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Industrie

Boeing-Airbus : la fin du statu-quo ?

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Louis Kulicka

Jusque-là, Airbus tournant à pleine capacité ne pouvait pas envisager de tirer bénéficie de la catastrophe industrielle à laquelle était confrontée Boeing. Mais avec des livraisons qui pourraient être réduites de moitié à partir de 2021, l’européen récupère une marge de manœuvre qu’il pourrait utiliser pour récupérer des clients de l’américain.

Fin décembre 2018. Les fêtes de fin d’années chez les constructeur d’avions de ligne de plus de 150 places s’annoncent exceptionnelles. D’une part, c’est le moment où Airbus rattrape et égale Boeing en atteignant des sommets : ils ont délivré chacun en arrondissant 800 avions moyens et long courriers aux compagnies aériennes cette année là : un chiffre historique. C’est aussi le moment où Airbus a un carnet de commandes mieux rempli que Boeing : 7.500 avions commandés pour Airbus, 6.000 pour Boeing.

Jusque fin 2018, tous les voyants étaient au vert

Airbus devenu plus fort que Boeing à ce moment là ? Les deux constructeurs ont chacun entre 6 à 8 années de travail devant eux : quelle industrie peut en dire autant ? L’IATA (International Air Transport Association) prévoit un doublement du trafic aérien pour les 20 prochaines années : what else ?

Certes il y a bien ce 737 Max de Lion Air qui s’est écrasé le 29 octobre 2018, tuant 189 passagers et personnels d’équipage…. Pas de quoi affoler la bourse de New York : l’action Boeing côte 295 dollars contre 156 un an auparavant. Cela signifie qu’elle a quasiment doublé, avec une plus value de presque 100%, sans oublier un dividende de 7 dollars par action, alors… Champagne !

« Le meilleur est à venir et le futur nous appartient ». Dennis Muilenburg, CEO Boeing. Rapport annuel 2018. Page 4… © Boeing

Le fruit d’un solide duopole

Depuis une bonne vingtaine d’années, Airbus et Boeing sont les deux seuls constructeurs à l’échelle mondiale d’avions commerciaux de plus de 150 places pour quelque 180 compagnies aériennes, avec des parts de marché en commandes ou livraisons variant dans le temps, mais proches de l’égalité. Cette situation bien particulière présente des avantages concurrentiels sur le long terme : à eux deux, Boeing et Airbus possèdent un monopole.

Rentrer  sur ce marché pour un potentiel concurrent est très difficile : on se situe sur des cycles longs (4 à 5 ans fréquemment entre le début de la conception et la certification d’un nouvel avion), avec la nécessité de mobiliser des capitaux très importants sur des périodes tout aussi longues, l’unité de mesure standard étant le milliard de dollars. La maîtrise des savoir-faire nécessite encore plus de temps, notamment en vue de disposer d’une main-d’oeuvre hautement qualifiée : on le voit bien avec la Chine et ses tentatives dans le domaine.

S’il n’y a pas d’entente connue entre Airbus et Boeing, leurs parts de marché sont relativement protégées par le fait que l’un ne peut pas répondre à la demande des clients de l’autre à court terme. En effet, il s’écoulait il y encore peu, 7 ans entre la commande d’un avion par une compagnie et sa livraison finale par l’avionneur… Autant dire que si une fraction notable de clients d’un constructeur passait à la concurrence, le délai d’attente devenait encore plus important, donc rédhibitoire.

Quand une protéine et un peu d’ADN mettent le monde sens dessus-dessous

En l’espace de quelques semaines avec la pandémie du coronavirus, le monde aéronautique, le monde tout court vient de basculer dans un contexte totalement inédit. Les économies sont en grande partie à l’arrêt. Le confinement des populations est généralisé de par le monde, l’industrie est en grande partie arrêtée, les échanges internationaux gelés, les commerces fermés. Seules certaines activités continuent : les approvisionnements alimentaires, les hôpitaux, la police et quelques autres services publics indispensables. Du jamais vu. On s’attend à une récession économique sans précédent.

L’OCDE (Organisation de Coopération et de développement économique) a fait savoir qu’un mois de confinement ferait perdre autour de 2 points de Produit Intérieur Brut (PIB) annuel, avec une perte sur un mois de 25% en moyenne pour les principaux pays de l’OCDEDéclaration  du 26 mars 2020 du Secrétaire général Angel Gurría au Sommet du G20 par visioconference sur le COVID 19.  Deux mois de confinement provoqueraient une perte de 4 points du PIB annuel. Les conséquences ne se font pas attendre : le secteur aérien en première ligne est lourdement impacté. Il est impacté dans son présent, mais également sont futur proche.

Une rupture à venir : la fin du duopole Boeing-Airbus

Toutes les compagnies aériennes ont fortement freiné voir stoppé leurs activités, les tarmacs se remplissent d’avions immobilisés. Mais c’est le marché du transport aérien qui en est chamboulé dans son ensemble. Le monde va entrer en récession, et quand l’épidémie sera passée, le monde aura changé.

Les besoins des compagnies aériennes en avions neufs va fléchir. D’une part parce que la demande en transport aérien va avoir du mal à se relever (pensons à toutes les entreprises qui vont faire faillite, aux millions de chômeurs qui ne voyageront plus), et d’autre part parce que le prix du baril de pétrole brut étant descendu vers les 20 dollars, les avions « économes » et donc plus « écologiques », ne sont plus aussi intéressants d’un point de vue financier.

Autrement dit, les constructeurs Airbus et Boeing vont se retrouver en surcapacité face à une demande anémique : ils auront les moyens de produire plus que ce que demanderont les compagnies aériennes. Et si Airbus est en surcapacité, sur un marché dont la demande va se contracter, cela signifie qu’il pourra construire des avions pour ses propres clients, mais aussi pour ceux de Boeing. Les parts de marché pourraient alors sensiblement varier. Ce qui était inconcevable et impossible il y a un an et quelque devient possible. Avec la crise du 737 Max qui est loin d’être finie, le sol se dérobe un peu plus sous les pieds de l’avionneur de Seattle.

Louis Kulicka

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Louis Kulicka

Il a commencé sa carrière aéronautique comme vélivole. Depuis une vingtaine d'années, il est aéromodéliste : il conçoit ses propres planeurs ensuite construits en matériaux composites. Ayant une formation en gestion finance, il réalise pour Aérobuzz des chroniques financières sur les constructeurs aéronautiques.

View Comments

  • Monsieur Kulicka,
    Merci pour votre article intéressant et bien écrit.
    On peut ajouter un autre paramètre dans ce problème. Les constructeurs chinois, qui sont aujourd'hui certes très timides, pourraient très bien être poussés par Pékin à profiter du vide laissé par Boeing sur le marché doemstique (même si ce dernier est largement derrière Airbus sur ce marché). Pour le moment, la guerre commerciale entre Etats-Unis et Chine n'a pas touché l'aérospatial, mais cela pourrait très bien arriver.
    La Chine va continuer à acheter des avions, peut être en recevra-t-elle un peu moins que prévu dans les deux ou trois prochaines années.
    Aussi, la déconfiture chez Boeing pourrait très bien pousser ses sous-traitants à trouver d'autres relais de croissance ailleurs, et pourquoi pas en Chine... et participer à l'émergence d'une industrie nationale...
    Certes Airbus et Boeing constituent un duopole extrêmement puissant aujourd'hui. Mais les chinois, bien qu'amateurs d'Airbus, souhaitent tenir leur rang dans cette industrie.
    Ils vont faire exactement comme nous, et ils sont pourtant parti de zéro!

  • "AVENIR" n'aurait donc plus d'avenir ?
    Pourrions-nous arrêter les anglicismes, s'il vous plaît ?
    "Il est impacté dans son présent, mais également sont "FUTUR" proche"
    Le mot que nous utilisions il y a peu de temps encore était "AVENIR".

    D'ici peu de temps, il faut s'attendre à ce que les journalistes ajoutent un "e" à "futur" au train où vont les anglicismes.

  • Vision interessante cependant encore hypothetique qui ne doit pas occulter le poids de nombreux sous-traitants d Airbus et de Boeing, acteurs importants, qui ne pourront peut etre pas suivre. Le glas de la surproduction d avions a peut etre sonne dans un monde ou les commandes d appareils s annulent et a l heure ou les tarmacs se remplissent d appareils dont certains tres prochainement seront a vendre. N anticipons pas trop vite.

  • Faudra bien un jour voir plus loin que le petit profit à court terme, le petit bout de son nez, et réfléchir à la survie de l'humanité, rien que ça, si on veut le faire alors il faudra sacrifier sans grand délai des tas de choses peu utiles… dont une grande partie du transport aérien de masse.
    Perso je ne me fais strictement aucune illusion, après la crise, ce sera le retour au "business as usual."

  • 69% jugent nécessaire de « ralentir le productivisme et la recherche perpétuelle de rentabilité »....pour les autres mais pas pour eux....alors comment fait-on ?

  • En amont de la question des parts de marché des constructeurs, il y a d'abord celle de leurs clients, les compagnies aériennes, elle même conditionnée par l'inconnue de la demande de transport aérien au lendemain de la crise : une reprise à quel rythme ? dans quelles zones géographiques ? pour quel type de clientèle ? et aussi quelles seront les compagnies qui auront survécu, avec quels moyens financiers pour investir alors que leur endettement a explosé et donc avec quels nouveaux plans de développement ? plus encore, comment évoluera le marché de l'occasion, avec des prix en baisse compte tenu du nombre d'avions rendus aux loueurs par les compagnies en difficulté ? Par conséquent le premier indicateur qu'il faudra suivre sera celui des reports de livraison et des annulations de commande et de quelle façon pour chaque constructeur ; c'est là qu'intervient bien sûr l'inconnue Boeing en fonction du redémarrage ou pas du 737 MAX et du comportement des clients (compagnies et PAX) à l'égard de cet avion; un abandon évidemment bouleverserait la donne mais sans que pour autant AIRBUS soit capable d'augmenter ses cadences du jour au lendemain; et encore, faudrait-il comme l'a justement noté un lecteur, que la perte de sous-traitants, vaincus par la crise, n'ait pas fragilisé la chaîne de production.

    • 4% de PIB en moins correspond aussi à la ligne que nous devrions suivre pour respecter la limite des 1,5° recommandés par le GIEC en l'état de notre industrie.
      C'est dire le chemin qu'il faut emprunter pour éviter la déstabilisation de tout notre système que devraient connaître nos enfants si nous continuons le déni.
      Notre histoire de Covid est peut être justement une opportunité de réfléchir au redémarrage de nos industries et nos modes de vie pour rester sur la bonne voie.
      La décarbonation des processus, c'est peut être avant de redémarrer qu'il faut la mettre en place. Les Etats nous annoncent des milliards comme s'il en pleuvait. Ne pas les utiliser pour la transformation profonde, c'est condamner la vraie transition.

  • Y'a un blem dans votre analyse, vous émettez l'hypothèse que les avions plus économes sont moins intéressant avec un pétrole bas, sauf que les compagnies qui posséderont ces avions plus économes auront une meilleures rentabilité même en temps de crise, ou pourront proposer facilement des billets moins chers contrairement à leur concurrents qui n'auront pas investis dans ces machines plus économes. A moyen, long terme, les compagnies qui n'ont pas les avions les plus économes disparaissent, l'Histoire aero nous l'a démontré mainte fois.

    • Ne pas oublier que des avions plus economes en carburant implique aussi moins de pollution, ce qui n’est pas un détail !

    • à moyen terme, l'économie de carburant est tres loin de compenser les loyers engendrés par l exploitation d avions plus économes,
      en plus il y aura surcapacité d avion et la flotte mondiale actuelle est plutot fraiche avec une duree de vie potentiellement longue, et une sous utilisation probable,
      à la limite si on ne fabriquait plus d avion pendant quelques années, ça n’empêcherait pas de transporter les passagers ...
      ajoutons qu en terme de sécurité , les récents événements ne prouvent pas que
      les avions construit il y a qques annees soit moins surs que les tout derniers fabriqués
      pas simple au total.......

      • Wait and see
        Jamais, me semble-t-il, il n'y a eu autant d'incertitudes.
        On ne peut pas deviner par qui et pourquoi les avions se remplirons à nouveau. C'est pour cela qu'il est difficle d'aborder la question de renouveller ou pas le matériel avant d'observer la réaction du marché mais surtout les tendances à plus long terme.
        - le rythme de la reprise des ventes
        - l'importance de l'ACV du mode de transport (dépense carbone et autres pollutions et utilisation des ressources) dans le choix du mode de déplacement
        - l'optimisation du temps et des coûts (vidéo-call)
        - le prix du pétrôle ou la perspective des nouveaux modes de stockage d'énergie
        - etc...
        Donc j'imagine que rien ne se passera avant, une stratégie conservatoire au mieux ou alors défensive...
        Ce qu'on dit en Suisse voisine : dépéchons nous d'attendre !

      • Des remboursements, oui. Mais moins de kérosène, une meilleure disponibilité et des coûts de maintenance inférieurs.

  • L'article au demeurant tres instructif a ommis de preciser que ce ne sont pas seulement les lignes d'dassemblage final qui vont etre impactees mais toute la chaine d'approvisionnement de sous ensembles. Tous les sous traitants sont durement touches, certains a l'instar de GE ou PW survivront, d'autres plus petits et plus fragiles financierement non(elles sont habituellement des viariables d'ajustement). Il va y avoir une perte de savoir faire. Aujord'hui a titre d'exemple, la NASA serait incapable de fabriquer une navette spaciale parce que les petites mains qui les fabriquaient sont tout simplement hors du circuit. Il est evident que Airbus est mieux place que Boeing dans les mois ou annees qui viennent, mais Airbus va souffrir.
    Pour finir, comme le dit le proverbe, quand les gros ont faim, les maigres meurent. c'etait vrai au moyen age et peut etre encore de nos jours.

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