Alors que l’Agence européenne pour la sécurité aérienne avait rapidement émis des préconisations au lendemain du crash du vol vol 9525 de la Germanwings, l’organisme a reformulé en juin dernier sa mesure « deux personnes au cockpit » pour viser les compagnies aériennes mauvaises élèves. Entre rétropédalage et véritable reconnaissance du mal-être dans certaines compagnies, l’EASA édulcore ses recommandations.
Très vite après le crash du vol 9525 de la Germanwings survenu dans les Alpes le 25 mars 2015, l’EASA, épaulée par le Bureau Enquête et Analyses (BEA), a mis en place une « task force » (force opérationnelle) de manière à revoir certains points de réglementation pour assurer une meilleure sécurité dans les cockpits. Cette équipe, formée de spécialistes, avait souligné la nécessité d’assurer la présence de deux personnes autorisées dans le cockpit, en permanence, de manière à ne plus laisser une personne seule en charge du poste de pilotage. Cette règle est applicable seulement aux équipages à deux pilotes, et précise qu’un membre de l’équipage viendra au poste de pilotage en l’absence de l’un des pilotes, de manière à garantir l’accès au poste de pilotage.
Remise en question d’une mesure précipitée
Cette préconisation de l’EASA auprès des compagnies aériennes européennes, rendue publique en fin d’année 2015, était en partie le fruit d’un emballement médiatique suite à ce crash tragique survenu dans les Alpes. Elle a néanmoins été amendée au mois de juillet de cette année après que les pilotes, les compagnies et les personnels concernés par cette recommandation aient transmis leurs remarques à l’EASA.
Les médias généralistes avaient réussi à rendre les personnels navigants douteux… alors que leur métier est bien d’emmener des passagers en toute sécurité. Un cas isolé, aussi dramatique, incompréhensible et horrible que celui de précipiter sciemment un avion avec ses passagers sur une montagne ne peut créer une règle générale. Le Syndicat National des Pilotes de Ligne (SNPL), par la voix de son président Eric Derivry, avait d’ailleurs fait part de ses inquiétudes, en mars 2015, sur cette mesure « qui induis(ait) de nouvelles menaces. »
Identifier le risque psychologique et social
Avec cette nouvelle version édulcorée du Bulletin d’information sur la sécurité ou Safety Information Bulletin (SIB), la procédure « deux personnes dans le cockpit » est depuis lors devenue une mesure parmi d’autres, à la discrétion des compagnies, permettant d’assurer la sécurité à bord. En juin de cette année, l’organisme européen s’est longuement exprimé sur le sujet lors de sa conférence annuelle sur la sécurité, conscient du malaise engendré par cette recommandation.
En juillet dernier, l’EASA a donc publié un nouveau SIB qui recommande la mise en place d’un audit au sein de la compagnie aérienne de manière à identifier les risques. Les risques mesurés seront d’ordres psychologiques et de « sécurité » en ce qui concerne les personnels navigants techniques et commerciaux. L’audit portera également sur la stabilité de l’emploi et le turnover au sein de la compagnie et également sur la capacité de cette dernière à manager et réduire le risque psychologique et social. En clair, l’audit mesurera la capacité de la compagnie à réduire la pression qui pèse sur ses pilotes et personnels commerciaux. Une formation devra être dispensée aux personnels concernés.
Les limites d’un audit interne
Puis, en fonction des résultats de cet audit, la compagnie pourra décider du maintien ou non de la recommandation d’assurer une présence continue de deux personnes dans le cockpit. Cette recommandation se voit ainsi rétrogradée au rang de « mitigating measure » (mesure d’atténuation).
Autrement dit, l’EASA vise implicitement et principalement les compagnies où il ne fait pas bon vivre, avec un turnover important et une stabilité de l’emploi médiocre. C’est la première fois que l’organisme européen fait référence à un possible malaise au sein de compagnies aériennes.
Mais il est aussi étonnant que l’EASA laisse la possibilité à une compagnie de s’auto-évaluer sur un sujet aussi épineux : en effet, l’audit ne sera pas mené par une entité externe. Dans ce cas, quelle sera la valeur de cet audit interne? Dès lors qu’on peut remettre en question l’objectivité d’un audit sur le malêtre au sein d’une entreprise, qui plus est avec une forte composante « facteurs humains » (ce sont encore des humains qui pilotent ces avions!), quel est l’intérêt et la crédibilité d’une telle démarche?
Les low cost ciblées
Au-delà des questions rhétoriques, si elle salue l’innovation, l’Union Syndicale des Personnels Navigants Techniques (USPNT) regrette toutefois que l’EASA n’incite plutôt les compagnies « mauvaises élèves » à se transformer en compagnie « humainement compatible. » « Les grandes compagnies nationales ne sont pas visées par ce nouveau SIB » explique l’USPNT qui précise que « c’est clairement certaines compagnies européennes low cost qui sont visées par ces modifications. »
Même si le syndicat n’est pas d’accord avec les conclusions de l’EASA sur le SIB, il reconnaît toutefois le travail important mené par l’organisme européen qui a fait preuve d’une véritable analyse de fond d’une situation compliquée à bien des égards.
Profilage psychologique du pilote
Vient ensuite le problème du profilage psychologique. Bien-sûr, les compagnies sont les mieux placées pour connaître leurs besoins en termes de pilotes et le profilage psychologique des candidats aux sélections en compagnies est monnaie courante. Les compagnies sont en effet les mieux à même, suivant leurs objectifs, de sélectionner leurs pilotes suivant les profils qui correspondront à leur exploitation. Mais l’USPNT craint que ces critères psychologiques pour la sélection, ainsi nommés par l’EASA, « ne servent d’excuses à des pratiques discriminatoires. »
Par ailleurs, le syndicat souligne, à juste titre, que l’intérêt d’un équipage à deux pilotes réside dans la différence de comportement de ces deux personnes aux profils différents. Un pilote avec un profil « sécurité » tempèrera le jusqu’au-boutisme d’un pilote au profil « mission. »
Aussi, avant que de confier le suivi psychologique du pilote à la compagnie, faudrait-il peut être avant tout une expertise au niveau de la visite initiale du futur pilote professionnel pour l’obtention de son certificat médical de classe 1. L’EASA a également planché sur le sujet cet été, et le fruit de ses travaux devrait être mis en application avant la fin de cette année.
Fabrice Morlon
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Tellement d'accord avec Stormy et si je quitte le cockpit le/la PNC ne peut être que le/la Purser (Chef de cabine) avec consigne d'être brêlé(e) sur le jumpseat le plus éloigné...une façon d'atténuer le risque induit par cette mesure dé-bi-le.
Du Golfe....
Psychologie et CPEMPN?? On va rien rigoler la , eh eh eh eh
Je rejoins les arguments de Stormy.
Je vais même plus loin : si le terrorisme kamikazé se développe, alors ...
... le transport aérien est une activité pleine de trous.
Mais bon ... je ne vais pas ici donner des idées ...
Dans ma grande compagnie du Golfe, nous (pilotes) sommes régulièrement amenés à recadrer parfois brutalement des PNC qui s'imaginent qu'ils sont là pour donner un grand coup de boule au pilote si celui-là touche les commandes quand l'autre s'est absenté (!) Ils peuvent ainsi se valoriser à peu de frais auprès de leurs familles ou relations, en disant qu'ils ont à "surveiller les pilotes" (ce qui les valorise d'autant - enfin, à leurs yeux)
Ce que Mr Derivry appelle sans les nommer " de nouvelles menaces" (quand on est responsable on ne peut plus parler clairement, sinon il parait qu'on dérape) ... eh bien moi je vous le dis ici le problème qui arrivera un jour soyez-en sûr c'est qu'un gars qui veut commettre un attentat cherche à devenir PNC (c'est plsu facile que de devenir pilote) et là boum, accès cockpit garanti seul avec un seul pilote, et là crac ....
Et le profil pour commettre ce genre d'actes, on le connaît tous : ils ne le sont pas tous, mais tous les terroristes le sont.
Pour sûr, les PNC ont des profils professionnels ET psychologiques plus variés que les PNT...
L'EASA: ou le pompier pyromane ?!?
En 10 ans les compagnies "low-cost" ont pris la moitié du marché européen et par une curieuse coïncidence la visite d'aptitude médicale professionnelle de classe 1 est devenue symbolique au point ressembler à une quasi-déclaration sur l'honneur et ceci même après 40 ans!
Qui édicte les fameux "standards de l'industrie"?