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7779, 7780 et 7781

© Vincent / Aerobuzz.fr

Non, il ne s’agit pas de codes transpondeur, ni des nouveaux codes d’accès des bureaux d’Aerobuzz. C’est le nombre total de personnes qui, à ce jour, ont eu la vie sauve grâce aux sièges éjectables construits par la vénérable société britannique Martin-Baker.

L’entreprise tient un décompte très précis du nombre d’éjections réussies avec ses produits. 7777, au 15 janvier 2025. 7781 au 25 mars de la même année, lorsque deux Alpha Jet de la Patrouille de France sont entrés en collision en plein ciel. On s’habituerait presque au petit miracle de prouesses technologiques que sont ces sièges.

Le BEA-E démontrera que la réussite de cette triple éjection en descente s’est jouée à peu et que sur d’autres sièges, à d’autres époques, l’issue aurait été malheureusement fatale. Non seulement ces sièges éjectables sont fiables car ils se déclenchent optimalement lorsqu’on les sollicite, mais en plus, avec leur capacité « zéro-zéro » leur domaine d’utilisation est large. Et pour quelques ratés retentissants, 7781 vies sauvées au 15 mars 2025 pour cette seule firme… On en a canonisés pour moins que ça !  

« Ce truc-là est fait pour te sauver la vie, mais ton état n’est pas garanti » explique-t-on à l’impétrant avant son premier vol ; l’humour britannique sans doute. De l’éjection, nous ne connaissons bien souvent que les récits rédigés dans les mémoires de certains pilotes ou les études portant sur le processus intellectuel qui mène une main à la traction de la poignée jaune rayée de noir. Ce qui n’a rien d’évident, dans certains cas, dans le confort de leur cockpit, leur bureau habituel, familier, certains pilotes hésitent parfois.  

Piloter, c’est prendre des décisions et faire des choix, c’est donc aussi être en mesure de prendre la décision de ne pas poursuivre le vol, voire de tirer une poignée d’éjection sans hésitation, sans tergiversation, et à Dieu Vat !

Lorsqu’on déclenche le dispositif, on entre dans un moment aussi terrifiant qu’inattendu. C’est rapide, violent, une vraie lessiveuse instantanée et un choc incroyable racontent ceux qui ont eu besoin de tirer la poignée. 18 G pendant quelques fractions de secondes, c’est assez pour tasser des vertèbres, assez pour arracher un masque à oxygène ou des chaussures montantes. L’ouverture du parachute est un autre choc encore, et l’atterrissage n’a rien, non plus, de banal ou d’anodin. On en ressort forcément choqué, blessé, cassé, avec le risque de devoir changer de vie et parfois totalement indemne. Une loterie où le seul fait de prendre la décision de tirer la poignée reste un numéro gagnant.

7779, 7780 et 7781 ont vécu ce que d’autres ont vécu. Ils entrent dans la communauté de ceux qui ont pu prendre LA décision, et ce, même si elle peut paraître évidente. La rapidité avec laquelle elle a été prise à Saint-Dizier témoigne juste d’un entraînement régulier, d’une préparation mentale adaptée. Tous trois sont des professionnels, conscients de l’existence du risque et formés pour y répondre sans délai ; l’utilisation du siège éjectable n’est pas une vue de l’esprit ou une probabilité hypothétique.  Une chance ? Non, un métier.

7779, 7780 et 7781 doivent aussi beaucoup à toute une chaîne d’humains, du concepteur du Mk10 aux techniciens qui ont révisé les sièges avant le dernier vol, en passant par les mécaniciens qui les ont aidés à s’installer correctement dans cette catapulte ! « Ô bizarre suite d’évènements ! Comment cela m’est-il arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? » Pouvoir se remémorer cette tirade de Beaumarchais n’est pas une chance ni le fruit du hasard.

Frédéric Marsaly

Frédéric Marsaly, passionné par l'aviation et son histoire, a collaboré à de nombreux média, presse écrite, en ligne et même télévision. Il a également publié une douzaine d'ouvrages portant autant sur l'aviation militaire que civile. Frédéric Marsaly est aussi le cofondateur et le rédacteur en chef-adjoint du site L'Aérobibliothèque.

2 commentaires

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  • Article très intéressant, surtout pour le modeste pilote PPL que je suis, car il est vrai que lorsqu’on entend aux nouvelles que ‘«Le pilote a pu s’éjecter», on se dit «Ouf! Tant mieux!». Mais ça s’arrête là et on ne pense pas plus loin… Le commun des mortels, n’a pas conscience de la lourde succession décrite: décision, action, choc 1, choc 2 et choc 3!… Pour s’achever dans… Dieu sait quel état… 🤔🫢
    Merci pour toutes ces infos 👌🏻

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  • 7779, 7780, et 7781 se verront offrir par Martin Baker, une cravate arborant les triangles rouges signifiant un danger immédiat.
    Le fabriquant des sièges en offre à tous les pilotes qui ont eu la vie sauve grâce à une éjection.

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