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Dépose minute

Automates

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Thierry Dubois
© Vincent / Aerobuzz.fr

Les progrès en matière d’automatisation sont constants et convaincants. C’est désormais parfaitement réalisable : on peut certifier un avion autonome, ou du moins capable de se contenter d’un seul pilote. La machine sera alors capable de remplacer l’humain s’il est pris d’un malaise, par la machine. Et si l’aviation en profitait pour faire d’une pierre deux coups ?

D’une part, les tristement célèbres erreurs de pilotage seraient reléguées au rayon des mauvais souvenirs. D’autre part, le risque d’une pénurie mondiale de pilotes serait effacé.

Le système Autoland de Garmin est déjà homologué sur de petits avions d’affaires destinés aux pilotes propriétaires. C’est le cas depuis 2020 sur le TBM 940 (six places) de Daher par exemple. Ce dispositif, après une simple action humaine sur un bouton, prend le relais du pilote. Il trouve l’aéroport le plus proche et y fait atterrir l’avion, le tout en communiquant avec le contrôle aérien. Si les agences de sécurité ont certifié cet équipement, c’est qu’il a prouvé sa fiabilité au niveau requis pour les systèmes aéronautiques critiques.

Pourtant, de nombreux pilotes ne veulent pas entendre parler d’une telle automatisation sur les avions qui exigent deux pilotes aujourd’hui. Ils avancent des arguments aussi forts.

Si un problème survient en vol, l’échange de vues et la vérification croisée entre les deux membres d’équipage permet d’éviter l’incident. C’est la partie immergée de l’iceberg : on parle des erreurs de pilotage mais on ignore le nombre d’avions sauvés par la présence de deux pilotes dans le poste.

Plusieurs syndicats de pilotes viennent de lancer une campagne mondiale contre la réduction du nombre de membres d’équipage, autrement dit le pilotage en solo. Elle vise nommément l’agence européenne EASA de la sécurité aérienne, Airbus et Dassault Aviation.

Airbus est connu de longue date en tant que promoteur de l’automatisation. Dassault, qui conçoit un nouveau biréacteur d’affaires haut de gamme, envisage le pilotage en solo en phase de croisière. L’un des deux pilotes du Falcon 10X pourrait se reposer tandis que son collègue resterait aux commandes. Ce serait un avantage sur les avions contraints – conformément à la réglementation – d’embarquer trois membres d’équipage pour les vols les plus longs. L’EASA avance vers le pilotage en solo et prépare des textes dans ce sens.

Toutefois, soulignent les syndicats, le pilote d’essai – impliqué dans la certification – et le pilote de ligne exercent deux métiers différents. Voler à longueur d’année par tous les temps conduit à faire face à des accumulations complexes de difficultés. Parfois, un équipage veut éviter un orage et a du mal à convaincre le contrôleur aérien d’autoriser la nouvelle trajectoire. La négociation dure de longues minutes. Il faut être deux pour se sortir d’une telle situation. Rien à voir avec un vol d’essai.

On a beau faire confiance à la technologie, la synergie entre deux humains reste irremplaçable. Après tout, les ingénieurs aussi travaillent en équipe.

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Thierry Dubois

Thierry Dubois est journaliste aéronautique depuis 1997. Ingénieur Enseeiht, il s’est spécialisé dans la technologie – moteurs, matériaux, systèmes — et la sécurité des vols. Chef du bureau français du magazine Aviation Week, il anime aussi des rencontres comme les tables rondes du Paris Air Forum. Pour Aerobuzz, Thierry Dubois couvre notamment les hélicoptères civils et des sujets techniques.

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  • Oui, les pilotes d'essai et les pilotes d'essai ne font pas le même métier.
    Les pilotes d'essai choisissent les conditions du vol, les pilotes de ligne les subissent.
    Je rejoins Christian Leclerc sur l'inexorable marche du progrès.
    Les syndicats sont opposés au passage à 1 pilote, c'est dans leur rôle.

    Pour Stanloc : si le Pilote Automatique de l'AF447 avait continué à fonctionner, il aurait commis les mêmes erreurs puisque les données provenaient des mêmes sources.
    Par ex, lorsque l'altimètre a indiqué une mise en descente (fausse en réalité l'avion était resté en palier) , il aurait cabré comme l'a fait le pilote pour remonter à son niveau. L'avion serait alors parti en montée, comme l'AF447.
    AF 447 : les FD (Directeur de vol,) par 5 fois en 50 secondes ont donné un ordre à cabrer. Le PA aurait, comme les pilotes suivi ces ordres.
    Le Speedtrend a donné une indication de forte accélération alors qu'en réalité la vitesses s'effondrait : le PA, comme les pilotes aurait suivi FD et Speedtrend en cabrant pour "casser" la vitesse.... entrant comme les pilotes en décrochage sans le savoir.

    Il faudrait donc des systèmes avions particulièrement solides, bien blindés pour tous les cas connus et tous les cas inconnus pour s'affranchir de tous les obstacles imaginables.
    Je l'ai déjà dit, on entre alors dans les statistiques de pannes pour laisser au destin le soin d'éviter le pire.

    Attention : l'autorité (EASA en Europe) laisse au constructeur la responsabilité de définir le niveau de criticité d'un système.
    Ex AF 447 : panne des sondes Pitot classée medium/major par Airbus, par la FAA classée Catastrophic.

  • La seule réponse possible : est-il possible de ne conserver qu'un pilote sans réduire la sécurité ?
    La technique peut présenter des défaillance, l'être humain aussi.
    Et être à deux pour analyser une situation difficile peut aider ...ou pas.
    Alors l'affirmation que cette synergie est "irremplaçable" représente l'avis de Thierry Dubois.
    Cet avis est parfaitement respectable mais ne constitue pas le résultat d'une analyse rigoureuse.
    Le référentiel en question ne peut être le niveau (supposé ?) des pilotes Français mais intéresse la totalité des pilotes de ligne, y compris ceux dont le faible niveau en anglais rend extrêmement aléatoire la qualité de l'échange avec le contrôle aérien : le web est plein d'enregistrements de dialogues avec des pilotes au niveau FCL055 clairement usurpé. Juste cet exemple pour expliquer que le support accru d'une intelligence non humaine ne peut être balayée du revers de la main.
    Et dans ce cadre le refus A PRIORI des syndicats de pilotes Français (et d'autres pays ?) nous ramène aux réflexes corporatistes déjà rencontrés lors du passage du cockpit de 3 à 2.

  • Ah! mon cher Gil ça me rappelle un échange que j'avais eu avec BZ (Bernard Ziegler pour les Airbusiens). En fait ça avait débuté avec le mini-manche. Je lui disais que ce choix s'imposait pour les avions de chasse, où les forts taux de G affectent le déplacement vertical des membres du pilote (le plus souvent en solo celui-là), mais que je ne comprenais pas son adoption sur les avions de ligne car il minimise le cross-check. Je m'étais fait traiter de rétrograde et d'adepte de l'équipage à trois, après qu'il m'eût posé la question : "mais vous êtes d'Air France". J'avais eu de la chance ce coup-là parce qu'il n'était pas allé jusqu'à me traiter de "chauffeur de taxi".
    Récemment un journaliste free-lance - pardon pour tous ces néologismes anglo-saxons, mais on est obligé de composer avec eux en aviation -, me posait la question : "comment voyez-vous l'aviation de ligne en 2050 ?" Après un soupir trahissant mon humilité devant la réponse à élaborer, je lui dis : "il me semble que le concept de la conduite des aéronefs relève des vases communicants ; à travers les automatismes dont il dote les avions l'ingénieur prend des parts du domaine de prédilection du pilote." La question est de savoir où cela s'arrêtera ? La suppression complète de l'élément humain dans la conduite de l'avion de ligne, comme elle risque d'arriver très vite dans l'aéronef guerrier ? Probablement, mais la question subsidiaire que je pose est : "l'avion de ligne peut-il devenir un drone ?" Et là, ce sera sans moi, en tout cas à cause de mon âge parce que je ne verrai pas 2050, et peut-être pas 2030 ou 2040, mais surtout parce que je ne monterai pas en passager dans un tel engin. Tandis que, côté militaire, on ne demande pas leur avis aux bombes.
    Ainsi, quand on développe le sujet, on tombe au bout du compte sur l'actuel débat de l'intelligence artificielle. Mais voilà, je ne dois pas être assez intelligent pour tout comprendre, sauf à me laisser tarauder par cette question lancinante : "Et quand plus personne ne travaillera, qui paiera la retraite à… 34 ans ?"

  • On se souvient de la polémique lorsque les équipages sont passés de 3 à 2 membres. Depuis lors, le nombre d'accidents a-t-il augmenté, faute de ce troisième équipier ? A l'heure de l'intelligence artificielle, qui peut contester que la machine est aussi capable que l'homme de prendre des décisions prenant en compte tous les paramètres, et avec l'avantage de n'être soumise ni à la fatigue, ni au stress ? L'amélioration de la sécurité des vols depuis des décennies est-elle le fait de l'évolution des technologies ou de l'amélioration des techniques de pilotage ?
    Dans tous les domaines, il faut adapter sa culture à la révolution technologique, et cela fait maintenant plus d'un siècle que cela dure. C'est parfois difficile et cela se comprend, mais on n'arrête pas le progrès, c'est ainsi.

    • Visiblement, les leçons de German Wings (et avant cela, LAM, Egyptair, RAM et j’en passe…) n’ont hélas pas été retenues.

      On serait tenté de se dire qu’il suffit de mettre un système de contrôle à distance, mais ce serait une très mauvaise idée, et ce, à plusieurs titres. Le pilote peut débrancher le fusible lié au système, le signal peut être perdu (brouillé, zone hors portée), le signal peut être piraté… et puis, qui dit que le pilote qui prend les commandes à distance ne sera pas plus dangereux. Imaginez un peu un terroriste qui prend de force les commandes d’un appareil et le plonge au sol, sans que le pilote à bord ne puisse faire quoi que ce soit ?

      Maintenant l’AI. C’est actuellement le sujet préféré des médias grand-public. En effet, les tartes-up de la Silicon Valley ont un grand besoin d’argent (hé, c’est la crise !), d’où une phénoménale opération de comm, pour faire rêver la ménagère (et inquiéter le gueux).

      En clair, c’est une bulle, comme l’était la bulle internet fin 1990 – début 2000. Seuls les projets viables (une minorité) survivront. De plus, comme l’internet, l’AI est un outil de productivité, et non un outil de remplacement.

      L’AI ne pourra pas remplacer les pilotes avant de nombreuses années. L’AI n’est pas intelligente, c’est une bibliothèque de données, et de réponses à apporter. Plus concrètement, une AI ne reconnaitra jamais à 100% une ingestion aviaire ; elle analysera les paramètres moteurs et en déduira par statistiques, qu’il y a 80% de chances que les moteurs se soient pris une oie de 5kg.

      Pour que l’AI puisse déduire cela, il aura fallu au préalable créer un modèle avec des milliers de cas de péril aviaire. Mais cela n’est qu’une partie du problème. Une fois l’incident aviaire détecté avec une proba de 80%, l’AI doit savoir quoi faire, en fonction de l’environnement, de l’aéroport le plus proche, des conditions de l’appareil.

      Bref, un seul pilote dans le cockpit de vols commerciaux, c'est une très mauvaise idée. L’AI peut être une aide, au même titre que le GPS ou le pilote automatique, mais pas un remplaçant.

      Si vous maîtrisez l’anglais, la chaine Youtube Mentour Now a fait une très bonne vidéo sur le sujet intitulée « Will Ai Steal Pilot Jobs »

  • Première remarque et question : pourquoi ne faire participer à ce genre de démarche qu'une partie des gens concernés (syndicats qui ont toujours des points de vue politiques à défendre avant tout) alors que les pilotes ne sont pas si nombeus que cela pour les impliquer TOUS dans cette réflexion ?
    Deuxième question : Pourquoi le pilote AUTOMATIQUE du vol Rio-Paris a "fait lève-rames" ' comme on dit dans la marine parce que ses sondes Pitot ont connu le givre ? C'était du matériel certifié non ?
    Je sais aussi (de source bien informée) que si LES DEUX pilotes n'ont pas la réponse aux questions qu'ils se posent après consultation des ordinateurs de bord ils décrochent le téléphone satellite pour se faire aider du sol

    • Pour notre part, nous avons proposé à Airbus de participer à ce talkshow de mardi prochain. Après s'être passé l'invitation d'un service de presse à l'autre, notre demande s'est perdue dans les méandres du système de communication du constructeur. Après, il était trop tard pour trouver un "speaker". Dommage. Nous tenterons à nouveau notre chance pendant le salon du Bourget… A suivre !

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