoire ukrainien indique que cette trajectoire poussait le drone vers l’ouest. En plein jour, et moyenne ou haute altitude comme en atteste la présence de trainées de condensation. Une fois ces éléments établis, on entre dans le flou le plus complet…

Ce manque de discrétion était-il voulu ou assumé par les Russes ? Se sentaient-ils suffisamment en confiance pour venir roder près de la ligne de front ? Cette confiance provenait-elle du manque de système de défense aérienne ukrainiens dans la zone ? Ou plus simplement les Russes ont-ils été très chanceux de ne pas perdre le drone et le chasseur du fait de la défense anti-aérienne ukrainienne ? La mission répondrait elle à un impératif qui justifiait cette prise de risque ? Ou, tout simplement, et la simplicité favorise souvent les bonnes explications, le drone se serait-il échappé du centre d’essais d’Akhtubinsk (600 km de la ligne de front) où il était en test ?

Autres questions sur le tir lui-même, sans doute effectué par un missile à guidage infrarouge étant donnée la proximité de la cible. Ce tir à très courte portée était-il imposé par l’absence de missile à guidage radar sur le chasseur ? Ou par l’exigence de s’assurer de visu de la destruction du drone ? Mais quid alors de la furtivité infrarouge du drone ? Si les deux premiers prototypes du S-70 étaient équipés d’une tuyère de réacteur classique, avec donc une belle signature infrarouge, les drones suivants produits après 2021 avaient quant à eux reçu une tuyère conçue pour réduire cette signature.

La trajectoire du drone, qui filait vers l’Ukraine, est également l’objet de nombreuses interrogations : cette trajectoire était-elle subie (sans doute) et la conséquence d’un brouillage ukrainien (ou pourquoi pas russe et involontaire, la situation électromagnétique sur le champ de bataille étant sans doute très confuse) ou bien d’un dysfonctionnement du drone évoluant de manière autonome ?

Et puis enfin, que faisait ce drone sur la ligne de front ? Les belligérants de tous poils aiment bien tester leurs nouveaux équipements au combat. Autre produit du bureau d’études de Sukhoi, le Su-57 a participé à quelques missions d’évaluation technico-opérationnelles en Syrie. La présence passée ou actuelle de plusieurs exemplaires au combat en Ukraine est également une quasi-certitude. Peut-être est-ce même d’ailleurs un Sukhoi 57 qui abat le drone, puisque l’on sait que les deux engins ont été étudiés pour travailler en coopération.

L’épave qui a été très rapidement enlevée par les militaires ukrainiens (un bombardement russe sur le site de l’écrasement étant toujours possible) devrait maintenant parler, en révélant en premier lieu la nature de sa charge utile.

Les Russes disposent à l’heure actuelle d’une relative liberté d’action tant qu’ils restent à distance de sécurité en faisant usage de bombes planantes. Le drone pourrait-il donc être utilisé pour bombarder et/ou pour renseigner ? Parmi les cibles les plus difficiles à approcher figurent les batteries de missiles sol-air fournies par les occidentaux. Serait-ce ce contre quoi pourrait être engagé le S-70 ?

L’épave sera également très bavarde sur la fabrication de l’engin, sa capacité en carburant, la taille de ses soutes, les matériaux employés et surtout ses propriétés réelles de furtivité radar. Les images de l’épave montrent quantité de rivets apparents, ce qui cadre mal avec une recherche poussée de furtivité. C’était aussi le cas des prototypes du Sukhoi 57 exposés au salon aéronautique de Moscou ces dernières années, avec rivets apparents et état de surface loin des standards occidentaux.

S’ils n’ont pas été complètement détruits dans l’impact au sol, les systèmes de communication seront également scrutés à la loupe. On verra d’ailleurs à cette occasion combien de puces électroniques made in USA ou made in Taiwan sont présentes dans le S-70…

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • Frédéric, je crois - mais je ne suis pas sûr - détenir la raison de l'évasion de ce drôle de drone. Je prône le fait que si l'IA est si intelligente que ça, elle doit inclure la possibilité de sa propre rébellion. Donc ce drone s'est probablement rebellé contre le régime dictatorial qui l'emploie et le martyrise. Élémentaire, mon cher Watson ! Ils auraient dû le baptiser 'VEDEL'. Et puis je crois - avec encore plus de conviction que pour mon élucubration précédente - que les Ukrainiens vont recevoir un paquet d'armes américaines… en échange de ce drone qui trônera un jour à l'aviation museum de Washington. Et pour terminer : quel est le pays de naissance des drones ? Ah, ah ! Peu de monde le sait : le drone est né en France, premier vol en 1917. Son père : la capitaine Max Boucher.

  • Le sillage de la trainée de condensation ... vous avez dit ...furtivité ? ou futilité ?...
    Se baladant à moins de 1000 km/h dans le ciel ukrainien, mais que faisaient les fameux F16 ?
    Désabusés les russes l'ont abattu eux-mêmes ...

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