Boeing qui produit actuellement 10 737MAX par mois, vise désormais une cadence de production de 50 vers 2025/2026. La chaine d’assemblage final du 787 a été remise en marche. Reste à résoudre les problèmes du 777X. En 2022, le constructeur américain a vu son chiffre d’affaires progresser de 7%. Sa situation financière est loin d’être sécurisante. Avec un endettement record de 63 milliards de dollars, difficile de se projeter dans le futur de l’aviation.
Les choses ont plutôt l’air de s’améliorer pour Boeing. Les livraisons aux clients des Boeing 737 et 787 Dreamliners qui seules permettent d’encaisser le chiffre d’affaires dans sa totalité, dans la branche des avions commerciaux, ont repris. Certes pas aussi vite que l’entreprise aurait pu le souhaiter, car la FAA continue d’inspecter chaque appareil avant sa livraison. Boeing a ainsi livré en 2022, 480 avions commerciaux contre 340 en 2021 soit une augmentation notable de 41%. Cela a notamment permis au chiffre d’affaires de Boeing de passer de 62,3 à 66,6 milliards de dollars, soit une augmentation notable et bienvenue de 7 %. Cela a permis à Dave Calhoun, le PDG de déclarer : « 2022 s’est avérée être une année importante pour notre rétablissement ». Avec 4.500 avions civil en commande, Boeing a encore un certain nombre d’années de production devant elle ! Alors, si « ça continue comme ça », Boeing est-il sorti d’affaire ?
Pas si simple ! En 2022, Boeing a encore perdu 5 milliards de dollars. Depuis le début de la crise en 2019, qui recouvre un certain nombre de déboires que nous avons pu évoquer (le 737 Max, le Covid, la certification…), le constructeur de Seattle a perdu 22 milliards de dollars…(cf fig.1). Boeing possède trois branches d’activités principales : avions commerciaux, avions militaires, et services. Le paradigme pour ces grands constructeurs d’aéronefs, c’est que lorsqu’un secteur ne va pas bien (par exemple le militaire), l’autre compense et ainsi de suite. Là ce serait l’inverse : si l’activité avions commerciaux s’améliore tout en restant déficitaire, maintenant c’est l’activité militaire qui cause des pertes sévères : 3,5 milliards de dollars en 2022, alors qu’elle était bénéficiaire de 1,5 milliards en 2021.
Une industrie dont l’activité repose sur un cycle long
Donc s’il y a du « mieux« , ce n’est pas encore dans le « bien ». Le problème, c’est qu’ici, il est question de court terme, alors que l’industrie aéronautique, évolue dans le long, et même très long terme. Concrètement, dans ce genre d’industrie, il faut « mettre sur la table » 15 voire 20 milliards de dollars pour étudier et construire un nouveau prototype, qui peut-être commencera à générer des rentrées dans 5 ou 10 ans. Il faut mobiliser d’importantes ressources, pour longtemps, avant de pouvoir espérer une quelconque rémunération et retour sur investissement. Autrement dit, nous sommes dans une activité qui se déroule sur un cycle très long, et qui est génératrice d’importantes charges fixes, invariables à court terme. Il en va de même de la formation des techniciens et du personnel en général, de la collaboration avec la chaîne de sous-traitants…
L’actuelle situation de Boeing pose la question suivante : avec quoi, avec quels moyens financiers dans les années à venir va-t-elle étudier et construire l’avion du futur, l’avion à hydrogène, l’avion qui consommera moins, sera plus confortable, moins bruyant, moins cher à exploiter, plus respectueux de l’environnement, etc ?
Pour investir, il faut avoir des ressources, des financements. Il y a 2 solutions : soit l’autofinancement, soit l’emprunt.
Boeing peut-elle autofinancer ses projets futurs d’avions ?
L’autofinancement : c’est le financement avec ses propres ressources, ses propres fonds. Dans le cas d’une entreprise, on parle de financement sur capitaux propres. Cela peut être pour une société des fonds apportés par les actionnaires initiaux non encore investis, des bénéfices antérieurs mis en réserve, ou bien des fonds apportés par de nouveaux actionnaires. Boeing ne possède plus de fonds propres depuis 2019, ils sont même devenus négatifs !
Comme l’illustre la fig. 1, la politique de rachat d’actions et de distribution de dividendes de Boeing de 2013 à 2018 (année record des ventes, année d’ivresse ?) avait déjà amené les fonds propres de Boeing a un niveau historiquement bas. En 2019 ont commencé les ennuis avec le 737 Max, on connaît la suite. Conclusion, Boeing ne peut pas financer l’étude et la construction d’un nouveau modèle avec ses fonds propres qui sont désormais « négatifs » pour 16 milliards de dollars.
Boeing peut-elle financer un nouveau projet par emprunt ?
Pour emprunter, il faut avoir une capacité d’endettement. Et pour avoir une capacité d’endettement, il faut pouvoir être en capacité d’effectuer le remboursement du capital, et le paiement des intérêts du prêt envisagé. Qu’en est-il pour Boeing ?
En « vitesse de croisière », c’est-à-dire avant 2019, l’endettement de Boeing oscillait autour de 10 milliards de dollars avec le paiement chaque année de 300 à 400 millions de dollars d’intérêts divers, compte tenu de la taille de l’entreprise, des montants tout à fait raisonnables. Avec la crise, Boeing a fait exploser son endettement qui en 2020 est passé à 63 milliards de dollars, un sextuplement.
Le seul destin pour Boeing désormais, et cela pour plusieurs années, c’est de payer des intérêts aux banquiers, et de rembourser du principal. Il apparaît que Boeing a commencé à se désendetter, mais pour revenir à un niveau « normal », il lui faudra au moins 10 ans. Et en attendant, les fonds qui pourraient servir au développement d’un nouvel appareil, vont à la banque.
Boeing paye désormais 2,5 milliards d’intérêts par an. En 4 ans cela fait 10 milliards, en 6 ans 15 milliards. Des montants à ramener aux montants nécessaires pour développer un nouvel appareil.
Il ressort de tout cela que la marge de manœuvre de Boeing est extrêmement étroite, si tant est qu’elle existe véritablement pour les années à venir. Boeing en est réduit à se dessiner un présent au jour le jour. Si l’activité reprend, elle se fera au prix de conditions défavorables : la remise en conditions d’appareils stockés en vue de leur livraison est coûteuse, les clients indisposés par les retards de livraison et les malfaçons obtiennent de généreuses remises, l’inspection par la FAA de chaque appareil avant livraison accroît les délais. Autant de facteurs qui grèvent les coûts de revient et plombent la rentabilité de Boeing, qui n’en avait certainement pas besoin.
Louis Kulicka
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Un exemple quasi caricatural de la cupidité et des dérives ultra libérales.
On peut parfaitement appliquer à la situation de Boeing la maxime de Michel Audiard qui disait : "Les conneries c'est comme les impôts, on finit toujours par les payer" !
Oui c'est un peu ça. Michel Audiard, un véritable philosophe !