En l’absence d’un concurrent de poids, ATR capte les trois quarts du marché mondial des turbopropulseurs de transport régional. Une situation qui n’a pourtant rien de confortable. Les challenges sont ailleurs. Ils sont industriels, culturels et politiques au moment où la porte de la Chine s’entrouvre et que les USA redeviennent une cible stratégique.
ATR vient de placer une vingtaine d’ATR 42-600 neufs chez Silver Airways, une compagnie régionale américaine basée en Floride. Ce contrat est intéressant à double titre. Le premier parce que 90% des livraisons actuelles d’ATR portent sur le modèle ATR 72-600, de plus grande capacité. La seconde est qu’ATR n’a rien vendu sur le marché nord américain depuis une vingtaine d’années. Les « petits ATR » de 50 places sont destinés à remplacer les vieux Saab 340.
« Pour l’emporter, nous avons démontré que le coût opérationnel de l’ATR 42-600 est identique à celui du Saab 340, mais avec 20 sièges supplémentaires. Cette logique va pouvoir s’appliquer à d’autres opérateurs aux USA.», explique Christian Scherer, le nouveau PDG d’ATR. « Silver appartient à un fonds d’investissement. Il n’y a aucun romantisme aéronautique dans ce choix. Cette commande n’est pas un évènement, mais le début d’un phénomène ».
ATR qui s’est fait éjecter des USA, dans les années 90, victime de la « jetmania », pense avoir trouvé le moyen de faire son retour, en se positionnant sur le marché de remplacement des vieux Saab 340 et autres Embraer 120 Brasilia. « Si nous pouvons démontrer que les 300 à 400 routes régionales qui ont été fermées ces dernières années peuvent être rentables avec un ATR, ce sera gagné ».
Derrière l’annonce de la vente de 20 ATR à Silver se cache une autre réalité, plus inquiétante. Sur les 20 avions, en fait 5 sont antérieurs au contrat signé avec la compagnie. Ils sont placés par Nordic Aviation Capital (NAC), une société de leasing. Les loueurs sont impliqués dans la plupart des contrats spectaculaires signés ces toute dernières années par l’avionneur. Ce phénomène a créé une bulle admet le PDG d’ATR.
Par essence, les loueurs spéculent sur les clients à venir, d’où des commandes spectaculaires qui ne reposent que sur de la prospective. Le risque est que le marché n’absorbe pas et que la bulle éclate. Pour Christian Scherer, les loueurs pèsent trop lourd aujourd’hui dans le carnet de commandes d’ATR.
Le patron d’ATR reconnaît qu’à plusieurs reprises, ses commerciaux se sont interdits de vendre à une compagnie pour favoriser le placement par un loueur. Il est important également de soutenir la côte des avions d’occasion pour attirer du financement pour le neuf. Pour y parvenir, il arrive à ATR de racheter des avions d’occasion. Une autre piste consiste à ouvrir de nouveaux marchés aux avions de seconde main. La reconversion des ATR en avion-cargo en est une.
L’objectif d’ATR est de continuer à livrer environ 80 avions par an. A ce rythme, le carnet de commandes assure trois années de production. Il faut aujourd’hui dix semaines pour assembler un avion à Toulouse. « Il y a un an, c’était le double », affirme Christian Scherer.
Désormais, les gros tronçons fabriqués en Italie, sont acceptés au départ de l’usine italienne, et non plus à l’arrivée à Toulouse. Depuis des années, ATR traine un gros problème de qualité de ces pièces. Cette nouvelle organisation est un moyen de ne pas en faire supporter les conséquences à la chaine d’assemblage final.
ATR possède une structure juridique qui, de l’avis de son PDG, est un « carcan » qui entrave toute prise de décision. ATR est un GIE, autrement dit un groupement d’intérêt économique dans lequel sont associés à parts égales, Airbus Group et Leonardo-Finmeccanica. Depuis des années, il est question de faire évoluer ce statut vers celui d’une classique SAS (Société à Actions Simplifiée), comme l’a fait Airbus. Le dossier coince sur le partage fiscal entre l’Italie et la France.
Au-delà de l’évolution de sons statut juridique, ATR doit faire sa révolution culturelle. C’est du moins la conviction de son actuel PDG qui estime qu’avec 90% de français dans les effectifs (un peu moins de 1.400 salariés), elle n’est pas assez internationale. « Il faut s’internationaliser pour être plus réactif auprès de nos clients. Notre clientèle a évolué ».
Christian Scherer prend en exemple l’Inde, un marché prometteur. En début d’année 2017, IndiGo a commandé 50 ATR 72-600. « En Inde, l’état à décrété une politique de désenclavement avec l’ouverture de routes aériennes régionales, mais ce sont des entreprises privées qui vont les créer. Nous sommes en face de nouveaux interlocuteurs différents de ceux que nous avons dans les compagnies nationales. » Les négociations commerciales portent sur des questions financières et juridiques. « En face, il faut mettre des loups ! ».
A effectif constant, le PDG d’ATR veut attirer de nouveaux talents à Toulouse, des professionnels qui possèdent une culture du service, qui maîtrisent la langue de leurs interlocuteurs et qui ont une compétence financière plutôt que technique. Dans la continuité de ses prédécesseurs, il mise sur des têtes de pont sur ses marchés cibles.
ATR est présent à Miami et à Singapour où il a implanté des simulateurs de vol et développé son support clients (MRO). Au Japon, où il vise un marché de remplacement, il possède un bureau avec une équipe de vente. Dans la foulée de l’ouverture de cette structure commerciale, il a signé son premier contrat avec une compagnie japonaise, en l’occurrence, Japan Air Commuter, filiale de JAL.
Christian Scherer est convaincu que l’ouverture de son bureau de Pékin débouchera, de la même manière, sur des commandes, sauf que là, le problème est politique avant d’être commercial. ATR a signé deux lettres d’intention portant sur des ATR 42-600, sans pouvoir pour autant les vendre. « Nous sommes les otages des négociations en cours entre l’administration de l’aviation civile chinoise et la Commission européenne pour une reconnaissance bilatérale des certifications d’avions ».
La certification de l’ATR 72-600 est bloquée. D’où ces étonnants contrats qui portent sur des ATR 42-600 limités à 30 sièges. Pour mémoire, l’ATR -500 de précédente génération étant certifié en Chine, une extension de certification suffit à l’ATR -600. « Les investisseurs privés chinois vont nous aider à faire bouger les autorités ». ATR doit être patient et se tenir prêt. Le marché est estimé entre 300 et 400 turbopropulseurs. Scherer est optimiste et voit plus grand.
C’est à peu près, le même nombre d’appareils dont devraient avoir besoin l’Afrique et le Moyen-Orient d’ici à 2035. L’Afrique fait partie des marchés prioritaires que veut reconquérir le constructeur de Toulouse.
En 2017, ATR prévoit un chiffre d’affaires un peu inférieur à 2 milliards de dollars dont 350 millions dans les services. Christian Scherer anticipe une marge bénéficiaire confortable, de quoi ravir ses deux actionnaires, d’autant que ces performances sont réalisées avec seulement deux produits amortis depuis longtemps. Airbus n’est toujours pas prêt à investir dans un nouveau modèle, même si du côté d’ATR on le souhaite depuis longtemps.
L’ATRneo ? « On y songe » répond Scherer qui affirme que Leonardo planche sur un turbopropulseur plus grand que le « 72 ». Il n’est encore qu’au stade du concept. Plusieurs voies sont explorées : une motorisation optimisée style « neo » d’Airbus, un nouvel avion avec une technologie existante ou carrément une technologie de rupture. Il y a un marché pour un 90 places affirme le PDG d’ATR. Pour Airbus, ce sujet est « relativement secondaire ».
Autrement dit, la priorité est de continuer à écumer le monde avec un produit qui n’a plus ses preuves à faire. Ce n’est donc pas étonnant qu’Airbus en tant qu’actionnaire ait choisi Christian Scherer, qui au cours de sa carrière a vendu des Airbus, pour prendre les commandes de sa filiale. Le nouveau PDG assume également la direction commerciale.
Gil Roy
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Pas de concurrent de poids, pas de concurrent de poids... il y a tout de même le Bombardier Dash 8/Q series qui marche plutôt pas mal...