Et si la cameline aidait à décarboner l’aviation ? C’est le pari que relèvent l’aviation civile et l’agriculture en testant en France cette oléagineuse dont l’huile pourrait servir à produire du carburant d’aviation durable. Damien Cazé, directeur général de l’aviation civile, s’est rendu dans l’Eure, pour promouvoir l’initiative d’un agriculteur dont l’exploitation sert de laboratoire pour développer une filière française des carburants d’aviation durable.
L’agriculture et l’aviation, apparemment deux domaines techniques bien distincts, ont toutefois un lien qui les unit vers la décarbonation avec le carburant d’aviation durable. Ces carburants, qu’ils soient issus de la biomasse ou qu’ils soient synthétiques, représentent l’une des solutions majeures vers la transition énergétique du transport aérien. La technologie et les unités de production des biocarburants existent, mais la disponibilité en quantité suffisante de la biomasse durable est un enjeu qui doit être relevé de manière à augmenter les volumes de carburant produites. C’est là que le monde agricole a une carte à jouer en France et en Europe.
De manière à créer une filière qui puisse produire du carburant d’aviation durable en quantité, une expérimentation a été lancée en France et en Europe pour étudier de nouvelles semences et de nouveaux procédés de culture. Rassemblant 13 pays et 20 partenaires, plusieurs acteurs français participent à cette étude. Parmi eux, Terres Inovia, un institut technique agricole pour la recherche et le développement, la société Avril, industriel et financier de la filière française des huiles et protéines végétales qui fournit les semences, mais aussi l’aviation civile.
A Bueil, dans l’Eure, à quelques kilomètres à l’ouest de Paris, Fabrice Moulard et sa fille Marie ont décidé de participer à l’expérimentation d’une semence prometteuse, la cameline. Cette oléagineuse est un candidat tout à fait intéressant pour la production de carburant d’aviation durable. Riches en huile et en protéines, les graines donnent entre 36 et 40% d’huile exploitable pour le raffinage. Les quelque 20% restants sont récupérés sous la forme de tourteaux qui serviront à l’alimentation du bétail. Un hectare de cameline donne environ 1 tonne de graines. Et l’intérêt de la cameline est d’avoir un cycle court, de 90 à 100 jours, idéal pour la culture intermédiaire d’été.
La culture intermédiaire consiste à semer, entre deux cultures principales comme l’orge, le blé ou les pois, des cultures qui servent à couvrir les sols. Elle ne rentre donc pas en compétition avec la production alimentaire. Après la récolte de la culture principale, en juillet, les graines de cameline sont semées puis récoltées trois mois plus tard, avant le semi d’hiver.
« Cela fait plusieurs années que nous récoltons de plus en plus tôt. Autour du 20 juillet, les moissons sont terminées » explique Fabrice Moulard, qui teste actuellement la culture de cameline sur deux parcelles de 3 ha. « Nous avons l’obligation réglementaire de couvrir nos sols après récolte. En temps normal, nous semons un couvert de moutarde qui sera détruit au mois de novembre pour laisser place à la culture principale. Couvrir le sol implique donc des coûts qui ne sont pas récupérés. Avec la cameline comme culture intermédiaire, on peut envisager tirer un petit bénéfice supplémentaire, ce qui peut aider les exploitations dans un secteur, comme l’Eure, où les rendements sont relativement faibles » explique encore l’agriculteur.
L’enjeu pour les différents partenaires est désormais d’inciter les agriculteurs français à développer cette pratique pour favoriser l’émergence d’une filière française des carburants d’aviation durable. De manière à valoriser l’initiative et rendre plus visible l’expérimentation menée par Fabrice Moulard, la DGAC et l’Observatoire de l’aviation durable ont fait le déplacement pour rencontrer l’agriculteur.
« L’aviation est confrontée à un énorme défi. Celui d’assurer d’ici à 2050 sa décarbonation » explique Damien Cazé, directeur de l’aviation civile. « C’est un défi gigantesque pour une industrie qui est l’une des premières en France et dans le monde. Les deux leviers dont nous disposons actuellement sont de fabriquer des avions qui produisent moins d’émissions. Ensuite c’est d’utiliser des carburants plus vertueux. C’est pour cette raison que la bataille des carburants est essentielle » souligne encore le directeur de la DGAC.
La France essaie de rattraper son retard dans les carburants d’aviation durable. En 2020, le gouvernement a mis en place une obligation d’incorporer 1% de carburant d’aviation durable au carburéacteur traditionnel en 2023. En 2025, l’obligation devrait passer à 2%, puis 6% en 2030, pour atteindre 70% en 2050. Un groupe de travail sur les carburants d’aviation durables a été créé en février 2023 par le ministre des Transports qui, en mars dernier, a également initié la création de l’Observatoire de l’aviation durable.
Placé sous l’égide de la DGAC, l’observatoire a pour missions de partager des connaissances et des données sur l’impact climatique du transport aérien, mais aussi de soutenir les initiatives françaises d’innovation dans les territoires. Sandra Combet, secrétaire générale de l’Observatoire de l’aviation durable, était également présente sur l’exploitation familiale de Fabrice Moulard, pour soutenir son initiative.
« La cameline est identifiée pour servir, lorsqu’elle est en culture intermédiaire durable, de biomasse pour accompagner le développement des filières françaises de carburant d’aviation durable » explique Sandra Combet. « Ce carburant est stratégique pour la décarbonation pour plusieurs raisons. Principalement parce que c’est un levier qui est disponible immédiatement, dont la production est en cours et se développe. Et parce que le carburant d’aviation durable est très prometteur dans le sens où il réduit de 80% les émissions de CO2 sur son cycle de vie. »
Pour la DGAC et l’Observatoire de l’aviation durable, les tests menés dans l’Eure sont particulièrement intéressants et méritent d’être déployés à plus large échelle. « Un des défis à relever est celui des biomasses et de leur disponibilité » explique encore Sandra Combet qui poursuit : « C’est donc particulièrement intéressant d’identifier des semences et de comprendre comment la cameline pourrait répondre à une partie de ce besoin en carburant pour accompagner l’émergence des filières françaises. »
L’objectif des différents partenaires est de convaincre un grand nombre d’agriculteurs, en France mais aussi en Europe, d’adopter la cameline. Ainsi, ils espèrent produire 100.000 tonnes d’huile en 2030 sur le territoire européen, puis 500.000 en 2035, ce qui représenterait 1,5 millions d’hectares de cultures intermédiaires. A titre de comparaison, le colza représente aujourd’hui en France entre 900.000 et 1 million d’hectares.
D’ici à 2050, les besoins en carburants d’aviation durable devraient atteindre 500 millions de tonnes. Le coût de collecte de la biomasse, celui de la production des SAF (sustainable aviation fuel), et le déséquilibre entre l’offre et la demande sont tels que les prix varient du simple au quadruple. Une tonne de carburéacteur classique coûte environ 400 euros, contre près de 1.500 pour une tonne de SAF.
« C’est en multipliant les initiatives que nous réussirons ensemble à décarboner le secteur du transport aérien et celle de Fabrice Moulard et de ses partenaires en fait partie » conclue Damien Cazé. « Les gouvernements, les énergéticiens, les industriels du secteur aéronautique mais aussi l’agriculture, nous avons tous une carte à jouer pour atteindre l’objectif de la neutralité carbone d’ici à 2050. »
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Tout ça me rappelle l'histoire de la culture intensive de la canne à sucre au Brésil et des conséquences très fâcheuses qui s'en suivirent car le Brésil voulait utiliser aussi l'alcool éthylique produit de cette façon pour faire rouler les voitures.
La première conséquence fut l'appauvrissement rapide des sols par la monoculture.