Airbus n’a pas attendu la première rencontre des présidents français et chinois pour faire de cet eldorado du transport aérien qu’est la Chine, sa nouvelle frontière. Sa chaine d’assemblage finale A320 en service à Tianjin depuis dix ans entame une nouvelle montée en cadence. Juste à côté, les livraisons des premiers A330 aménagés localement débutent. Pour des décennies à venir, Airbus mise sur la Chine, vaste marché où l’A380 pourrait même s’y découvrir un avenir.
A la veille de l’arrivée d’Emmanuel Macron en Chine, début janvier 2018, les paris étaient ouverts sur le nombre d’avions qu’allait commander la Chine à Airbus. Une visite d’Etat, c’est un peu comme un salon aéronautique ; il faut à tout prix en revenir avec quelque chose. A défaut de contrats, des promesses d’achat. A défaut de protocole d’accord (ou MOU), des déclarations de bonnes intentions.
A Pékin, d’un commun accord, politiques chinois et français n’ont fait que s’inscrire dans la dynamique en place, d’autant que la chancelière Merkel avait précédé le président Macron. En juillet 2017, en effet, lors du voyage officiel de Xi Ping en Allemagne, la Chine avait commandé 140 avions pour un total de 22,8 milliards de dollars, prix catalogue.
Même si les besoins des compagnies chinoises sont immenses, il est difficile pour Airbus de signer de nouveaux contrats, à chaque rencontre officielle. Les 180 A320neo annoncés juste avant que la délégation française n’embarque pour Paris, relèvent plus d’une fuite orchestrée par l’Elysées que d’une annonce. Elle a d’ailleurs pris de cours le constructeur, qui en aparté fait remarquer que compte tenu des besoins de la Chine, entre deux contrats, il y a souvent des négociations en cours. Mais qu’à ce stade rien n’est signé, ni commandes, ni promesses d’achat.
La présidence française ne voulait surtout pas donner l’impression qu’Airbus avait été négligé lors de cette première visite officielle du président français en Chine, alors que le programme était chargé. D’où cette tentation d’enfoncer des portes ouvertes et même de dispenser des conseils aux industriels.
C’est ainsi que dans un communiqué de presse officiel franco-chinois, « Les deux chefs d’états invitent Airbus et ses partenaires chinois à mener des discussions pour de nouvelles coopérations A330, A350 et A380. La Chine souhaite, en conformité avec les besoins de développement de son marché du transport aérien, poursuivre ses achats d’avions Airbus sur la base de négociations avec la partie française mutuellement bénéfiques et amicales. »
Airbus n’a pas attendu cette « invitation » pour s’engager dans la voie de la coopération industrielle avec la Chine, ni même pour décider d’augmenter de 50% les cadences de production de sa chaine d’assemblage final A320 de Tianjin, à l’horizon 2020. L’industrie aéronautique chinoise est partie prenante de la chaine d’approvisionnement (supply chain) du constructeur. A l’exception de l’A380, tous les avions Airbus, quelque soit le modèle, ont tous un peu de Chine.
Cette coopération historique a évidemment pris une toute autre dimension quand Airbus a décidé d’implanter une ligne d’assemblage finale A320 en Chine. Comme Fabrice Brégier, le président de la division Avions commerciaux d’Airbus, l’a rappelé dans l’interview qu’il a accordée à Aerobuzz, il y a un peu plus de dix ans, ce choix était un pari sur la croissance à venir du transport aérien chinois.
Boeing pour sa part a été moins rapide et moins audacieux. Ce n’est qu’en septembre 2015 qu’il a noué un partenariat avec le chinois Comac pour implanter en Chine (à Zhoushan, province de Zhejiang), un centre d’aménagement intérieur de 737, et de livraison. La construction des installations a débuté en mai 2017 et l’entrée en service est prévue fin mars 2018.
Fabrice Brégier affirme que cette stratégie a permis à Airbus de vendre en Chine, plus d’avions que Boeing sur la période et ainsi de doubler sa part de marché, en passant de 25 % environ en 2005, à 50% aujourd’hui. Les deux constructeurs s’accordent pour estimer que sur les 20 ans à venir, la Chine aura besoin d’une quantité importante d’avions neufs ; l’estimation va de 6.500 avions selon Airbus à 7.240 selon Boeing.
Le premier A320 assemblé en Chine a été livré en juin 2009 à Sichuan Airlines. Fin 2017, à la veille de la visite du président Macron en Chine, Airbus avait produit 50 appareils à Tianjin. La cadence actuelle est de quatre avions par mois. Le nouvel objectif est d’atteindre 6 avions en 2020, en passant par 5 en 2019.
Tianjin est intégré au même circuit d’approvisionnement que les autres lignes d’assemblage final d’Hambourg, Toulouse et Mobile. La majorité des éléments sont regroupés à Hambourg d’où ils sont ensuite expédiés par bateau jusqu’au port de Tianjin (6 semaines de voyage). Les voilures entièrement équipées et testées par Xi’an Aircraft Company, en Chine, sont directement livrées sur la ligne, ainsi que les sharklets (winglets) produits en Corée et les sièges. Les nacelles et les moteurs sont expédiés depuis Toulouse, en partie assemblés.
Tianjin est un copier/coller de la chaine d’assemblage final d’Hambourg. Tous les éléments sont regroupés et contrôlés dans un hangar voisin du hangar 9 dans lequel sont assemblés les A320. On retrouve la station 42 où le fuselage et la pointe avant sont assemblés et les systèmes connectés, la station 40 où la voilure est montée sur la cellule, le train d’atterrissage installés, les pylônes moteur mis en place et les systèmes testés, et enfin la station 35 où, notamment, tout ce qui peut être testé en l’absence des moteurs l’est. Le montage des moteurs qui nécessite six jours (un jour supplémentaire de test pour la version neo) est réalisé dans un autre hangar voisin, ainsi que la peinture.
A l’origine, Tianjin avait pour vocation l’assemblage final des modèles A319 et A320. En 2017 a débuté l’assemblage des premiers A320neo. Six ont déjà été livrés : 2 à Air China équipés de moteurs Pratt & Whitney Pure PW1000G, et 4 à Air Asia avec des moteurs CFM Leap-1A.
La prochaine évolution portera sur l’assemblage des premiers A321 qui nécessite un outillage différent. « Les deux types d’avion sont bien repérés. Cela ne constituera pas un challenge pour les cols bleus », affirme Ralf Stücker, le directeur de l’unité de Tianjin. « 65% d’entre eux sont là depuis le début, c’est-à-dire depuis 10 ans. Ils sont très performants ».
La montée en cadence qui va donc faire passer le nombre d’avions assemblés chaque mois de 4 à 6, entraîne l’embauche de 110 salariés supplémentaires. Ils sont actuellement 330. « Les recrutements seront progressifs, en fonction de la montée en cadence. Nous prévoyons entre 15 et 18 mois de formation. Nous recherchons des jeunes à la sortie des écoles. Il est difficile de trouver des professionnels expérimentés. Nous sommes en concurrence, non pas avec les autres industriels, mais avec les compagnies aériennes ».
Toutefois depuis la première vague de recrutement, il y a dix ans, le contexte a évolué et il n’est plus nécessaire d’envoyer systématiquement les nouvelles recrues en stage de plus ou moins longue durée, en Europe. Le compagnonnage est désormais possible au sein de l’unité de Tianjin. « Pour le « neo », il a néanmoins été nécessaire d’envoyer un partie des techniciens en Europe », souligne le directeur de l’usine de Tianjin.
Depuis plusieurs mois, les recrutements sont non seulement liés à la montée en cadence de la ligne d’assemblage final A320, mais également à l’ouverture, à Tianjin, du centre d’aménagement commercial et de livraison C&DC (Competion and Delivery Centre) A330. Une cinquantaine de techniciens chinois parmi les plus anciens ont été transférés de la ligne d’assemblage final A320 vers le nouveau centre opérationnel depuis mi-2017. « Ces 50 techniciens constituent l’ossature de la nouvelle équipe. Ce sont des référents. Ils possèdent la culture et les valeurs d’Airbus. C’est un savoir qui n’est pas lié à la technique, mais qui est important », explique Julien Montcru, le responsable du centre de finition A330. « Airbus procède de cette manière en Europe, entre ses différents programmes. Cela permet un brassage et rajoute de l’expertise ».
Actuellement, les effectifs du nouveau centre A330 se composent de 150 chinois et de 70 européens. En complément des techniciens venus du secteur A320, Airbus recrute directement à la sortie des écoles des jeunes âgés d’une vingtaine d’années en moyenne et des techniciens issus de compagnies aériennes. « La formation dure de 7 à 18 mois. Une partie des nouveaux techniciens est envoyée en Europe sur la ligne d’assemblage finale A330. »
A noter que si le personnel de la ligne d’assemblage final A320 et du C&DC A330 entre dans les effectifs de la joint venture franco-chinoise, en revanche, les pilotes basés à Tianjin, y compris un pilote chinois, font partie d’Airbus. Leur mission est de réaliser le premier vol en sortie d’atelier ainsi que le vol de réception de l’avion avec les pilotes de la compagnie cliente.
Ce nouvel outil industriel implanté à Tianjin par Airbus a été inauguré le 20 septembre 2017. Cet événement a été officialisé par la livraison à la compagnie chinoise Tianjin Airlines du premier A330 aménagé par des équipes franco-chinoises. L’aménagement intérieur de l’appareil a été réalisé à Toulouse avec les techniciens chinois du C&DC encadrés par des formateurs européens.
Cet A330 est néanmoins considéré comme le premier A330 livré par l’unité de Tianjin. Il a permis de valider le cheminement réglementaire de l’entrée en Chine, ainsi que la phase de livraison. Le deuxième A330, destiné à China Eastern, a été utilisé pour valider le processus d’aménagement cabine et les essais constructeur.
Le troisième, également destiné à China Eastern, est arrivé sans aménagement, ni peinture, dans la livrée verte d’apprêt. Pour lever toute ambiguïté, Airbus a décidé de faire figurer « Airbus Production Aircraft » sur le fuselage de tous les avions destinés à être pris en charge par le C&DC de Tianjin. C’est nouveau.
Ce nouveau centre comprend un atelier de peinture, un hangar de pesage et un hangar principal de 16.800 m2 pouvant accueillir trois avions, indifféremment et simultanément des A330 et dans le futur des A350-900 et A350-1000. Le premier A330neo doit être aménagé en 2019.
Les infrastructures sont distinctes de celles de l’A320. Seul le centre de livraison est commun à l’A320 et à l’A330. Airbus a reproduit, à ce niveau aussi, son modèle européen en Chine. Le C&DC de Tianjin prévoit d’employer plus de 250 personnes, et sera prêt à livrer deux appareils par mois dès le début de 2019.
Quand le nouvel équipement aura fini sa période de rodage, le cycle total de la réception de l’avion non peint (« green aircraft ») à la réception client durera de 9 à 10 semaines. Dans un souci d’optimisation, le vol de convoyage de Toulouse à Tianjin est mis à profit pour réaliser des mesures de performances, tout en sachant que l’avion est non peint et est plus léger. Le vol est réalisé par trois pilotes et un ingénieur d’essais en vol.
A partir de 2020, Airbus devrait être en capacité de livrer, chaque mois à Tianjin, 6 monocouloirs et 2 gros-porteurs. Et cela en grande partie avec des techniciens chinois formés par ses soins. C’est le prix à payer pour décrocher des contrats dans un pays où, en dernier ressort, c’est l’Etat qui appose sa signature au bas des contrats commerciaux. Airbus estime que l’assemblage final représente moins de 10% de la valeur d’un avion. Les finitions encore moins évidemment.
Dans quelques années, Airbus et Boeing auront en face d’eux des concurrents chinois. A ce moment, Airbus pourra se prévaloir de produire en Chine. Mais d’ici là, les commandes se jouent entre Airbus et Boeing et force est de reconnaître que, jusque-là, la stratégie européenne s’est révélée payante.
Gil Roy
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Qui a dit: les hommes d'affaire sont tellement stupides qu'ils nous vendront la corde pour les pendre? C'est toujours d'actualité.
C’est Staline je crois qui disait que les capitalistes vendraient la corde pour les pendre ...
Un immense pays nationaliste fabriquant tout et n importe quoi dont la contrefacon empoisonne le monde (au propre comme au figure). De quoi douter...
Il semble que jusque là le montant des ventes en chine est équivalent pour Airbus et Boeing. La stratégie d'Airbus est-elle si payante que cela ?