Une démonstration valant mieux qu’un long discours, nous nous sommes retrouvés sur le jump seat d’un Falcon 7X pour évaluer l’efficacité du système de vision améliorée proposé par Dassault sur sa gamme d’avions d’affaires. De nuit… évidemment !
« Et là, c’est normal qu’on passe si près du relief ? » Quand on n’est que le passager sur le strapontin du poste de pilotage, dans un triréacteur d’affaires d’une trentaine de tonnes au décollage, on est très surpris par l’approche de Chambéry. Surtout la nuit. L’équipage, certes, est rôdé à ce genre de procédure. Ce soir de mars, il ne bénéficie pas du clair de lune mais du système EVS de « vision améliorée » disponible depuis peu sur le Falcon 7X.
Au départ, c’est un vol d’essai pour un article qui doit paraître dans l’hebdomadaire britannique Flight International. Il restait une place et le service presse de Dassault me l’a obligeamment proposée. Je ne suis pas pilote professionnel mais je connais la capacité des employés de la maison à transmettre leurs connaissances. D’autant que nous aurons deux ingénieurs et deux pilotes rien que pour nous. Comme espéré, la dizaine d’heures en leur compagnie aura été passionnante.
Après le décollage d’Istres, vers 18h00, Peter, le pilote-essayeur (qui est aussi pilote d’essais chez Raytheon Systems), fait un peu de « mania ». Il n’a pas piloté le 7X depuis quatre ans. Nous prenons ensuite la direction de la Savoie. Il s’agit de tester l’EVS, son capteur infrarouge et son affichage tête haute (HUD) sur un aéroport exigeant.
Il fait nuit noire quand nous arrivons à Chambéry. L’approche doit commencer par le nord, au-dessus du lac du Bourget. On profite alors du guidage ILS. A une distance donnée du seuil de piste, on vire à gauche et on entame un tour de piste par l’est. On atterrit finalement sur la piste 36. Normalement, cette procédure est interdite la nuit : on passe à proximité des montagnes et on ne survole la ville qu’à 900 ft (270 m). Mais, pour un vol classé « essais », Dassault a pu obtenir une dérogation.
Avec l’EVS, on ne voit pas comme en plein jour mais le relief, les obstacles et la piste apparaissent clairement. Attention à ne pas exagérer l’avantage que cela procure. « On ne vole pas dans l’image ; l’EVS conforte le pilote qui suit un système de guidage », insiste Dominique Chenevier, pilote d’essais chez Dassault. C’est le concept d’exploitation en « conditions visuelles équivalentes ». Si l’information supplémentaire offerte par l’EVS est cohérente avec le guidage, on peut continuer. En l’occurrence, notre tour de piste nocturne va un peu au-delà, puisqu’il s’agit bien de vol à vue.
Sur le HUD, l’image EVS se superpose à des symboles comme le vecteur vitesse. Celui-ci, un petit cercle qui fait partie de la symbologie classique en tête haute, permet de piloter en trajectoire et non plus en assiette. Le pilote voit exactement où va l’avion. Le pilote doit régler son siège de sorte que ses yeux soient exactement au bon endroit pour voir l’affichage sur la glace. Le champ de vision offert par l’image infrarouge est de 28° en largeur et 26° en hauteur.
En termes de qualité d’image, la technologie LCD permet de bien voir à la fois l’image EVS et les symboles et chiffres, quelles que soient les conditions d’éclairage. Mais les pilotes et les ingénieurs de Dassault insistent sur les limitations du système. Ainsi, on peut voir à travers le brouillard… mais pas n’importe quel type de brouillard. Un brouillard « jeune », qui vient de s’établir, est compatible avec la vision infrarouge. Mais un brouillard plus « mûr », avec de plus grosses gouttelettes, ne se laisse pas dompter par le système. Arnaud Paulmier, ingénieur au soutien client, note que c’est sous la neige que l’EVS a montré le plus grand avantage sur l’œil humain.
L’EVS n’est donc pas un équipement tout-temps. C’est ce qui avait d’abord retenu Dassault, à la fin des années 1990, de suivre son concurrent Gulfstream dans cette voie. A Chambéry, pas de brouillard ni de précipitations. Je passe une partie du vol en cabine, devant un écran cathodique où l’image et la symbologie restent très lisibles.
La formation des pilotes à l’utilisation de l’EVS dure une journée. Première petite difficulté : l’image EVS du simulateur est souvent trop belle ! C’est l’une des raisons pour lesquelles le constructeur français tient à la pédagogie : cet équipement améliore la sécurité mais il ne faut pas non plus trop en attendre. Par exemple, il s’agit d’apprendre aux équipages à bien utiliser l’image infrarouge en évitant l’effet de « fascination ». Tout en préservant la collaboration entre les deux pilotes.
Dans la répartition des rôles, le pilote en place gauche utilise le HUD mais le copilote regarde aussi dehors. C’est lui qui annonce « visuel » quand il voit la piste (en vision naturelle, donc). Afin de se familiariser avec le système, Dassault recommande de l’utiliser d’abord en exploitation normale avant d’en tirer parti pour descendre sous les minima habituels de visibilité. L’EVS se généralise plus vite sur les avions d’affaires que sur les avions de ligne. De par leurs missions, les « business jets » se posent plus souvent sur des terrains équipés d’ILS moins performants, voire dépourvus de moyens d’approche de précision.
Nous nous posons à Istres vers 20h30. Au roulage, l’équipage n’allume pas les phares pour tester l’EVS jusqu’au bout. Peter se dit ravi : il assure que le système lui a grandement facilité la tâche pendant tout le vol.
Thierry Dubois
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