Vive qui ?

Mardi 31 janvier 2023, Boeing a livré le dernier 747 à la compagnie Atlas Air, mettant un terme à plus d’un demi-siècle d’une saga aéronautique et industrielle remarquable. Le 747 partage une particularité avec l’élancé supersonique dont il est contemporain ; il est l’autre avion que le vulgus pecum non porté sur les choses de l’air est quand même capable d’identifier d’un seul regard !  

Il est l’avion qui a ouvert le ciel au monde entier. Certains disent aujourd’hui qu’il est un des symboles d’un monde qui s’éteint. De la partie de pêche où Juan Trippe, le tout puissant boss de la PanAm, et Bill Allen, alors à la tête de Boeing, ont conclu leur accord tacite : « un avion de 400 places ! Si tu le construits, je te l’achète », à la livraison du 1574e, c’est plus d’un demi-siècle d’histoires et l’illustration qu’à l’impossible nul n’est tenu !

L’aventure 747 s’est écrite devant les yeux d’un monde qui n’y a peut-être pas prêté l’attention qu’elle méritait. Pensez-donc ! Le Jumbo a volé pour la première fois le 9 février 1969, moins d’un mois avant Concorde, quelques semaines avant Apollo 11 !  Et on s’étonne de cette indifférence dans un siècle où l’exceptionnel était quotidien ?

Dans son cockpit étroit, dans les allées de ses cabines, ce sont aussi des histoires qui se sont nouées, des centaines de milliers de navigants et plus de 7 milliards de passagers qui se sont croisés pour le meilleur comme pour le pire.

Ce furent les transatlantiques glamours aux couleurs de la PanAm ou d’Air France et les rases mottes au-dessus des forêts californiennes par le Supertanker, ce fut le Air Force One des présidents US et Ed Force One, le 747 de la tournée d’Iron Maiden, ce fut SOFIA ou le Stratolaunch !

Mais ce fut aussi la piste de Los Rodeos à Tenerife, site de la plus terrible collision aérienne de l’histoire, ou les pentes du mont Takamagahara où le vol JAL123 a terminé sa terrible trajectoire. Qui que nous soyons, le 747 a été présent dans nos vies même si ce ne fut peut-être qu’à l’écran avec Bruce Willis, Coluche ou Belmondo !

Un avion n’est qu’un assemblage complexe de pièces inertes, mais pour ceux qui ont passé parfois des milliers d’heures de vol à son bord, c’est un environnement plus que familier. Quels meilleurs témoignages peut-on en espérer que les larmes qui coulaient sur les joues des équipages qui se posaient à bord des derniers 747 à la dérive tricolore ce 11 janvier 2016 lorsqu’on leur annonça « pour la dernière fois, PNC aux portes, désarmement des toboggans, vérification de la porte opposée. »

Et des larmes il y en a eu forcément beaucoup à Seattle parce que tout le monde ne peut pas dire : je construisais « la Reine des Cieux » !

Boeing l’assure : dans 50 ans, des 747 voleront encore !  On les regardera alors avec le même œil surpris et fasciné que lorsque passe une Pacific 231 et son anachronique panache de fumée, symbole du génie humain et d’une période à jamais révolue.

Avec cette dernière livraison, la Reine est morte un peu et on peine à trouver un successeur.

La Reine est morte, vive qui ?

Frédéric Marsaly