Dans le cadre du programme BLADE (Cleansky), Airbus s’apprête à explorer le comportement en vol d’un profil d’aile laminaire. Un A340-300 a été équipé de deux ailes en une. Le premier vol prévu fin septembre 2017 sera un plongeon dans l’inconnu comme l’industrie aéronautique n’en a plus connu depuis des décennies. Les ingénieurs et les pilotes d’essais qui participent depuis 2008 à ce programme n’en peuvent plus d’attendre. Ils ont conscience de vivre une aventure qui ne semblait plus possible à l’ère du numérique et de la simulation.
« Le seul moyen pour comprendre comment se comporte un profil laminaire naturel est de fabriquer un aile et de la faire voler », résume Thierry Fol, le responsable des Flight Lab d’Airbus, ces bancs d’essais volants sur lesquels le constructeur teste des briques technologiques. Le sujet d’étude en cours est de loin le plus ambitieux de tous ceux qui ont été réalisés depuis sept ans, c’est-à-dire depuis la mise en place du premier Flight Lab. Il porte sur le comportement d’un profil laminaire naturel à vitesse transsonique.
Depuis 70 ans, les ingénieurs aéronautiques sont capables d’expliquer comment s’écoule l’air autour d’un profil laminaire à des vitesses d’évolution subsonique. Les constructeurs de planeurs maîtrisent particulièrement bien le sujet. En revanche, jamais personne n’est encore allé voir ce qui se passait, sur un avion de ligne, à des vitesses proches de celle du son. C’est ce que va faire la quarantaine d’ingénieurs et pilotes impliqués dans les essais en vol.
Airbus s’est installé au printemps 2016, sur l’aéroport de Tarbes-Ossun, dans un atelier construit spécifiquement pour le programme BLADE (Breakthrough Laminar Aircraft Demonstrator in Europe) de Clean Sky. Ce bâtiment que récupérera ensuite sa filiale Tarmac Aerosave, spécialisée dans la déconstruction d’avions de ligne en fin de vie, abrite pour l’heure le prototype A340-300 MSN1 sur lequel ont été greffés deux moignons d’ailes.
Chacun mesure une dizaine de mètres de long environ et se substitue à l’extrémité d’aile de longueur équivalente qui a été retirée. Outre son profil différent, cette nouvelle section d’aile présente une flèche moins importante de l’ordre de 20° contre environ 30° pour l’aile d’origine.
Les deux bouts d’aile laminaire diffèrent au niveau de leur fabrication. L’aile droite est dotée d’un bord d’attaque métallique avec un joint entre le bord d’attaque et le revêtement supérieur du caisson. Le bord d’attaque et le revêtement supérieur de l’aile gauche constituent une seule pièce en matériaux composites renforcés de fibres de carbone, de 10 m de long sur 4 m de profondeur au maximum.
Il s’agit de tester en vol deux revêtements différents issus de deux modes de fabrication, l’un beaucoup plus délicat et onéreux que l’autre à réaliser. Mais la finalité étant de produire de manière industrielle des ailes laminaires, les éventuels compromis doivent pouvoir être envisagés le plus en amont possible. Les essais en vol vont permettre de comparer le rendement des deux solutions en vraie grandeur.
« Tous les essais que nous allons effectuer en vol ont déjà été réalisés en soufflerie. Cela nous permettra de définir la règle d’équivalence. Pour l’instant, en ce qui concerne le laminaire, elle n’est pas connue », explique Philippe Seve, l’ingénieur d’essais en vol du programme BLADE A340. Et c’est précisément cet envol dans l’inconnu qui fait briller les yeux des ingénieurs qui à chaque pas doivent faire preuve d’imagination pour inventer de nouvelles solutions.
Le projet BLADE A340 a été lancé en 2008 dans le cadre du programme de recherche européen Clean Sky. Il réunit 21 partenaires, des multinationales, des PME et même des start-up. Les partenaires du programme BLADE de Cleansky : INCAS, DLR, DNW, NLR, BIAS, ONERA, Itainnova, Airbus, Dassault Aviation, SAAB, SAFRAN, Aernnova, GKN Aerospace, Romaero, Eurecat, Sertec, Asco, Aritex, FTI-Engineering, 5micron, VEW-GmbH. « C’est intéressant de travailler avec les meilleurs dans leur domaine respectif pour aller chercher chez eux les meilleurs. Nous nous nourrissons des échanges techniques que nous avons entre nous », affirme Philippe Seve.
L’un des volets du programme qui illustre sans doute le mieux l’ingéniosité de cette équipe internationale pluridisciplinaire est la manière dont le quadriréacteur A340-300 a été équipé pour devenir un laboratoire volant. « A chaque vol, il devrait récolter environ 4 téraoctets de données à travers une multitude de capteurs et un programme d’expériences toutes plus étonnantes les unes que les autres », précise Daniel Kierbel, qui dirige le programme BLADE.
L’A340 est équipé de 34 caméras. A peine plus que les monomoteurs qui participent aux courses Red Bull autour des pylônes. Sauf que ces caméras sont intégrées à des systèmes de mesures sophistiqués dont la finalité est d’analyser l’écoulement de l’air sur l’extrados de l’aile, autrement dit sur sa partie supérieure.
Les fins utilisateurs des profiles laminaires que sont les vélivoles savent tous que leurs ennemis sont la pluie et les moucherons. Ce devrait être la même chose pour les avions de ligne, à commencer par l’A340-300 MSN1 du programme BLADE. « Aux altitudes où évoluent les avions de ligne, il n’y a pas de pluie, en revanche, les nuages avec des cristaux de glace sont un problème. Nous allons effectuer des vols dans des nuages avec cristaux de glace pour établir un lien entre la concentration et la perte de la laminarité. », explique Laurent Malard qui se présente comme « l’architecte » de toutes les solutions en terme d’instrumentation, mises en œuvre sur l’A340.
Quant aux moustiques, des essais seront réalisés dans le sud de la France, au départ d’Istres, en juin 2018. Le bord d’attaque de l’avion sera recouvert d’un papier micro ventousé, à travers lequel passe un double fil, dessous et dessus. Après le décollage, ce fil découpera longitudinalement le film en s’enroulant sur un enrouleur. La vitesse de l’air décollera automatiquement les deux moitiés. « Nous avons opté pour une solution robuste pour les essais en vol. Il est évident qu’elle n’est pas opérationnelle dans le cadre d’une exploitation commerciale », insiste Laurent Malard.
Les ingénieurs ne vont pas se contenter d’aller voler au milieu des moustiques et des cristaux de glace. « Nous allons générer exprès des défauts de surface. Nous allons rajouter des bosses artificielles sur la surface de l’aile pour aller jusqu’à détruire la laminarité avec des défauts. Nous allons aussi essayer de savoir si à certaines fréquences sonores, la laminarité est altérée. Ce sont quasiment des expériences académiques… Avoir la chance de travailler sur un projet comme celui-ci est hallucinant », reconnaît Laurent Malard.
Il a fallu imaginer les équipements d’expérimentation. 1.200 sensors de pression ont été implantés dans l’aile pour la déformer à volonté avec une précision de 40 microns. Le rayonnement du soleil influe également sur l’écoulement laminaire par déformation du revêtement de l’aile. Pour étudier ce phénomène et pour évaluer ses conséquences, aux 2.700 capteurs supplémentaires répartis dans l’aile, vient s’ajouter un dispositif visuel ingénieux.
Ce dispositif a été proposé par la start-up berlinoise 5micron. Il consiste à étudier le reflet de rayures régulières noires et blanches sur le profil laminaire. Il fallait y penser. La qualité du reflet est filmée par huit caméras installées à chaque extrémité d’aile dans un pod. A noter que la vocation première du pod est d’étendre l’écoulement laminaire le plus près de l’extrémité de l’aile. La décision de l’utiliser aussi pour y loger des caméras est venue dans un second temps.
Ce « bricolage de haut vol » illustre la démarche permanente qui est celle des ingénieurs d’Airbus et de leurs collègues des 20 autres entreprises du programme BALDE A340. Il s’inscrit dans la même logique que l’adhésif anti-moucherons. Face à un problème, il faut avancer sans apriori et oser. Oser comme l’industrie aéronautique se l’interdit depuis trop longtemps maintenant, oser pour avoir la chance de faire une découverte inattendue.
A noter au passage que le pod monté à la place des winglets est une solution expérimentale. Elle n’a pas été optimisée du point de vue de la trainée, et ne préjuge en rien de l’équipement définitif de l’aile. « Le bout d’aile sera étudié plus tard », tranche Philippe Seve qui ne cache pas son impatience de voler.
Philippe Seve sera l’ingénieur en vol au cours de la quarantaine de vols (soit environ 150 heures de vol) que doit compter le programme. Ils se dérouleront en deux campagnes. La première débutera fin septembre début octobre, et la seconde, au printemps 2018. A l’exception du premier vol prévu avant fin septembre 2017 au départ de Tarbes, et des vols dans les nuages de moustiques au départ d’Istres, l’A340-300 MSN1 sera basé à Toulouse-Blagnac où Airbus dispose de moyens complets d’essais en vol et en particulier des systèmes de télémesure qui permettront de suivre en direct depuis le sol, le déroulement des expériences.
« On a choisi un avion ancien et on a branché dessus une techno non qualifiée. C’est le rêve de tout ingénieur », déclare Thierry Fol. « C’est un vrai prototype que nous allons faire voler. » résume Philippe Seve. « Nous avons modifié les ailes, enlevé les becs et les réservoirs, ajouté des pods, modifié la dérive de direction pour implanter des caméras, … ».
Et pour étudier le décrochage du profil laminaire, les ingénieurs équiperont l’aile, pour un sol spécifique, de fils de laine, chers au cœur des vélivoles. Sauf que les fils de laine des ingénieurs d’Airbus sont un peu plus sophistiqués que ceux des pilotes de planeurs. Mais dans l’esprit c’est la même chose.
Gil Roy
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Ça laisse rêveur, enfin des industriels qui acceptent le risque de laisser les ingénieurs s'exprimer, tester, à l'ancienne.