Les Marines ont tranché, leurs AV-8B Harrier II seront retirés du service en 2027. Sur la petite quarantaine encore en service, la moitié partira à la casse en 2026 et le reliquat l’année suivante. Sur la base de Cherry Point, en Californie, la formation des nouveaux pilotes et mécaniciens est terminée. Les deux derniers escadrons vivent sur leurs acquis et l’avion est à présent en longue finale. L’Espagne et l’Italie, les deux autres utilisateurs de l’AV-8B, ne disposent que d’une douzaine d’appareils chacune et ça sent également le sapin autour de la Méditerranée.
Le Harrier était un pionnier qui avait apporté la première réponse opérationnelle au fantasme de l’avion de combat STOVL (décollage court, atterrissage vertical). Le Harrier avait ses défauts, mais il avait aussi des qualités qui lui avaient permis de répondre aux défis des années 1960, liés notamment à la vulnérabilité des bases aériennes. Au début des années 1980, l’avion avait fait le bonheur de la couronne britannique en sauvant les Falklands. Aux Etats-Unis, il avait fait encore plus fort : il avait carrément sauvé l’aviation de combat de l’US Marines Corps.
L’USMC est la quatrième armée américaine, après l’Army, l’Air Force et la Navy. A la louche, les Marines représentent en taille et en puissance de feu, l’équivalent des armées françaises, hors nucléaire.
L’USMC s’est battu partout dans le monde, mais surtout et avant tout au Pentagone pour survivre et ne pas être dépecé. Quand une administration est sur la sellette, que fait-elle ? Elle explique qu’elle est indispensable.
Pour les Marines, cette logique s’est traduite par le financement de machines atypiques, taillées sur mesure pour répondre aux exigences de l’assaut amphibie qu’ils étaient les seuls à pratiquer. Le V-22 que l’on ne présente plus, c’est les Marines. Le CH-53K à 140 millions de dollars pièce, c’est encore les Marines. Et le F-35B, c’est toujours les Marines…
Peu importe si les AV-8B opérèrent finalement très peu depuis les navires d’assaut pour lesquels ils avaient été conçus. En Irak ou en Afghanistan, ils étaient basés à terre, comme de vulgaires F-16. Mais le Harrier était un rêve éveillé que l’USMC voulut à tout prix prolonger en s’invitant lourdement dans le programme F-35.
On connait la suite : le F-35 aurait pu être un F-16 2.0, un Sukhoi 75 russe ou un J-35 chinois. En somme, il aurait pu être beau et fin, mais il restera toute sa vie large comme un crapaud et personne ne voudra jamais l’embrasser sur la bouche. L’US Air Force, l’US Navy et tous les clients exports paieront cette faute originelle pendant encore des décennies.
Le psychologue anglais James Reason, qui vient de nous quitter à 86 ans, nous enseignait qu’un enchaînement de fautes bénignes pouvait court-circuiter un à un tous les garde-fous et in fine aboutir à une catastrophe. Sa « théorie des plaques » s’appliquait finalement à toutes les activités humaines, aux accidents d’avion comme aux déraillements industriels. Et donc à l’histoire du F-35.