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Hélicoptère

Un aller simple pour le Vietnam

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Frédéric Lert

Le 1er juin 1967, peu avant 14h, deux Sikorsky HH-3E du 48th ARRS (Aerospace Rescue and Recovery Squadron) se posent en plein salon du Bourget. Les deux hélicoptères ont décollé la veille de New York et ils ont traversé l’Atlantique d’un seul coup d’aile. L’exploit technique est remarquable, mais avec eux, c’est un peu de la guerre du Vietnam qui s’invite à Paris !

L’aventure des deux Sikorsky a de quoi fasciner les foules… D’abord parce que les appareils représentent le meilleur de technologie du moment. Puissants, imposants, rapides… Le nec plus ultra des hélicoptères made in USA. Ensuite parce qu’ils viennent de traverser l’Atlantique nord d’un seul coup d’aile, en 30 heures, 46 minutes et neuf ravitaillements en vol.

Un peu plus de vingt ans seulement après la première utilisation opérationnelle d’un autre Sikorsky, le R-4B, dans les jungles de Birmanie et sur le théâtre d’opération du Pacifique pendant la seconde guerre mondiale. La rapidité du progrès technique en matière de vol vertical a de quoi fasciner.

Le HH-3E est le premier hélicoptère ravitaillable en vol construit en série. Il s’agit d’un dérivé du CH-3E de transport, utilisé par l’US Air Force, qui n’a pas laissé une empreinte très profonde dans l’histoire de l’hélicoptère. Sans doute a-t-il été éclipsé par les célèbres UH-1 « Huey » de l’Army, entrés en service à la même époque.

Optimisé pour la mission de sauvetage au combat, le HH-3E entrera quant à lui dans la légende à la faveur de la guerre du Vietnam et de son raid transatlantique.

L’appareil est équipé de plaques de titane, près de 500 kg au total, pour la protection de l’équipage et des parties mécaniques. Il reçoit un armement d’autodéfense, un treuil de sauvetage avec plus 100 m de câble terminés par un pénétrateur de jungle. Pour ne rien gâcher, le HH-3E est conçu pour se poser sur l’eau et sa rampe arrière permet de charger et décharger très rapidement soldats et véhicules légers.

Son autonomie est augmentée avec l’emport de deux réservoirs supplémentaires de 200 gallons (757 litres) accrochés à l’extérieur du fuselage et surtout, la capacité de ravitaillement en vol. Il y a donc 60 ans, les Américains qui maitrisent déjà à très grande échelle le ravitaillement en vol des avions de combat et de transport ambitionnent de faire la même chose avec les voilures tournantes. Le raid entre New York et Paris est la démonstration non seulement de leur très grand savoir faire, mais aussi de l’excellence de leurs équipements.

Les deux appareils, numéros de série 66-13280 et 66-13281 décollent donc de New York le 31 mai 1967 un peu après 1h du matin. L’horaire est baroque, mais il s’agit de se caler sur une arrivée à Paris en début d’après-midi. Le départ se fait depuis le Floyd Bennett Field, aérodrome historique de New York d’où son partis ou sont arrivés tant de vols records. Ils ont déjà reçu les codes attribués aux appareils présentés au salon du Bourget : H211 pour le premier, H212 pour le second.

Le HH-3E déjà porteur du code H211 propre au Salon se pose au Bourget à l’issue de sa traversée sans escale. Un véritable exploit technique ! © Sikorsky

A bord de chaque hélicoptère, un équipage de cinq hommes, dont trois pilotes qui vont se relayer pendant les 30 heures nécessaire à la traversée.

Le premier ravitaillement à lieu au-dessus de la province canadienne de Nouvelle Ecosse. Il est suivi d’un deuxième à l’extrémité de Terre Neuve. Puis les hélicoptères s’engagent sur la mer jolie mais froide. Les ravitaillement 3, 4, 5, 6 et 7 se font au sud du Groenland puis de l’Islande.

La route suivie est bien plus septentrionale que celle suivie par Charles Lindbergh quarante ans plus tôt, pratiquement jour pour jour. Un choix dicté par l’exigence des rendez-vous avec les HC-130P qui les ravitaillent en vol et par la volonté de rester à proximité des moyens de secours.

Les HH-3E sont infiniment plus sophistiqués que le Spirit of St Louis, et pourtant la vitesse moyenne n’est pas ébouriffante : 189,395 km/h. C ‘est peu ou prou la vitesse obtenu par Lindbergh avec son Wright Whirlwind de 223cv… Le huitième ravitaillement se fait à la hauteur de l’Ile de Man. Le neuvième intervient en abordant les cotes françaises à la hauteur de Calais. La partie est alors gagnée.

Les deux hélicoptères arrivent à Paris avec un léger décalage : l’un d’eux a légèrement incurvé sa trajectoire pour survoler Londres et faire homologuer un record de vitesse entre New York et la capitale britannique : il réalise la traversée en 29h et 13 minutes et arrive au Bourget douze minutes après le premier. Mais l’affaire n’est pas terminée pour autant : à son arrivée le premier HH-3E effectue  devant le public une démonstration de ravitaillement en vol avec son HC-130P d’accompagnement. Les deux équipages sont accueillis par Igor Sikorsky en personne et son fils Serguei.

L’histoire ne dit pas dans quel état sont les BTP des appareils à leur arrivée à Paris, après une trentaine d’heures de fonctionnement ininterrompu. Quoi qu’il en soit, le succès de l’opération est complet. Mais n’est ce pas une illusion ? Car en arrière-plan se profile la guerre du Vietnam, qui va justement connaitre un pic en 1967 avec près de 500.000 soldats américains engagés et déjà des centaines d’avions et hélicoptères perdus au combat !

Quelques semaines plus tard, les HH-3E sont engagés au combat au Vietnam et mettre à profit leur capacité de ravitaillement en vol. © USAF

Bien loin de la légèreté des opérations de communication, les premiers HH-3E sont basés à Udorn (Thaïlande) et Da Nang (Vietnam). Les opérations sont dures et les pertes nombreuses. En témoigne la destruction des deux hélicoptères qui se sont posés à Paris.

Le 24 octobre 1969, le HH-3E s/n 66-13281 est perdu au-dessus du Laos au cours d’une mission de sauvetage. L’équipage s’en sort et peut être récupéré. Le 66-13280 est quant à lui détruit à Kon Tum (Vietnam) le 15 avril 1970. Le pilote et le mécanicien navigant sont tués, le copilote et les autres membres d’équipages s’échappent in extremis de l’épave en feu. Derrière l’arrivée spectaculaire au Bourget se cachaient bien des drames…

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une trentaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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