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Transport Aérien

Parlons Facteurs Humains : Analyse des facteurs opérationnels et humains

Published by
Michel Trémaud

Les modèles de sécurité fixent les normes / standards / bonnes pratiques acceptés comme référentiel pour la conduite des opérations aériennes ; l’analyse des facteurs opérationnels et humains – observés dans les évènements survenus en service commercial – nous révèle les facteurs de risques qui affectent ces opérations, et nous interpelle sur l’adéquation de nos stratégies de prévention / récupération / mitigation. C’est ce que nous vous proposons d’explorer dans cet article et dans les deux suivants.

Facteurs humains et contexte opérationnel

En marge des efforts visant au développement de modèles de sécurité globaux et dynamiques (voir article intitulé  » Modèles de Sécurité « ), l’industrie s’est attachée à perfectionner les systèmes traditionnels de classification et d’analyse.

Ces modèles simples sont basés sur un ensemble de descripteurs et marqueurs, qui permettent de définir et qualifier le rôle de chaque facteur.

En particulier, la notion de facteurs humains à évolué vers une notion plus large de facteurs opérationnels et humains, reconnaissant ainsi que les uns et les autres sont interdépendants et ne peuvent être dissociés.

Objectivité de l’analyse

Il a souvent été reproché aux systèmes traditionnels d’introduire des biais dans l’analyse et donc dans ses conclusions, particulièrement :

  • biais de l’analyste (l’analyse pourrait être influencée par le profil professionnel de l’analyste qui n’y verrait en fait que ce qu’il cherche),
  • biais de recul (le recul du temps et la distance par rapport à l’action amèneraient nécessairement à porter un autre regard sur le déroulement de l’évènement et sur les décisions et actions des acteurs).

Ces reproches ne sont que partiellement recevables ; en effet, une analyse « guidée » – par l’outil d’analyse – permet de rétablir un degré raisonnable d’objectivité dans celle-ci et de consensus sur les conclusions.

Néanmoins, une analyse guidée et factuelle sera toujours enrichie par le jugement d’expert de l’analyste qui, seul, pourra y introduire une appréciation « métier » des faits établis et facteurs observés.

Quelle que soit la sophistication de l’outil d’analyse, l’utilisation de « taxonomies « , souvent rigides et parfois réductrices, constitue une contrainte dont il faut s’accommoder … ou à laquelle il faut trouver une parade.

Méthodologie

Survolons ensemble les grandes lignes d’un processus répondant aux besoins du constructeur pour l’analyse des évènements opérationnels.

Ce qui suit est également applicable – en grande partie – au processus mis en œuvre par une compagnie aérienne ou tout autre opérateur professionnel.

Les centres d’intérêt de l’analyse peuvent se regrouper en quatre domaines de haut niveau :

  • la reconnaissance de la situation par l’équipage et son diagnostic,
  • les procédures et leur mise en œuvre,
  • la performance globale de l’équipage dans la gestion de la situation et dans la conduite immédiate et ultérieure du vol,
  • l’environnement opérationnel et les circonstances, et leur impact sur le déroulé et la gestion de l’évènement.

Afin de documenter chaque domaine, une deuxième étape s’attache à détailler les aspects suivants :

  • Concernant la reconnaissance de la situation et le diagnostic :

Le type d’alerte activé, la présence d’autres symptômes (odeur, fumée, feu en cockpit ou en cabine, …), la nature et justesse du diagnostic, la contribution positive ou négative de l’interface homme-machine à ce diagnostic (ce qui nous amène à la notion de « communication homme-machine », qui fera l’objet d’articles séparés), … ,

  • Concernant les procédures et leur mise en œuvre :

Le type de procédure(s), sa(leur) facilité d’accès et la pertinence de son(leur) contenu, …,

  • Concernant la performance globale de l’équipage :

l’exécution correcte et complète des procédures et autres actions, la gestion des erreurs éventuelles, la gestion des menaces ayant pu compliquer la tâche de l’équipage, le maintien de l’attitude et de la trajectoire durant la gestion de la situation, la mise en œuvre des bonnes pratiques de CRM, …,

  • Concernant l’environnement opérationnel et les circonstances :

le contexte lié au trafic et contrôle aérien, le contexte lié aux infrastructures aéroportuaires, les conditions météorologiques, les conditions de surface de piste (contamination), le statut préexistant des systèmes avion (tolérances techniques), les facteurs physiologiques liés à l’équipage (fatigue, stress, facteurs personnels, conscience de la situation, …), les facteurs organisationnels ayant contribué à l’évènement ou compliqué sa gestion (composition de l’équipage, pression opérationnelle, …), … .

    • C

certaines de ces informations ne sont disponibles que si l’analyste dispose du rapport du pilote (et, dans le meilleur des cas, du compte rendu de son interview par l’officier de sécurité des vols) … tout cela étant déidentifié et donc rendu anonyme.

    Chacun des aspects ci-dessus est identifié puis codé à l’aide d’un descripteur et de marqueurs afin de constituer une cartographie de l’évènement.

    Il appartient alors au service sécurité des vols de faire ressortir les aspects saillant de l’analyse et de formuler des recommandations qui seront examinées / entérinées par un collège multidisciplinaire d’experts représentant les domaines suivants :

    • ingénierie / bureau d’étude, pour le développement éventuel d’une amélioration des systèmes ou de l’interface homme-machine (fonctionnalités, ergonomie, fiabilité, …),
    • opérations en vol, pour l’amélioration éventuelle des manuels opérationnels et checklists (procédure conditionnelle ou temporaire, clarification du contenu et/ou de la présentation, …) ou l’émission d’un bulletin d’information aux équipages,
    • formation, pour l’introduction éventuelle d’un nouveau briefing (mise en garde), d’une amélioration de la formation théorique (connaissance) ou d’un nouvel exercice au simulateur (démonstration / compétence vécue).

    Le processus ci-dessus met en lumière les quatre piliers de la prévention et du retour d’expérience :

    • conception (principes de haut-niveau, améliorations, modifications),
    • formation (syllabus initial ou maintien périodique des compétences),
    • utilisation (procédures normales / anormales / d’urgence, checklists),
    • information (partage d’expérience, sensibilisation, préparation).

    La finalité de ce processus d’analyse et de retour d’expérience est bien sûr de prévenir :

    • la récurrence d’évènements similaires,
    • l’occurrence d’évènements plus graves dont l’évènement analysé serait le précurseur.

    Dans le prochain article, « Nos hypothèses opérationnelles mises à l’épreuve « , nous verrons comment les résultats de cette analyse nous révèlent également les forces (robustesse) et faiblesses (fragilité) de nos principes de sécurité et hypothèses opérationnelles ; nous rentrerons ainsi au cœur même de la démarche mettant l’humain au centre de nos préoccupations.

    Elargir le champ d’analyse

    Au delà de l’analyse individuelle d’un évènement, il est extrêmement intéressant de consolider / agréger les observations relatives à un groupe d’évènements du même type (approches non stabilisées, sorties de piste, remises de gaz, …) afin de définir des stratégies de prévention / récupération / mitigation plus complètes et plus ciblées sur ce type d’évènement.

    L’analyse des facteurs opérationnels et humains est un vaste et perpétuel questionnement, en effet celle-ci ne se limite pas aux évènements nous concernant directement, par exemple :

    • suite à un évènement survenu sur un appareil d’un modèle rival, un constructeur s’interrogera pour déterminer si le même type d’évènement aurait pu se produire sur ses propres modèles,
    • suite à un évènement survenu dans une autre compagnie, sur un certain type d’appareil, sur une certaine route ou sur un certain aéroport, une compagnie s’interrogera pour déterminer si le même évènement aurait pu se produire sur sa propre flotte ou sur son propre réseau.

    Constructeurs, compagnies aériennes, organismes de contrôle aériens, exploitants d’aéroports, autorités, … unissent ainsi souvent leurs efforts – au sein de groupes de travail – pour partager leur expérience et leurs informations, et ainsi renforcer les plans de prévention existants ou en développer de nouveaux pour prévenir les risques émergeants.

    Se poser les bonnes questions

    A la suite de tout évènement, il convient de se poser les questions suivantes, qui nous ramènent aux quatre piliers de la prévention et du retour d’expérience :

    • Existait-il une amélioration du produit (modification) qui aurait pu éviter l’évènement ou en atténuer les conséquences ? … et si oui, était-elle installée ?
    • Existait-il une formation / un exercice abordant le scénario rencontré (en formation initiale ou en maintien périodique des compétences) ? … et si oui, l’équipage en avait-il bénéficié ?
    • Existait-il une procédure associée au scénario rencontré ?… et si oui, a-t-elle été suivie par l’équipage ?
    • Existait-il une information / sensibilisation spécifique aux équipages concernant le scénario rencontré ? … et si oui, l’équipage en avait-il connaissance ?

    En d’autres termes, l’évènement / incident / accident aurait-il pu être évité ? Etait-il « preventable » ?

    En résumé

    Les facteurs opérationnels et facteurs humains sont intimement liés, seule leur analyse conjointe permet de saisir la diversité et complexité d’un évènement, même mineur, ou d’un incident / accident.

    La sécurité aérienne est souvent mesurée à l’aune des statistiques d’évènements / incidents / accidents … qui ne mesurent que les « insuccès ».

    La prévention c’est avant tout éviter l’occurrence de tous les types d’évènements ; le « succès » de la prévention c’est donc l’ensemble des évènements qui ne sont pas produits, de toutes les erreurs qui n’ont pas été commises, … .

    … Mais il n’y a pas de statistiques pour mesurer cela, ni d’histogrammes pour l’illustrer !

    Michel Trémaud

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    Michel Trémaud

    Michel Trémaud a débuté sa carrière au Bureau Veritas, l'a poursuivie à Air Martinique et Aerotour, avant de rejoindre Airbus pour une carrière de près de 30 ans, consacrée principalement aux opérations en vol, essais de développement / certification et sécurité des vols. Dans ces fonctions, il a contribué à de nombreux projets pilotés par l'OACI, IATA, la Flight Safety Foundation et Eurocontrol. Ingénieur et pilote de ligne de formation académique initiale, il est pilote privé ( avion / planeur / ULM ) ... et également formé sur A310/A300-600. Michel Trémaud est décédé en octobre 2022, à l'âge de 70 ans.

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