A 82 ans, René Fournier assure toujours le suivi de navigabilité des avions-planeurs qu’il a construits au cours de sa carrière qui a débuté dans les années cinquante.
Les avions que vous avez dessinés au cours de votre riche carrière font l’objet d’un véritable culte de la part de leurs propriétaires. On a encore pu le mesurer lors du récent rassemblement international du Club Fournier, en mai dernier à Gap. Comment expliquez-vous un tel engouement ?
Mes avions ont des caractéristiques de vol spéciales. Ils ne volent pas comme les autres avions. Ce sont des avions très économiques. Tous les monoplaces sont équipés de l’ancien moteur de la Coccinelle de Volkswagen. A 170 km/h, ils ne consomment que 9,4 litres à l’heure.
Votre premier prototype d’avion-planeur a volé en 1960. Au début des années 2000 vous avez fait paraître un livre qui retrace plus de quarante ans d’activité aéronautique. Quel bilan dressez-vous de votre carrière ?
J’ai pu faire d’une passion d’enfance mon métier et je suis conscient de la chance que j’ai eu. Et bien que cette expérience ne m’ait pas enrichi sur le plan financier, elle m’a en revanche apporté bien d’autres satisfactions. D’abord la reconnaissance de ma formule dont d’autres constructeurs se sont inspirés pour produire à leurs tours ces machines à longues ailes. Si l’Aviation civile m’avait soutenu au lieu de me compliquer la vie avec des normes et des règlements inadaptés et pénalisants, alors que j’étais le premier à détenir une nouvelle formule d’appareil, nous n’aurions pas eu à abandonner aux allemands la production et le marché mondial des motoplaneurs. Quand vous pensez que mon avion pesait 240 kg à vide et que j’étais soumis à la même règle que les avions de 5,7 tonnes… Financièrement cela m’a tué.
Votre carrière a été un perpétuel combat contre l’administration, votre formule n’entrant pas dans les catégories existantes…
J’en ai terriblement souffert. Quand j’ai sorti mon RF01 en 1960, j’ai reçu des centaines de lettres du monde entier de pilotes qui étaient intéressés pour en acheter un. Si j’étais parti aux Etats-Unis à ce moment-là avec toutes ces lettres, j’aurais obtenu toutes les aides dont j’avais besoin pour lancer une production en série et développer une gamme. J’aurais pu en vendre 5000 !
Qu’est-ce qui vous a poussé à délocaliser – à l’époque le terme n’était pas encore utilisé – votre production en Allemagne, en 1966 ?
Nous nous plaisions bien à Gap, où nous sommes restés de mars 1962 à mai 1966 et où nous avons produit cinq prototypes, RF2, RF3 et RF4, et près d’une centaine de RF3. Nous étions les seuls sur la plateforme. Il y avait juste le hangar du club en plus de notre usine. Nous avons quitté Gap la mort dans l’âme. Nous avions Véritas en permanence dans l’usine, notre infrastructure était trop faible et nous ne pouvions y remédier, l’éloignement posait aussi des problèmes d’approvisionnement… Nous avions aussi des problèmes de trésorerie dus en particulier à une concurrence faussée par les primes d’achats accordées par l’Etat aux aéro-clubs et qui favorisaient les avions les plus puissants et les mieux équipés. Notre avion-planeur qui était le moins cher du marché, devenait par le jeu de la prime d’achat, pour les associations, aussi cher qu’un quadriplace. Une véritable imbécillité. C’est en fait un ensemble de raison qui nous a poussé à aller en Allemagne produire dans de meilleurs conditions.
D’une certaine manière, vous avez toujours précédé les évolutions réglementaires…
Si la norme ULM avait existé plus tôt, il est évident que j’aurais été le roi. Pendant des années j’aurais été le seul constructeur… Si mes deux tentatives industrielles en France n’ont pu se développer, à l’étranger en revanche, les productions de mes avions ont apporté la preuve que ceux-ci étaient viables et avaient un marché.
Votre dernier avion que vous ayez dessiné, le biplace RF47, entre dans la norme JAR-VLA…
Mon ami André Daout s’est ruiné pour le faire certifier. Il lui en a coûté 8 millions de francs. Pour le contrôle qualité, il avait besoin d’un ingénieur à plein temps. Nous sommes dirigés par les gens qui n’ont plus de bon sens.
Selon vous, la construction d’avions légers est-elle encore possible, aujourd’hui, en France ?
La réglementation l’a tuée. Trop de contraintes. C’est un métier de passion. On ne peut pas en vivre. Il y a trop de charges. Depuis la guerre, en France, l’Etat contrôle tout. L’initiative est tuée. En tant que libéral, je le déplore.
Que pensez-vous de la nouvelle génération d’avions légers ?
Il se construit de bonnes machines aujourd’hui qui volent différemment des miennes, mais je pense que le niveau de sophistication atteint par certains avions modernes n’est pas nécessaire.
Quel avenir entrevoyez-vous pour l’aviation légère ?
L’avenir de nos ailes appartient aux jeunes que nous devons aider, en leur faisant confiance et en ne brisant pas leur enthousiasme. La passion qui les anime est la même que celle que j’éprouvais à leur âge, mais les perspectives qui s’ouvrent à eux sont malheureusement bien différentes. C’est précisément pour cela que je suis révolté lorsque j’analyse la situation dans laquelle se trouve notre aviation légère. Alors qu’il y a trente ans à peine, celle-ci brillait encore de tous ses feux, elle est aujourd’hui paralysée, bloquée par une réglementation écrasante et en partie inutile. J’admire d’autant plus tous ces hommes, pilotes, mécaniciens, artisans et petits industriels qui ont encore le courage d’entretenir la flamme.
D’une certaine manière, vous-même, vous continuez à entretenir la flamme en assurant le suivi de navigabilité de vos avions…
Je veux que mes nombreux clients qui sont devenus des amis puissent continuer de voler. C’est la raison pour laquelle, en effet, je me suis engagé à assurer le maintien de la navigabilité de leurs appareils et ce, aussi longtemps que ma santé me le permettra et tant que l’administration ne créera pas de nouveaux textes qui m’interdiraient de le faire. Je leur dois bien cela, car le côté positif de mon aventure c’est bien l’amitié que ceux-ci n’ont cessé de me témoigner durant toutes ces années.
C’est cette amitié qu’ils vous témoignent en vous retrouvant lors des rassemblements organisés par le Club Fournier International ?
Effectivement et cela me fait un plaisir infini et à eux aussi d’ailleurs. Il y a une espèce d’osmose entre nous. A travers la machine, nous nous retrouvons. Le Club est une vraie famille. Il existe des amitiés extraordinaires entre eux.
Jouez-vous toujours du violon ?
Non, j’ai arrêté trop longtemps. Le violon, ce n’est pas comme le vélo… J’ai fait beaucoup de céramique et de peinture, mais aujourd’hui ma passion c’est les vieilles pierres. Je viens de restaurer un ancien colombier en Touraine. A 82 ans, j’ai fait encore trois mètres cubes de maçonnerie seul.
Propos recueillis par Gil Roy, à Gap, en mai 2007.
Photos : Gil Roy
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« Nous sommes dirigés par des gens qui n’ont plus de bon sens ».
J'ai lu votre livre "mon rêve.." et je comprends votre amertume quant à
l'immobilisme de nos "politiques". Ca n'a pas changé ! Merci de votre esprit
combatif et de vous etre entouré de collaborateurs efficaces qui vous ont
aidé et reconnu votre valeur de concepteur visionnaire ! Ils vous honnorent
cette semaine et Philippe et moi nous nous régalons avec notre RF3. Avec
nos compliments et nos voeux de bonne santé. Une pensée aussi pour Bernard
Chauvreau et autres collaborateurs d'antan !
G. GARBUIO