Il s’agit de la toute première opération de levage jamais réalisée sur la Tour Eiffel, âgée de bientôt 133 ans. © Télédiffusions de France
Le mardi 15 mars 2022, la Dame de Fer a grandi de 6 mètres, à 330 mètres. Une antenne de radio numérique a été héliportée au sommet pour le compte de Télédiffusion de France (TDF). Une opération très délicate confiée à Hélicoptères de France (HDF) et pour laquelle les pilotes qualifiés sont très rares…
Avant d’accepter la mission, le directeur de HDF, Jean-Marc Geneschi, a pris le temps de la réflexion : « Il y a eu beaucoup de contraintes, règlementaires et techniques. C’est un environnement particulier où le pilote doit tenir en stationnaire sans aucun repère. Idéalement il faudrait une machine adaptée type Super Puma et un pilote automatique sur 4 axes. »
Il a d’abord fallu trouver un pilote à la fois capable et volontaire pour réaliser ce vol unique. En France, sur les 40 pilotes de HDF (et 85 au total au sein du Groupe HBG Hélicoptère dont fait partie l’entreprise de Gap-Tallard), à peine une dizaine sont spécialisés en travaux de levage et cinq sont instructeurs.
« J’en ai repéré deux potentiellement capables. Malgré ses 18.000 heures de vol, le premier a refusé. Il ne le sentait pas. L’autre est un spécialiste, notamment de pylônes pour les lignes électriques, il en réalise 5 à 10 par semaine ! Il s’est porté volontaire. »
C’est donc Franck Charlet qui a décollé du Champ de Mars vers 11h00 mardi 15 mars 2022 pour accomplir cette mission atypique.
« La règlementation exige une machine biturbine » précise Jean-Marc Geneschi. « Le choix s’est donc porté vers l’AS355N. Notre flotte, composée aussi du 365 et de l’EC 135, n’a pas d’autre équivalent dans cette catégorie. »
Le 135 est en effet inadapté au levage (rotor rigide notamment), et le 365, trop lourd, n’est techniquement pas capable d’assurer un vol en stationnaire « HES N-1 » tel qu’imposé par la Préfecture de Paris.
L’Ecureuil AS 355N de Hélicoptères de France au décollage du Champs de Mars pour une mission courte, mais très délicate ! © Télédiffusions de France
Avec une masse au décollage de 1,75 tonne (en considérant le kérosène, le pilote et le matériel de levage), l’AS355N ne laisse pas beaucoup de marge pour emporter l’antenne. Les deux turbines Turbomeca offrent 470 ch de puissance chacune et une capacité de levage de 1,134 tonne. Le poids de l’antenne numérique (longue de 6 mètres) à acheminer au sommet de la Tour Eiffel est de 400 kg.
« Les turbines libres qui entrainent une certaine inertie dans les réactions de l’appareil ne permettent pas non plus de travailler très précisément en limite de puissance : les variations engendrées par les mouvements du pilote ou par des petites rafales font passer les aiguilles facilement au-delà des limites… »
Pour cette mission l’appareil était en limite de puissance. En cas de panne moteur, une seule turbine offrirait presque deux fois moins de puissance que le B3 avec ses 900 ch. « C’est un peu paradoxal car au final le 355 est, bien que moins lourd, est moins puissant en cas de problème ! La réglementation européenne nous handicape nettement plus qu’elle ne nous aide sur ce type de travail » explique le patron de HDF…
L’AS 355N et sa cargaison à la verticale, visible seulement en sortant la tête ! © Télédiffusions de France
L’appareil offre toutefois des avantages, notamment grâce à ses pâles en composite, ce qui donne une structure à la fois plus légère et plus solide et la tête de rotor Starflex, semi-rigide, « qui rend l’appareil plus doux, précis et plus souple. »
Le pilote Franck Charlet fait du levage héliporté depuis une dizaine d’années et travaille habituellement sur AS350 B3, qui reste le mono-turbine le plus utilisé en montagne pour effectuer des levages de charges possibles jusqu’à près de 1,4 tonne.
« Il a fallu le requalifier au biturbine » nous confie Jean-Marc Geneschi. Un mini stage de 7 heures effectué moins d’un mois avant l’opération « afin de ne pas perdre la main » a suffi ; tout en nécessitant à l’issue un test obligatoire de validation de QT. L’occasion aussi pour le pilote de s’acclimater au AS355N qui n’est « pas vraiment adapté à la base » ; il ne possède pas de porte à bulle ni de fenêtre au plancher pour offrir une visibilité à la verticale sous les pieds du pilote…
Seul à bord, en place droite, le pilote était attaché. La porte a été retirée car c’est le seul moyen pour lui de voir ce qui se passe en dessous.
« C’est très délicat » explique Jean-Marc Geneschi, « car le pilote doit tenir sa machine à la verticale sans pouvoir regarder ses instruments, il a les deux mains prises, et la tête complètement sortie pour surveiller la position de son chargement. »
L’oscillation au décollage n’est plus permise une fois au sommet… © Télédiffusions de France
L’élingue de levage doit être d’au moins 25 mètres de long « car plus courte le pilote ne verrait pas l’antenne, puisqu’elle est étroite et en position verticale à 330 mètres au-dessus de rien… »
L’autre technique (non retenue), celle du miroir, consiste à utiliser un rétroviseur à travers lequel on peut garder l’œil sur la cargaison externe. Il y a des avantages car le pilote peut de l’autre œil surveiller les commandes et instruments tout en ajustant le miroir à distance à l’instar d’une voiture.
L’appareil à la verticale quelques secondes avant la « contact » avec le sommet. Sous un ciel brumeux à cause des vents de sables sahariens qui ont touchés la France ce jour là. © Télédiffusions de France
Mais il y a aussi des inconvénients « car le pilote voit à l’envers, ce n’est pas du tout intuitif pour lui par exemple lorsqu’il a besoin de légèrement reculer ou avancer sur les 2 axes, les corrections sont délicates… »
En outre, juger la hauteur tout en tenant le stationnaire s’avère plus périlleux. « Il n’y a aucune référence autour de l’hélicoptère, il est loin du sol, sans aucun relief autour, et plus bas c’est une précision à 10 cm près… »
Du sommet de la Tour Eiffel, le « task specialist », qui a l’habitude de travailler avec F. Charlet, était là pour guider l’antenne dans ses derniers centimètres afin de la positionner. Les deux hommes communiquaient par radio « dans un calme absolu. »
L’opération a duré une quinzaine de minutes avec trois heures de retard toutefois, face à une météo capricieuse ce matin-là. Une précision de haut vol qui ne laisse place à aucune improvisation « nous avions toléré jusqu’à 15 kts de vent, pas plus ! » termine Jean-Marc Geneschi.
Jérôme Bonnard
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Bravo pourquoi un 355 N survol Paris bi turbine vu le poids à soulever en plus c’était l’appareil parfait.
J’ai passé mes qualificatifs as350 er 350 b3 et vol de nuit chez hélicoptère de France ceux sont de vrais pro j’ai volé avec Daniel Pujols qui n’est plus..Cristophe schiedrich qui est chez HELI union… bravo pour cette magnifique expérience…
Un B3 aurait mieux fait l'affaire, je ne pense pas que Franck Charlet me dise le contraire !
Je suggère qu'on offre un baptême de l'air aux bureaucrates pour qu'ils commencent à savoir de quoi ils parlent !
Remarquable! Bravo au pilote et à tous les équipiers.
Il y a dans ce pays des professionnels compétents pour endosser pleinement leurs responsabilités, comprenant aussi bien les patrons qui assument que les « oeuvriers » qui réalisent.
Je pense aussi à tous nos militaires en mission un peu partout autour de la planète.
Bravo pour ce travail à Franck Charlet (que je ne connais pas).