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Industrie

« La réglementation ne fait pas la sécurité ».

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Gil Roy

A travers l’Annexe 19 publiée en 2014, l’OACI a initié une révolution culturelle qui tend vers un niveau de sécurité maximal pour l’aéronautique au sens le plus large. Tous les acteurs sont concernés, mais à quelques mois des échéances, peu encore, ont réellement conscience du chemin à parcourir pour atteindre le but et surtout de la remise en question de la manière avec laquelle ils devront appréhender dans le futur proche la surveillance des risques. Plus qu’une révolution culturelle, c’est un tsunami qui déferle sur les organismes de surveillance de la sécurité et sur les structures sous surveillance.

Qu’ils parlent de « SMS » pour Safety Management System, de « RBO » pour Risk Based Oversight ou encore de « SGS » pour Système de Gestion de la Sécurité, tous, qu’ils soient côté « contrôleur » ou côté « contrôlé », reconnaissent qu’il y a un grand pas à franchir pour aller là où l’OACI veut emmener l’aéronautique. A travers son Annexe 19, l’Organisation impose, en effet, une remise à plat totale de la surveillance actuelle de la sécurité pour tendre vers une fiabilité plus grande du système à un coût maîtrisé. La sécurité n’a pas de prix, mais elle a un coût, et c’est un paramètre que veut aussi intégrer l’OACI.

De la conformité à la performance

« Ce n’est pas seulement un changement de méthode ou de cadre réglementaire, c’est un changement de philosophie », résume Corinne Bieder, chercheuse à l’ENAC. « Nous passons de la surveillance basée sur la conformité, à la surveillance basée sur la performance ». Dès lors, certains n’hésitent pas à parler de « révolution culturelle ». D’autres, comme Clément Dufix de la Direction des méthodes de l’OSAC, évoquent plus prosaïquement un « gros bouleversement » : « Nous devons être progressif pour passer de la conformité à un système complexe de mesure du risque ».

Au premier abord, le nœud du problème semble effectivement se situer au niveau de l’organisme de surveillance, plus précisément au niveau de l’inspecteur qui devra aller dans l’entreprise renouveler un agrément. « L’inspecteur est en bout de chaine réglementaire ; il devient l’opérateur de première ligne », fait remarquer Corinne Bieder.

Il va devoir renoncer à un cadre confortable qu’est celui de la conformité ou non à un point spécifique d’un règlement pour une approche subjective de la sécurité. « L’inspecteur devra être capable d’analyser la capacité de l’organisme à gérer la sécurité », synthétise Pierre Bernard, Directeur technique de la Direction technique Navigabilité et Opérations, à la DSAC.

L’inspecteur intégré à une équipe

« Même lorsqu’elle est strictement limitée à la conformité à la Règlementation, la surveillance ne peut pas être et n’est plus la mission d’un expert seul. C’est encore plus vrai avec l’introduction du RBO », insiste Jean-Marc de Raffin, président d’OSAC, l’organisme en charge de la surveillance de la sécurité pour le compte de la DGAC. Progressivement la surveillance a évolué et continue à évoluer. « Elle n’est plus limitée à des inspections périodiques et ponctuelles, débouchant sur un rapport très personnel et sur la décision d’un homme seul, expert « autoproclamé », isolé, suivant ses propres méthodes, et coopté par le milieu d’experts « safety » sur la base d’un don inné ».

La mission de surveillance globale et permanente est l’affaire d’un organisme complexe, résume le président d’OSAC. « Une équipe comprend des inspecteurs aéronautiques, des analystes et des qualiticiens. Les décisions majeures sont soumises à une commission composée de membres de la Direction des Opérations, des Méthodes et de la Qualité. Nous sommes loin du schéma de l’expert « autoproclamé », qui décide seul dans un splendide isolement ».

Stratégie de l’analyse des risques

Cette organisation du contrôle est d’autant plus importante, que le cadre évolue. « La sécurité est un sentiment, elle est donc très difficile à objectiver. L’inspecteur devra être capable de gérer la partie subjective, d’où un énorme effort de formation pour qu’il puisse dépasser le cadre de la conformité » reconnaît Clément Dufix. Le problème se complique encore avec le fait que les entreprises contrôlées doivent dans le même temps remettre en question leur propre gestion de la sécurité.

« Ceux qui sont contrôlés doivent désormais réfléchir à leur stratégie de l’analyse des risques », explique Ivan Pastorelli, chercheur, dirigeant de la start up Safety Sciences, spécialisée dans les systèmes de gestion de la sécurité. Il accompagne l’OSAC pour la refonte stratégique de son outil de surveillance.

« Auparavant, il avait un niveau maximal de sécurité que personne ne pouvait atteindre. Le système fonctionnait par dérogation. Dorénavant, les opérateurs doivent déclarer quel niveau de sécurité ils visent. On parle des lors de stratégie de gestion du risque : il y a un déséquilibre entre le risque que j’accepte de prendre et le risque qui est intolérable. Le déséquilibre tolérable n’est pas dans la culture française. Les résistances sont plus culturelles que techniques ».

« La réglementation ne fait pas la sécurité. »

« Il est possible de construire un modèle de gestion de la sécurité et de maîtrise des risques en dehors du domaine défini par la Réglementation ; il est possible de prendre des risques non maîtrisés et de n’avoir aucun objectif réel de sécurité tout en respectant la Réglementation », affirme Jean-Marc de Raffin. « La Réglementation définit un domaine à l’intérieur duquel les acteurs doivent travailler et dans lequel il est plus facile de gérer les risques et d’assurer une exploitation plus sûre, mais la réglementation ne fait pas la sécurité. C’est un cadre, au sens propre ».

Pour que ce nouveau système de gestion de la sécurité tel que le désire l’OACI, et en cascade l’EASA et la DSAC, fonctionne, on serait tenter de penser que l’inspecteur devrait mieux connaître les opérateurs aériens que la réglementation. C’est beaucoup demandé. D’où, comme le fait remarquer Clément Dufix, la nécessité d’une part de « limiter la subjectivité du système de gestion de la sécurité » et d’autre part « la prise de conscience des usagers de l’intérêt du SGS qui est un outil de management et un gain de productivité ».

Ne pas superposer les couches

Le risque est bien réel, qu’en définitive, le nouveau système de gestion de la sécurité, ne se substitue pas à l’organisation actuelle, mais qu’il vienne au contraire se superposer. « Si nous en arrivons à ajouter une couche, nous aurons manqué l’objectif » reconnaît Pierre Bernard de la DSAC. Deborah Vintner va plus loin.

Elle dirige le système de gestion de la sécurité d’ATR qui couvre non seulement les organisations de conception (DOA) et de production (POA) du constructeur, mais également son centre de formation (ATO) et sa structure de maintenance (Part 145) : « Le SMS doit être transversal. Le limiter à une activité n’a pas d’intérêt. Les risques se situent à la frontière entre deux activités ». ATR a anticipé la mise en œuvre de la réglementation en tenant informé l’EASA pour la partie DOA. « Actuellement nous avons affaire avec plusieurs autorités de surveillance. Quand nous aurons mis en place un SMS global, nous ne souhaitons évidemment pas être audité par trois organismes différents ».

Une montée en puissance progressive du SMS

Thierry de Mazancourt, en charge de ces questions pour le groupe Safran va même plus loin : « nous menons une réflexion sur la possibilité de confier aux industriels les moyens de contrôle de conformité aux règles ». Cette étape sera franchie un jour futur, c’est une certitude. L’OACI aura alors atteint son objectif et le système de surveillance de la sécurité, sa révolution. D’ici là, il y a de nombreuses étapes cruciales à franchir.

« Nous devons être progressif pour passer de la conformité à un système de mesure du risque », insiste Clément Dufix de l’OSAC. « Il faut un cycle complet de renouvellement d’agrément pour voir si le nouveau système fonctionne ». Autrement dit, le système de gestion de la sécurité qui doit entrer en vigueur au premier trimestre 2018 ne sera pas pleinement opérationnel avant 2020. Cela paraît court pour réussir à changer les mentalités.

Le défi est de taille et chacun en a conscience, comme viennent de le démontrer les Rencontres annuelles du personnel de l’OSAC qui ont eu lieu, du 29 au 31 mars 2017, à Toulouse. Plus précisément sur le campus de l’ENAC qui, sous l’impulsion de l’OSAC, a crée récemment un Master qui a pour vocation de former des « Safety Managers ». « Il existait des Masters orientés sur la maîtrise des risques, mais il n’existait pas de formation proposant une approche systémique de la sécurité. C’est une première », insiste Anne-Marie Schaal, à l’origine de cette formation innovante qui s’inscrit, en droite ligne, dans l’esprit de l’Annexe 19.

Gil Roy

 

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Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

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  • Lotser68 tu cernes bien la gestation d'un monstre administratif.
    Il n'y a plus qu'à espérer que ça marchera pour aller et surtout atteindre l'objectif annoncé dans l'introduction de Gil Roy : "...une révolution culturelle qui tend vers un niveau de sécurité maximal ..."

    • bien d'accord, d'ailleurs quand je dis ça, je ne dis pas qu'il ne faut pas tendre vers.. mais je constate que depuis plusieurs années d'ATO de SGS, et de commission de securite, on a fait un travail, mais ce fameux plancher de verre , ne cede pas ,il y a toujours un nombre minimum minimorum d'accidents au-dessous duquel on arrive pas a descendre'Faut il s'en contenter ,enregistrer, voire baisser les bras...je ne crois pas ,mais si l'on considère les causes,on est obligé de se rendre à l'évidence, c'étaient déjà les mêmes dans les années 70,80,90 etc etc ... que faut il faire?...c'est redondant et on se débat avec.
      Cela dit je ne pense pas que la surreglementation arrangera quelque chose,sinon à éloigner encore plus les pratiquants vers d'autres cieux.Regardes La pratique de l'aviation légère vers l'ULM...par ex..
      Bon WE
      SL

  • Bonjour,
    L’analyse, la gestion, la surveillance de la sécurité telle que présentée au lieu de me rassurer m’inquiète. Quant je lis les articles des spécialistes, comme ce post de Gil Roy, avec son intellectualisation, ses anglicismes, ses acronymes multiples, ses expressions nouvelles, ses métiers nouveaux, j’ai l’impression qu’un monstre administratif se met en place pour écraser tout ce qui est simple et efficace.
    J’ai vécu en aéro-club le passage à l’ATO, il a fallut créer des postes, acheter des armoires pour y enfouir des classeurs. Heureusement on nous promet un allègement de l’ATO. Mais à son échelle c’était la démonstration du mammouth pour écraser une mouche.
    Certes je sais que je suis un « has been » … d’où probablement mon effarement et mon scepticisme face à l’efficacité de ces monstres administratifs …

    • T'as raison Anemometrix, mais il ne faut pas oublier que comme dans les cabinets ministériels,comme dans les commissions europeeennes,comme dans les instances du meme noms, ...ÇA permet de créer des postes, des bureaux, des machins, dont on ne peut plus se défaire par la suite et qui donc justifient leur positions et leurs salaires.CQFD.
      De plus nous les français sommes nuls en "lobbying" ce que savent par contre trés bien faire d'autres pays anglos saxons, et également ceux qui n'ont aucune aviation générale ,aucune culture aéronautique,et qui prétendent dicter leur lois...
      1 pays ,1 vote...
      Mais comment faisions nous pour voler avant?,,

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