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Industrie

L’expertise scientifique de l’ONERA au service de la filière drone

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Bruno Sainjon

En ouverture du salon UAV Show 2018 (Bordeaux-Mérignac, 10 et 11 octobre 2018), Bruno Sainjon, Président directeur général de l’ONERA, a exposé les enjeux réglementaires auxquels est confronté le drone et qui passent évidemment par un objectif de sécurité. Cette approche scientifique contribue à éclairer un débat trop souvent passionné. Bruno Sainjon a autorisé Aerobuzz.fr à mettre en ligne le texte intégral de son intervention inaugurale.

Pas une journée ne se passe sans une nouvelle idée d’application des drones : à côté des célèbres applications de livraison de colis et de transport de passagers, on trouve ainsi des idées de drones abeilles martiens pouvant accompagner les rovers, de drones pour construire des ponts ou des bâtiments, de drones pouvant apporter un défibrillateur ou repérer des risques de noyade, le tout pouvant bénéficier d’un rechargement à distance par lasers…

Le domaine de la sécurité et de la défense apporte lui aussi son lot d’applications, avec des nuées de drones largués depuis un avion de chasse pour observer une zone, des drones ravitailleurs, des drones supersoniques, ou encore des drones anti-drones.

Nouveaux usages, nouvelles règlementations, et nouvelles technologies

Ces idées, pour être transformées en réalités, mais aussi en opportunités commerciales, doivent trouver leur place dans un cadre règlementaire. Aussi les différentes nations, tout comme l’Union Européenne, travaillent-elles activement aux évolutions règlementaires adaptées. De passionnantes, mais complexes, questions techniques sont à la jonction de ces deux réalités, à la fois pour rendre techniquement possibles ces applications, mais aussi pour permettre une règlementation sûre, juste et réaliste, ou encore pour assurer la sécurité globale et les performances de ces engins qui visent à améliorer notre quotidien.

L’ONERA tient dans ce cadre un rôle essentiel comme établissement de référence pour la recherche aéronautique, source d’innovation au profit de l’industrie et d’expertise pour l’Etat. L’ONERA est présent au côté de la DGA sur les grands programmes drones pour la défense, de la DGAC pour les grands enjeux sur les drones civils, mais aussi auprès des acteurs industriels du monde de l’aéronautique traditionnelle ainsi que des nombreuses entreprises de plus petite taille, et encore auprès de SNCF réseau pour l’utilisation des drones dans le ferroviaire. Tout cela pour apporter des solutions techniques permettant de développer au mieux les nouvelles applications des drones.

Je vais développer ici quelques aspects de cette articulation entre nouveaux usages, nouvelles règlementations, et nouvelles technologies.

Quel niveau de sécurité, quelle méthode adopter?

La sécurité est le premier volet qui doit être abordé. La multiplication des drones dans l’espace aérien, que l’on pressent, ne doit pas altérer indûment la sécurité des citoyens. Cette exigence est à la fois centrale pour les autorités règlementaires, qui s’en portent garantes, et pour les développements techniques, qui doivent la rendre possible. En effet, la sécurité liée à de tels engins pose de nombreux défis. Tout d’abord, comment bien définir le niveau de sécurité requis pour une application donnée des drones. Ainsi, selon sa dangerosité, son utilité sociale, son contexte, la bonne référence est-elle l’aviation de transport, dont les niveaux de maturité et de sécurité sont aujourd’hui exceptionnels ? Est-ce l’aviation générale, dont le risque est plus important ? Ou encore les risques de la vie quotidienne ?

Une fois ce niveau de sécurité à atteindre défini, les outils pour en vérifier la tenue restent à concevoir. Ainsi, certains matériels utilisés pour les drones (logiciels, pièces détachées) ne bénéficient pas des riches retours d’expérience dont l’on dispose par exemple dans l’automobile, rendant l’analyse de leur fiabilité complexe. Un autre domaine qui reste largement à explorer est celui de l’effet de la chute des petits drones : cet effet est mal connu, et dépend bien sûr de la conception du drone, des matériaux, des formes….

La démarche de définition et d’évaluation de la sécurité des drones doit par ailleurs être compatible des structures d’entreprises concernées, lesquelles sont souvent de petites, ou très petites, entreprises. Mais ceci ne doit pas se faire au détriment de la sécurité : d’où la nécessité d’avancer sur la définition, l’évaluation et plus globalement l’outillage méthodologique autour de la sécurité et de sa diffusion.

Un point particulier concerne la cybersécurité : la multiplication des drones ne doit pas offrir de vulnérabilités sur ce plan. Il est donc essentiel de se préoccuper de ce volet qui concerne d’ailleurs aussi bien le transport aérien dans son ensemble, comme en témoigne la création récente d’un Conseil pour la Cybersécurité du Transport Aérien. L’utilisation malveillante qui peut être faite des drones rappelle aussi la menace que peuvent représenter ces derniers, et la nécessité d’actions pour la contrer : ces actions concernent aussi bien le plan règlementaire (obligations de signalement, d’enregistrement,…) que le plan technique, la capacité de les détecter, les identifier et les neutraliser.

Ces considérations peuvent être mises en regard des avancées règlementaires au niveau européen, où l’approche qui se précise est basée sur une analyse du risque que font porter les utilisations des drones, en les classant en trois groupes :

–        Catégorie « open », regroupant les opérations dont le risque associé est plutôt faible, avec un requis proportionné ;

–        Catégorie « certified », dont le risque, élevé, est rendu acceptable par des requis, similaires à ceux de l’aviation traditionnelle ;

–        Catégorie « specific », qui représente les opérations qui sont trop risquées pour être « open », mais pas au point de justifier les mêmes requis que la catégorie « certified ».

Des approches développées dans des groupes internationaux cherchent à structurer ce type de démarche. Il reste cependant essentiel de développer des méthodes pour analyser les risques de façon rigoureuse :

–        méthodes de recensement et de qualification des risques –risques air, risques sol ;

–        méthodes d’évaluation de l’ampleur des risques pour une mission donnée ;

–        méthodes de conception intégrant la sécurisation ;

–        méthodes de reconfiguration en vol ;

–        méthodes permettant de démontrer que le système de drone satisfait bien tous les requis applicables….

Ces développements sont aujourd’hui en cours en divers endroits du monde, et notamment en France où les grands sujets applicatifs du moment sont étudiés de façon conjointe des points de vue règlementaires et techniques, sous la houlette de la DGAC, en cherchant à chaque fois à :

–        Identifier les points durs techniques qui grèveraient la sécurité d’une opération routinière du type considéré ;

–        Mener les travaux permettant de lever les verrous techniques associés, définir des solutions techniques ;

–        Définir enfin un cadre règlementaire autorisant l’opération en s’appuyant sur les approches définies ;

Ainsi, différentes grandes applications suivent ce schéma :

–        Scénarios simplifiés pour des vols de petits drones au-dessus de terrains propriétaires : ici, le principal besoin réside dans la capacité à maintenir le drone dans le secteur autorisé. Cette fonctionnalité existe, bien sûr, mais requiert une garantie de fiabilité qui n’est pas acquise;

–        Scénarios d’Opérations de Grande Elongation, pour des drones volant sur plusieurs centaines de kilomètres, avec des garanties à apporter sur la trajectoire, un processus d’insertion dans l’espace aérien à définir, des liaisons de communication fiables ;

–        Enfin scénarios de logistique urbaine et de taxis urbains, avec une densité de population très grande, un environnement électromagnétique complexe, des opérations à définir, une logique de partage de l’espace aérien à préciser.

Des enjeux complexes

Pour terminer ce volet, soulignons que si la règlementation encadrera ces nouveaux usages, d’autres paramètres essentiels en conditionneront également la réussite, comme l’acceptabilité sociale qui permettra leur expansion ou sera cause de leur rejet. Celle-ci en retour repose sur plusieurs dimensions. On peut citer :

–        La sécurité, encore et bien sûr. Elle est non seulement une clef pour les autorités réglementaires, mais aussi un gage de l’acceptation par le grand public. A ce titre, la pédagogie est nécessaire, spécialement pour des développements qui font appels aux technologies de l’intelligence artificielle. Celle-ci en effet présente à ce jour une certaine opacité intrinsèque : comprendre le mécanisme interne qui a abouti à une décision des algorithmes de cette famille est souvent inaccessible. L’intelligibilité de l’intelligence artificielle est un domaine de recherche actif et qui servira à ce titre.

–        la maîtrise des nuisances : la question du bruit est ici centrale. Or, avec des machines volantes de plus en plus nombreuses, avec un ou plusieurs rotors sustentateurs dans la plupart des formules proposées, les spécialistes s’accordent à y voir l’un des enjeux les plus complexes. Que ce soit au niveau de la production du bruit, des mécanismes qui peuvent l’occulter, ou encore de sa propagation dans un environnement urbain, les domaines où la compréhension doit progresser sont nombreux. La France possède avec l’ONERA un très grand savoir-faire dans le domaine du bruit des avions comme dans celui du bruit des hélicoptères, qui a conduit la NASA à en faire son partenaire numéro 1 dans le monde sur ce sujet.

Autre dimension vitale pour ces nouveaux secteurs : la viabilité économique des modèles. Celle-ci appelle en retour des compromis de toutes sortes, une performance aérodynamique, une consommation réduite, une vitesse importante, des progrès par exemple sur les batteries…. Et tout cela, sans compromission de la sécurité.

Ces enjeux sont complexes, et par ailleurs souvent contradictoires. Ils reposent fréquemment sur la compréhension de phénomènes restant largement à explorer ; tous sujets sur lesquels la recherche doit encore avancer.

En outre, la compétition internationale sur ces thématiques est féroce ; de vastes investissements industriels, d’ambitieux programmes de recherche sont menés dans le monde entier. La France doit donc se montrer volontaire pour aborder tous ces sujets, elle qui dispose pour ce faire de toutes les compétences nécessaires.

L’ONERA, au cœur des défis

Je finirai avec un dernier mot sur l’ONERA, qui joue un rôle très spécifique : celui de l’établissement public de recherche pour les domaines de l’aéronautique et du spatial. Il a vocation à apporter une expertise au profit de l’Etat français, ainsi qu’être facteur d’innovation au bénéfice de l’industrie. Il est pour cela un pont entre la recherche fondamentale et l’industrie, connaissant bien ces deux univers et aidant à leur fécondation mutuelle. A ce titre, il mène à la fois des travaux plutôt amont quoique toujours finalisés, ainsi que des travaux plus proches de l’industrialisation.

Sur les thématiques drones, l’ONERA apporte son savoir-faire dans les domaines civil et de défense, et pour des applications aussi variées que des vols « atmosphériques », des missions stratosphériques (nouveaux vecteurs HAPS – High Altitude Pseudo Satellites), ou encore des concepts de drones martiens, et sur la plupart des sujets scientifiques importants. Parmi ces thématiques, on peut citer :

–        la sécurisation des drones, qui passe par la fiabilisation de l’avionique, y compris le développement d’outils pour la certification, mais aussi la reconfiguration du drone face à des aléas, l’insertion dans le trafic aérien, la prise en compte des facteurs humains et des dimensions éthiques, la définition de systèmes de liaisons de données fiables et sûrs, les questions de cybersécurité

–        l’amélioration des performances des drones et systèmes de drones, qui passe par le développement d’outils de conception de drones innovants et de systèmes de drones, des capteurs pour la mission et pour la navigation plus fiables, plus performants, plus compacts, l’amélioration de l’autonomie de déplacement et de décision, la coopération de systèmes robotisés, les sources d’énergie alternatives, la furtivité

–        la lutte contre les drones malveillants. Celle-ci concerne à la fois le développement de technologies permettant de détecter ces engins (surveiller en permanence et déclencher une alerte) ; de capacités d’identification (être en mesure de préciser la nature, le type de la menace, et la localiser précisément) ; enfin de méthodes de neutralisation (arrêter la menace). L’ONERA est un des rares acteurs à maîtriser à la fois les différentes briques technologiques –optroniques, radar, acoustique, fusion de données, interprétation- et à posséder une connaissance système sur ce sujet. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des acteurs étatiques impliqués s’est adressé à l’ONERA fin 2014 lorsque les premiers phénomènes (survol de centrales nucléaires) se sont produits.

Sur toutes ces thématiques, l’ONERA développe une excellence scientifique qui lui permet de remplir sa mission, en s’appuyant également sur des capacités de simulation multi-disciplinaire très représentatives, ainsi que d’expérimentation avec une flotte de drones de tous types et tailles.

Son rôle d’expert au profit de l’Etat français se concrétise dans la récente convention sur les drones liant la DGAC et l’ONERA. Dans ce cadre, l’ONERA apporte à la DGAC un soutien scientifique dans la perspective des futures évolutions règlementaires et des défis techniques qu’ils posent. Il apporte également une aide à la formation de la filière pour mieux y diffuser les objectifs et méthodes de sécurité.

Dans le domaine de la défense, l’ONERA tient ce rôle d’expertise dans les grands programmes français et européens relatifs aux drones, le programme de drone de combat ou le futur drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) européen.

Sa relation avec les industriels se manifeste par diverses coopérations, en particulier un partenariat stratégique avec la filiale drone de SNCF-Réseau, Altametris. Ce partenariat témoigne de la fécondation mutuelle possible et souhaitable entre l’industrie et la recherche, pour améliorer les capacités d’inspection et de surveillance du réseau ferré  et nous vous invitons à venir le découvrir sur notre stand commun.

L’ONERA est également présent auprès des industriels et d’autres acteurs dans le Conseil pour les Drones Civils piloté par la DGAC, en contribuant à la plupart des activités techniques qui y sont menées. Il est aussi présent dans les clusters Aerospace Valley (commission de marché drones), Astech et Safe. L’ONERA est également le pilote de la filière AirCar rassemblant ceux des instituts labellisés Carnot, par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui interviennent dans l’aéronautique. Cette filière a récemment sélectionné 50 Plateformes Technologiques, accessibles financièrement aux TPE/PME, qui répondent de façon  pertinente aux problématiques de l’aéronautique en général et des drones en particulier comme les capteurs embarqués, le comportement aérodynamique, l’acoustique … Je ne peux là aussi que vous conseiller d’aller visiter le stand Aircar pour découvrir cette possibilité d’accès aux plateformes technologiques AirCar.

Au plan international, l’ONERA représente l’ensemble des établissements européens de la recherche en aéronautique civile dans le groupe d’experts drones de la commission européenne, et sa candidature aux côtés du NLR –son homologue hollandais- a été retenue pour un rôle analogue auprès de l’agence européenne de la sécurité aérienne. L’ONERA est également présent dans des groupes internationaux qui réfléchissent aux futures règlementations  et aux futurs standards pour les drones.

Sa proximité avec les laboratoires académiques est notamment concrétisée dans la fédération de recherche créée en 2018 à Toulouse avec l’ISAE-Supaéro et l’ENAC, ou encore dans le groupement d’intérêt scientifique sur les microdrones qui regroupe un certain nombre d’acteurs de ce domaine.

L’aéronautique est un domaine en perpétuel mouvement, marqué d’innombrables innovations. L’ONERA est bien placé pour en témoigner. Les drones en sont un excellent révélateur.

Bruno Sainjon

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Bruno Sainjon

Bruno Sainjon est le Président directeur général de l’ONERA depuis le 2 juin 2014. Ancien élève de l’École polytechnique (promotion 1982) et de l’École nationale supérieure des techniques avancées (promotion 1987), il a été promu ingénieur général de l’armement le 1er juillet 2005.

View Comments

  • Qu’en est il des certification obtenue en 2017?
    Et les licences aéronautique professionnelles sont elles toujours reconnues pour l’utilisation d’un drone?
    Ce ne sont que des questions, mais dans les transformation actuelles de la réglementation, il est difficile de s’y retrouver.

    ,

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