Air France esquisse une reprise hypothétique

Auditionné par les sénateurs, l’état-major d’Air France dresse un tableau cru de la situation catastrophique du transport aérien. Le pilotage à vue est la règle. Mais l’information cruciale au sortir de ces deux heures de questions-réponses est que l’équipage aux commandes sait où il veut emmener la compagnie nationale. Il garde le cap.

Il y a un pilote dans l’avion. Lors de son audition devant les sénateurs, le 10 avril 2020, le secrétaire d’état aux transports avait souligné l’atout que représentaient, selon lui, Ben Smith, le PDG du groupe Air France KLM et son équipe rapprochée, à commencer par Anne Rigail, directrice générale d’Air France. Le 23 avril 2020, devant les sénateurs de la commission de l’aménagement du territoire, ceux qui sont depuis bientôt deux ans aux commandes de la compagnie nationale, ont fait forte impression.

« Des compagnies feront faillite et la France de sera probablement pas épargnée ». Ben Smith, PDG d’Air France – KLM.

Même s’ils avaient en face d’eux des élus qui n’étaient visiblement pas des experts du transport aérien, ils ont répondu sans langue de bois à leurs questions. A défaut de dessiner les grandes lignes de l’après-Covid-19, Ben Smith et son équipe ont passé en revue les défis à relever, en toute humilité. « La situation est d’une extrême gravité. Elle est sans précédent depuis le début du transport aérien. Des compagnies feront faillite et la France de sera probablement pas épargnée », résume le PDG d’Air France – KLM.

Ils sont convaincus que le redémarrage de l’activité sera lent. « Nous ne prévoyons pas grand-chose. Il faut évidemment faire des scénarios de reprise mais… », reconnaît humblement Anne Rigail. « La reprise se fera en fonction des prises de décision des pays européens et des autres pays ». En même temps que la compagnie se projette dans le futur, plus ou moins proche, elle doit gérer le quotidien.

L’activité d’Air France réduite à 2 à 3 %

Pour l’heure, l’activité d’Air France représente entre 2 et 3% de ce qu’elle était avant la crise. Elle se résume à une quinzaine de vols par jour au départ de Paris-CDG, dont 5 longs courriers. A ces vols passagers, s’ajoute l’activité cargo. Ses deux seuls 777 cargos sont utilisés au maximum de leur capacité et à partir de fin avril un nombre supplémentaire de 777 en version passagers seront exploités pour monter à sept fréquences par semaine.

Actuellement, sur ce qu’il reste du réseau d’Air France, le taux de remplissage est de l’ordre de 40% en moyenne. Au moment de la reprise du trafic, l’objectif est évidemment d’améliorer ce taux. Se posera alors le problème de la distanciation sociale au sein de la cabine. Air France souhaite que le port du masque soit rendu obligatoire.

Une distanciation sociale coûteuse

Anne Rigail rappelle qu’avant la crise, Air France affichait un taux de remplissage de 85% et que sa marge bénéficiaire n’était que de 1,7% (contre 9% pour Lufthansa et 14% pour British Airways). Autrement dit, les premiers vols seront déficitaires, d’autant plus que les procédures sanitaires mises en œuvre comme la désinfection de la cabine et l’installation de filtres spéciaux pour la régénération de l’air à bord, alourdissent de manière significative les coûts d’exploitation. La directrice d’Air France résume la complexité de la situation en affirmant qu’« on ne peut pas envisager de projet de distanciation sociale sur le modèle actuel du transport aérien ».

Accélération de la restructuration du réseau domestique

Ce problème est d’autant plus accentué que Ben Smith anticipe une concurrence exacerbée avec les low cost sur le segment du marché où Air France est la plus faible. Dans l’attente de l’ouverture progressive des frontières, le premier marché qui va s’ouvrir sera en effet celui du domestique. Les low cost vont se lancer dans une guerre des prix qu’Air France ne pourra pas suivre.

D’où la volonté de l’équipe dirigeante d’accélérer la mise en œuvre du plan stratégique lancé en novembre 2019 et qui repose sur une réduction de l’activité, une répartition des vols entre Hop et les autres compagnies du groupe et une nouvelle approche des lignes transversales qui relient les métropoles régionales entre elles.

Jouer la complémentarité des modes de transport, sans naïveté

Avant la crise, le réseau domestique d’Air France affichait une perte de 200 M€. « Nous avons perdu beaucoup d’argent à cause de la concurrence du train et des low cost. » rappelle Anne Rigail. « Nous sommes convaincus qu’il ne faut pas opposer les différents modes de transport que sont l’avion, le train et le bus. Il faut jouer la complémentarité sans naïveté ». La concurrence restera vive entre les différents modes sur certaines destinations.

« L’accélération de la transformation d’Air France et de son réseau domestique » va se traduire par une réduction de l’offre de l’ordre de 18% (qui s’ajoutent aux 40% annoncés en novembre 2019) et des effectifs en région. Le personnel des escales régionales a été réduit de 50%. Air France annonce une nouvelle réduction de 450 personnes.

Accélération de la restructuration d’Air France

Ben Smith et Anne Rigail ont été clairs devant les sénateurs. Le cap fixé avant la crise pour redresser Air France est maintenu, mais les délais sont raccourcis. Il s’agit de passer à la vitesse supérieure afin de raccourcir les délais. Il y a urgence vitale. A noter que les ambitieux objectifs environnementaux sont maintenus. La sortie de flotte anticipée des A380 et A340 va aider à améliorer le bilan carbone. Mais cela ne sera pas suffisant.

La réduction de moitié des émissions de CO2 en 2030 par rapport à 2005 est toujours d’actualité et pour y parvenir l’éco-pilotage et la réduction de masse seront poussés. Air France continuera à s’engager pour favoriser la mise en place d’une filière nationale de production et de distribution de biocarburant durable.

Prêts remboursables plutôt que nationalisation

Air France – KLM ne réussira pas à surmonter la crise actuelle seul. Il aura notamment besoin de liquidités pour le troisième trimestre 2020. Les discussions avec la France et les Pays-Bas sont « intenses », selon Anne-Marie Couderc, présidente non exécutive du groupe. « Le dossier avance rapidement et pourrait aboutir dans les jours qui viennent ». Ben Smith a demandé un prêt bancaire garanti et en complément des prêts directs des états si besoin. A ce jour, il s’agit de prêts remboursables. Une montée au capital comme une nationalisation sont exclues.

Lors de l’audition, Anne Rigail a annoncé qu’Air France aurait recours au chômage partiel à 50% pour six mois supplémentaires. « La reprise sur plus longue qu’escomptée il y a un mois ».

Gil Roy

 

Audition d’Air France dans son intégralité