Si l’endettement à long terme d’Airbus a augmenté de 65% entre 2019 et mi-2020, celui de Boeing a triplé. Le constructeur américain ne dispose plus de fonds propres. Sa charge de la dette va exploser dans les mois à venir. Autant de handicaps dans la perspective d’une reprise de l’activité qui ne cesse de reculer.
Depuis le début de la crise du 737MAX, Boeing a vu son carnet de commandes fondre à 5.160 unités (au 31 août 2020). Sur les 8 premiers mois de 2020, le constructeur américain a enregistré 932 annulations. De son côté, sur la même période, Airbus a également enregistré des annulations, mais au final, le solde net est positif à 303 unités. Airbus a en commande 7.501 avions. La différence entre les deux avionneurs est importante, mais ce n’est pas là, le point crucial qui permet d’affirmer aujourd’hui, que Boeing aura plus de difficultés qu’Airbus à retrouver son niveau d’activité antérieur.
Alors que 2019 a été une bonne année pour Airbus, avec un chiffre d’affaires passant de 75.563 à 83.594 millions de dollars Avec un euro au cours de 1,1861 dollars américain, soit une hausse de l’activité de presque 11%, cet exercice a été calamiteux pour Boeing, qui a vu en l’espace d’une seule année son chiffre d’affaires passer de 101.127 à 76.559 millions de dollars, soit une baisse jamais vue de 24%. Cette baisse phénoménale de chiffre d’affaires est bien entendu liée à la crise du Boeing 737 Max. Les avions étant cloués au sol depuis mars 2019, Boeing n’a pu livrer ses avions et donc n’a pas encaissé le chiffre d’affaires correspondant.
Airbus de son côté a eu un exercice déficitaire en 2019, mais lié à un évènement exceptionnel : une amende de 3,6 milliards d’euros (4,2 milliards de dollars) pour corruption payée à plusieurs états européens. Un malheur n’arrivant jamais seul, la crise sanitaire est venue frapper nos deux constructeurs, mais de manière bien différenciée.
Comme l’illustre la figure 1 (ci-dessus), la crise sanitaire a obligé les deux avionneurs à s’endetter, mais dans des proportions différentes. Alors qu’Airbus a augmenté son endettement à long terme de 65% entre 2019 et juin 2020 ce qui est déjà considérable, Boeing lui a pratiquement …. triplé le sien, passant de 19 962 à fin 2019 à 58 457 millions de dollars à fin juin 2020, soit une augmentation de 192% en seulement 6 mois ! L’impact de la crise des 737 Max s’était fait déjà sentir lourdement sur l’endettement à long terme de Boeing en 2019 qui avait déjà presque doublé par rapport à 2018.
La croissance de l’endettement ne va évidemment pas sans son corollaire : la croissance du coût du service de la dette, autrement dit de l’intérêt payé. Pour Airbus, qui s’était efforcé ces dernières années de réduire le coût de sa dette, l’augmentation de la charge de la dette annuelle est « acceptable » (extrapolation : chiffres semestre 1 de 2020 multipliés par 2 = E/2020) eu égard aux circonstances, puisqu’elle devrait être de « seulement » 25%.
En revanche, pour Boeing, la charge de la dette va exploser littéralement, car devant passer de 722 millions de dollars en 2019, à 1 630 millions de dollars en 2020, estimation au bas mot. Plusieurs augmentations d’emprunt ayant été réalisées au cours du second semestre, en année pleine c’est-à-dire en 2021, la charge de la dette de Boeing devrait être d’au moins 2 milliards de dollars par an.
Avec des capitaux propresCapitaux propres = capital social éventuellement modifié+ bénéfices mis en réserve cumulés – pertes cumulées négatifs de 11 milliards de dollars à fin juin 2020, Boeing nécessiterait une recapitalisation en fonds propres à hauteur de 20 milliards de dollars pour revenir par exemple à la situation de 2014 où ils se situaient à un niveau de 9 milliards de dollars (fig. 2bis, ci-dessous).
Par comparaison, Airbus possède encore des fonds propres positifs de 1,6 milliards de dollars. Pour revenir à un niveau de fonds propres équivalent à celui de Boeing en 2014, qui a une taille plus importante, il « suffirait » pour Airbus de lever 7,4 milliards de dollars.
Alors qu’Airbus arrive toujours à financer ses stocks et créances avec du crédit fournisseurs dégageant ainsi 11,7 milliards de trésorerie, Boeing qui avait réussi cette opération en 2018 et 2019 n’y arrive plus en 2020 : son cycle d’exploitation génère de nouveau un besoin de financement permanent de 5,4 milliards de dollars.
Cette faiblesse des capitaux propres de Boeing place l’entreprise dans une situation de dépendance absolue et totale vis-à-vis des banques. Bien que les taux d’intérêt soient historiquement bas voire négatifs, la situation particulière de Boeing ne lui permet d’emprunter qu’à des taux élevés par rapport à son concurrent, et qui ne pourront que s’accroitre au moindre incident, tels un garrot placé autour du cou du supplicié.
Le bénéfice d’une entreprise se mesure généralement en un faible pourcentage du chiffre d’affaires. Certes en 2017 et 2018, Boeing avait fait 10% de bénéfice (bénéfice / chiffre d’affaires), exercices exceptionnels, par rapport aux années précédentes où ce ratio tournait autour de 6%, valeur déjà élevée . La Figure 3 bis (ci-dessus) montre bien à quel point la rentabilité de Boeing va être affectée par les frais financiers.
Les intérêts financiers chez Boeing « mangeront » 3 fois plus de chiffre d’affaires que chez Airbus en 2020. Si on ajoute à cela que les Boeing 737 Max, principale composante du chiffre d’affaires avions commerciaux de l’entreprise seront vendus à des prix « bradés » une fois autorisés à voler de nouveaux, donc à perte pour les raisons que nous connaissons, on comprend que Boeing va se retrouver très rapidement face à un problème aigu de rentabilité, face à son concurrent Airbus.
Depuis fin 2019 jusqu’à fin juin 2020, le carnet de commande de Boeing s’est dégonflé de presque 8% en volume (nombre d’avions commandés), alors que celui d’Airbus a cru de 0,7%. Notamment, Boeing a enregistré 355 annulations de commandes au titre du 737 Max les 6 premiers mois de 2020.
Le handicap de Boeing, risque de donner à Airbus dans les années qui viennent un redoutable avantage concurrentiel, susceptible de constituer le levier du basculement entre les deux constructeurs envisagés dans notre précédent article « Boeing-Airbus, la fin du statu quo ? ». Airbus pour le moment se retrouve dans une meilleure position que Boeing à plusieurs points de vue pour bénéficier de la reprise du marché quand celle-ci interviendra.
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Très bel article chiffré qui dans un monde de compétition stricte donnerait un avantage de bonne gestion à Airbus
Le monde US n est pas ainsi. Boeing est stratégique militairement et le business world US a pour pivot l entente feutrée militaro-industrielle US qui gouverne.
Les contrats géants militaires Boeing sont venus juste à point comme par hasard.
Le bras armé est l inacceptable principe extra territorialité US que notre chère administration Europe n a pas été capable de contrer . Elle est aussi achetée par le système US donc.
Airbus mieux géré mais seul avec une Europe contre ses intérêts et donc nos emplois
Ne pas oublier pourquoi les européens achètent des F35.
Le lot consolation est que certains équipements de Boeing sont européens.
Les industriels US acceptent seulement pour siphonner la techno europe.
Se rappeler aussi le plan Marshall avec une aide factice pour installer les fournisseurs US en Europe
Le mental US est sans limite quand il s agit de dollars.
L angélisme européen est la naïveté de l antilope face à une lionne.
A ces échelles comptables dont l'éclairage est intéressant, il reste les intérêts stratégiques nationaux lesquels prévaudront toujours .
Plus que jamais, en ces moments incertains, les gouvernements actuels et à venir des Etats Unis continueront leur stratégie agressive de concurrence déloyale, d'acquisitions sous un pâle vernis de légalité, de sanctions extraterritoriales et j'en passe pour faire céder la concurrence. Lorsque l'on constate la stratégie du gouvernement US pour forcer certaines cessions d'actifs stratégiques (General Electric vs Alstom etc) sur notre pauvre continent pour se dire que tout est à craindre. En la matière ce que les présidences précédentes faisaient silencieusement ( Clinton, Bush et Obama) "l'avantage" si l'on peut dire, de l'administration Trump est qu'elle revendique clairement cette politique ! Boeing reviendra soyez en certains quel qu'en soit le prix ...
Excellent article, très compréhensible et parfaitement illustré.
Finalement Boeing va-t-il être obligé d'abandonner les mono couloirs pour se concentrer sur les gros porteurs longs courriers ?
Si je peux me risquer à un pronostic, je dirais certainement pas, et oui, Boeing est « too big to fail ». Mais pour autant, sa liberté de manœuvre risque d’être restreinte autant que sa capacité à renouveler et compléter sa gamme. L’A321XLR vient d’ouvrir un segment de marché sur lequel Boeing n’aura d’autre choix que de laisser Airbus seul dessus pendant un moment, faute de financer rapidement un successeur au 757/767. Le 777 est vieillissant. Le 737 encore plus et là aussi il ne sera pas possible de lancer plusieurs programmes en parallèle...
Vive Airbus, mais vive aussi Boing, l' absence de concurrence est parfois néfaste. Avec un centrage très fin, et des super qualif au sol comme en vol, peut être sans contrarier le PA cet avion revolerait sous conditions spéciales. Mon père était heureux quand il voyait la famille Boing en escadrons serres b17 19 27 29..., défiler dans les cieux de Picardie, ne l'oublions pas, et aussi leur trains d'atterrissage sont made in Hispano Swiza etc...!
D'accord pour l'analyse de gestion financière. Reste que Boeing est "too big to fail" et industriellement stratégique pour les USA. Impossible pour un gouvernement républicain ou démocrate de le laisser "les ailes rognées". Boeing est aussi un constructeur militaire. Cette branche fonctionne d'ailleurs bien. La société aura certainement des aides suffisamment substantielles pour passer le cap. Le capitalisme a ses limites, même aux USA. Voir Reagan et Harley davidson, même si les montants ne sont pas du même ordre.
Je dirai plutôt "le capitalisme a ses limites, surtout aux USA"! Entièrement d'accord avec vous, d'ailleurs le sauvetage a déjà commencé avec des commandes militaires géantes, ce qui explique sans doute (?) que le CA de Boeing ne diminue en 2020 que de moins de 30% alors que celui d'AIRBUS est presque divisé par 2.
Et TRUMP est tout à fait capable de déclencher un conflit pour stimuler les besoins si nécessaire (les méchants, vrais ou inventés, ne manquent pas)....