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EcoPulse : paroles d’ingé…

"Nous avons réussi à organiser pour la première fois des façons de procéder et des rôles au sein d’une équipe très restreinte pour faire et gérer un démonstrateur". Didier Simeon Chef de projet EcoPulse chez Daher © Daher

EcoPulse ou la propulsion hybride-électrique distribuée à l’heure des bilans. Pour la première fois, et pendant cinq ans, Airbus, Safran et Daher ont croisé leur savoir-faire pour développer un démonstrateur et le faire voler. Résultats au-delà des attentes. Une belle aventure professionnelle aussi pour les participants. Ils témoignent… [Bonus Vidéo]

Au départ, il s’agissait de voir comment pouvait fonctionner en vol un avion à propulsion hybride-électrique distribuée. Airbus, Safran et Daher s’étaient donné cinq ans pour cerner la question. Les ingénieurs des trois groupes qui ont participé à cette aventure dressent un bilan stimulant, à l’image de Vincent Chaperon, chef de projet EcoPulse chez Safran Eelctrical Power : « Ça a été un projet fantastique. »

Daher a prélevé un fuselage de TBM 910 sur la ligne de production et l’a « customisé », comme l’explique Didier Simeon, chef de projet EcoPulse chez Daher. Safran qui était responsable de la chaine de propulsion, de l’hélice jusqu’à la turbogénératrice a pris les éléments sur étagère, notamment les moteurs électriques EngineUS de 50kW intégrés avec une hélice à double position de manière à pouvoir la mettre en drapeau quand le moteur électrique était à l’arrêt.

« Nous avons impliqué sur ce projet, beaucoup de jeunes et de jeunes entrants, pour leur donner en première expérience, une expérience de conception globale d’un avion. »
Christophe Robin, Head of Design chez Daher, et porteur du projet EcoPulse au sein du CORAC.
© Daher

Pour sa part, Airbus a développé et fourni la batterie haute tension 800 volts qui est une des deux sources d’alimentation électrique de l’avion. Il a également travaillé sur le calculateur qui gère la combinaison entre l’hybridation et les commandes de vol sur la propulsion distribuée. Il est intervenu aussi sur les formes aérodynamiques modifiées de l’avion et sur de l’acoustique, de la modélisation du vol, et certaines instrumentations.

Tous ceux qui ont participé à ce projet insistent sur la qualité du travail d’équipe ; une équipe pluridisciplinaire empruntant des compétences aux trois partenaires. « Nous avons impliqué sur ce projet, beaucoup de jeunes et de jeunes entrants, pour leur donner en première expérience, une expérience de conception globale d’un avion. » explique Christophe Robin, Head of Design chez Daher, et porteur du projet EcoPulse au sein du CORAC. « Pour un ingénieur, c’est juste génial d’avoir la possibilité de travailler sur un démonstrateur, quelque chose de concret, de se sentir aussi acteur. », souligne William Llobregat, Chef de projet EcoPulse chez Airbus.

Il a fallu inventer une nouvelle manière de coopérer, comme le fait remarquer Didier Siméon (Daher) : « Nous avons déterminé des façons de travailler, des rôles qui n’existaient pas comme coordinateur proto qui a été implémenté pour ce projet-là. Et nous avons donc réussi à organiser pour la première fois des façons de procéder et des rôles au sein d’une équipe très restreinte pour faire et gérer un démonstrateur. »

Au-delà de l’objet même du développement d’un projet innovant lié à un objectif à court terme, les ingénieurs et techniciens ont dû remettre en question leurs modes de fonctionnement. Habitués à évoluer au sein des structures plus ou moins lourdes de grands groupes industriels, ils sont passés en mode start up, ce dont se félicite Pierre-Luc Regaud, Chef de projet EcoPulse chez Safran :  « Que cette grande entreprise qu’est Safran puisse s’adapter au mode de fonctionnement de la réglementation CS23 des petits avions, est une preuve de la souplesse et l’agilité que nous avons mises en place. »

« C’était vraiment atypique, à la fois par le nombre de moteurs, le nombre de systèmes intégrés dans l’avion, c’était vraiment intéressant, ça sortait vraiment de l’ordinaire. »
Thibaud Brouze, chef-pilote adjoint de Daher
© J.M. Urlacher / Daher

Safran n’a pas attendu pour mettre à profit cette expérience, notamment dans ses relations avec les constructeurs d’avions légers qui ont opté pour la motorisation électrique EngineUS. C’est le cas d’Aura Aero, de Voltaero ou encore de Diamond Aircraft. Le motoriste reconnaît qu’il comprend mieux maintenant les attentes des équipes légères de ces avionneurs en charge d’explorer et de mettre en œuvre des solutions inédites. Il le comprend d’autant mieux qu’il est passé par là avec EcoPulse.

Au sein de projet EcoPulse, Safran avait en charge toute la distribution et la protection de l’énergie électrique dans l’avion. On parle ici de 800 volts. Du jamais vu, pas plus en aviation générale, qu’en aviation de transport, pour lesquelles les références sont plutôt 28 volts, voire 115 volts. 

« On a su adapter nos procédures internes à cette typologie de projets. »
Pierre-Luc Regaud Chef de projet EcoPulse chez Safran
© J.M. Urlacher / Daher

Il a notamment fallu isoler les harnais électriques qui circulent près des réservoirs. « C’est un chalenge. On a développé avec Daher des blindages pour éviter que des courts-circuits viennent créer des dommages à l’avion. », explique Pierre-Luc Regaud (Safran). « Nous avons mandaté Safran Tech qui a développé des outils de modélisation. » Les partenaires se sont appuyés sur les ressources internes de leur groupe respectif.

« Nous avons développé une grande partie de tests fonctionnels et dysfonctionnels sur le site de Niort », poursuit Pierre-Luc Regaud. « Il s’agissait de s’assurer qu’une fois intégrer dans l’avion, nous ne découvrions pas de nouveaux problèmes, de problématiques de compatibilité, d’interface, … »

Si l’intégration d’une chaine électrique complète de 800 cv dans une cellule destinée à voler constitue le gros morceau du projet EcoPulse, la mise en œuvre de la propulsion est l’autre grand domaine d’exploration qui a permis de faire, là aussi, un grand pas en avant dans la compréhension du sujet.

« C’est la première fois que l’on a piloté un avion par un différentiel de poussée puisqu’il y a trois moteurs sur chaque aile. », explique Vincent Chaperon (Safran Electrical Power). « Le fait de jouer sur la poussée non commune, mais d’un côté ou de l’autre, plutôt en différentiel, permettait de piloter l’avion sans utiliser les ailerons. » Airbus a développé des commandes de vol électriques qui ont permis à l’équipe des essais en vol de piloter l’avion… aux moteurs. Le résultat est concluant.

« L’un des acquis immédiat, c’est l’énorme expérience acquise par l’ensemble des équipes qui ont participé depuis le début du projet. »
Christophe Robin Responsable du projet EcoPulse au CORAC
© Daher

Là encore, l’expérimentation ouvre de nouveaux horizons. Le pilotage en direction est rendu possible du fait de la grande réactivité des moteurs électriques, une caractéristique que n’offre ni une turbine, ni un moteur thermique pour lesquels la régulation et la réactivité sont trop lentes. Airbus a fourni les boucles de régulation nécessaires.

« Les divers programmes permettaient soit de réaliser des manœuvres en vol au travers d’un joystick et d’une manette des gaz additionnelles, du roulis et du lacet. On pouvait bloquer les commandes physiquement, que ce soient les ailerons ou bien le drapeau, et générer du roulis lacet par ce fly control computer. », résume Thibaut Brouze, le pilote d’essai de l’EcoPulse. « Il y avait aussi des programmes qui permettaient d’investiguer sur les performances, en appliquant plusieurs niveaux de puissance, sur différents points de la voilure, pour voir si on pouvait gagner en trainée ou en portance. Le fait de pouvoir souffler de manière un peu ciblée sur la voilure, différentes pales d’hélice, différentes puissances, on peut voir l’influence de cette poussée sur les performances de l’aile tout simplement. »

« Ca a été un projet fantastique. »
Vincent Chaperon Chef de projet EcoPulse chez Safran EP
© Daher

Pour les avionneurs, la transition énergétique remet en question la conception même des aéronefs. « D’habitude, on prend une cellule, un moteur, une hélice. On met ça ensemble et ça vole. Pourquoi, parce qu’on est dans une configuration qui est la même depuis 100 ans, depuis le début de l’aviation. Les interactions entre le moteur, l’hélice et la cellule sont relativement faibles et connues. Lorsqu’on arrive dans l’hybridation électrique et en particulier dans la distribution de propulsion, les choses deviennent complètement différentes. C’est-à-dire que les interactions entre le système de propulsion et la cellule deviennent très importantes, voire prépondérantes. A tel point et on a pu le démontrer dans le cadre d’EcoPulse que l’on peut piloter l’avion uniquement par les effets moteur. » Christophe Robin (Daher).

« Pour un ingénieur, c’est juste génial d’avoir la possibilité de travailler sur un démonstrateur, quelque chose de concret, de se sentir aussi acteur. »
William Llobregat Chef de projet EcoPulse chez Airbus
© J.M. Urlacher / Daher

Tous les ingénieurs et techniciens qui ont travaillé au cours de ces cinq dernières années conservent le souvenir d’une expérience nouvelle. Ils n’hésitent pas à affirmer qu’ils ont vécu une véritable aventure. C’est sans doute Pierre-Luc Regaud, chef de projet EcoPulse chez Safran qui résume mieux le sentiment partagé. « Dès mon école d’ingénieur, je voulais être responsable de projet de quelle que chose qui allait voler. En tant que motoriste ce n’est pas souvent qu’on peut suivre un projet jusqu’à la mise en vol. Là c’était un projet de longue haleine qui a duré 5 ans. Et le voir voler chez Daher, à côté de l’usine, c’est très émouvant. Ce sera un très grand souvenir ! »

Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

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