Défricheur de lignes aériennes, pour le plaisir, avec un bimoteur léger qu’il avait convoyé de métropole, Gérard Ethève est aujourd’hui le patron d’une compagnie aérienne qui fait la fierté de la Réunion… et la sienne aussi.
A 75 ans, il vient de mettre en service son troisième Boeing 777 ce qui n’a d’ailleurs, pas forcément été du goût d’Air France qui l’avait pourtant encouragé dans la voie du transport régulier, il y a peu. Mais la petite compagnie imaginée au départ a pris de l’envergure. Par pur pragmatisme. « J’avais toujours dit que notre vocation n’était pas la desserte sur la métropole en confrontation avec les compagnies long-courrier existantes », avoue celui qui se qualifie lui-même de « boulimique de l’aéronautique ». Et pourtant…
Saisir les opportunités au vol
« J’ai fait partie d’une épopée aéronautique de l’océan indien, sans réflexion préalable, sans me projeter dans le futur, juste en saisissant les opportunités au vol ». Petit à petit, en se rendant utile, il est devenu indispensable, et à plusieurs reprises, au cours de la carrière, il est apparu comme l’homme providentiel, le dernier recours. C’est comme cela, que le petit pilote privé de l’aéro-club Roland Garros a commencé par devenir rapidement, en 1955, instructeur avant d’endosser l’uniforme de chef-pilote. En l’espace de cinq ans, avec la rigueur qui le caractérise, il va hisser l’aéro-club de Saint-Denis-de-la Réunion aux premiers rangs des écoles de pilotage françaises.
Gérard Ethève est un réunionnais pure souche. « Ma famille est établie sur l’île depuis 1734. Le premier Ethève était un tailleur de pierre originaire de la Creuse, envoyé là pour aménager l’île. Le voyage prenait à l’époque 6 à 8 mois ». Lui est né dans le sud de l’île, il y a 75 ans. Il respire la Réunion. Le sega coule dans ses veines. Il n’a jamais perdu son accent créole. Dans la lignée de ses aïeux, il a apporté sa pierre à l’édifice. Il est l’un des acteurs du désenclavement de l’île.
A la fin de ses études secondaires, il trouve un travail dans une compagnie d’assurance qui n’a rien d’aérienne. Il a alors 18 ans. A l’époque, l’aviation, c’est la métropole. Sur l’île, elle se résume à l’aéro-club Roland Garros, implanté sur l’aérodrome de Gillot, près de Saint-Denis. Il a 22 ans quand il décide d’apprendre à piloter, autant par attrait de l’aéronautique que par passion de la mécanique. Une passion qu’il n’a jamais reniée. Dans son bureau, sur l’aéroport de Saint-Denis, il y a autant de bijoux mécaniques que de maquettes d’avions. Il y a là une étonnante machine à vapeur datant du tout début du 20ème siècle, le chef d’œuvre d’un ouvrier.
A peine breveté, il décide de devenir instructeur et dans la foulée chef-pilote de l’aéro-club. L’activité s’envole. Il adopte la méthode de Raymond Sirretta dont il dévore les articles dans Aviasport. « Je possède la collection complète d’Aviasport, depuis le premier numéro ». En l’espace de cinq ans, le club connaît un essor spectaculaire. En 1959, il compte quelque 200 membres.
Sur les traces de Marcel Goulette
C’est à ce moment, qu’il décide de le quitter. Il a d’autres ambitions. Il a besoin d’avoir les coudées franches. Il crée une nouvelle association qu’il baptise aéro-club Marcel Goulette. « Marcel Goulette est le premier pilote à avoir posé un avion sur l’île de la Réunion, c’était en 1929 », explique Gérard Ethève qui voue à ses aînés un respect sincère teinté d’admiration. Pour preuve, son initiative, en 1999, d’éditer le carnet de voyage de Michel Bourgeois, le mécanicien qui a accompagné Goulette à bord du Farman 192, entre Paris et Saint-Denis. Qui se souvenait de ces aviateurs, soixante-dix ans après ? Par fidélité à ces anciens, il a baptisé l’un de ses trois Boeing 777, « Marcel Goulette ». Une manière d’entretenir le souvenir. Personne mieux que Gérard Ethève a conscience de ce que la Réunion doit à ce pionnier.
En 1959, en effet, il va être amené à voler sur les traces de Goulette. Il vient en métropole, à Vichy, pour prendre livraison d’un Cessna UC78 Bobcat. Le convoyage retour s’avère plus périlleux que prévu. La route directe par la vallée du Nil lui est interdite du fait des tensions politiques dans la région. Il doit emprunter un itinéraire beaucoup plus à l’ouest qui se révélera en fait être celui de l’équipage du Farman : descente plein sud sur Goa avant de prendre plein est sur N’Djamena et de mettre le cap sur Madagascar. « Un voyage surréaliste de neuf jours, en compagnie de Bernard Astraud, une figure de l’aviation en Réunion. Nous faisions des étapes de 750 à 800 km. Le Bobcat avait deux moteurs en étoile Jacobs développant chacun 245 cv. Nous avons ainsi introduit le premier bimoteur de l’île. J’avais désormais un outil qui me permettait de quitter la Réunion. J’ai commencé à aller sur l’île Maurice. J’embarquais des passagers. Petit à petit, je suis devenu un nouveau moyen de transport pour les réunionnais ».
Le Saint-Bernard des îles Eparses
En 1962, il remplace le Bobcat par un Cessna C310G. « Le 310G est mon avion préféré. C’est une fusée par rapport au Bobcat qui lui était une vraie charrue ». Avec ce nouvel avion beaucoup plus performant, Gérard Ethève va vivre ses plus intenses heures de vol. « Dans l’océan indien, il y a quatre îles minuscules, appelées les îles Eparses, sur lesquelles ne vivaient alors qu’une poignée de météorologues. En 1963, le directeur d’une de ces stations doit être évacué d’urgence. Comme je possédais un avion rapide, on me demande d’aller le chercher. Et cette mission sera un déclic. Jusqu’en 1974, avec le C310 puis avec un Piper Chiftain, je vais effectuer régulièrement des rotations vers ces quatre îles pour transporter le personnel et le matériel. Je faisais jusqu’à 600 heures de vol par an ».
« Entre 1963 et 1974, je crois que j’ai passé mes plus belles années de pilote pionnier. Je me rendais, tous les quinze jours, sur des îles où il n’y avait que trois ou quatre habitants. Je ne disposais d’aucun moyen de radionavigation. Je n’avais que le cap et la montre. Je faisais 600 km pour trouver un trait de 1800 m de long. Une erreur d’un degré et je serais passé 10 km à côté sans voir ce bout de terre qui culminait à 7 mètres au milieu de l’océan. On trouve ou on ne trouve pas… Trois fois seulement, je n’ai pas trouvé ».
La révolution Malgache va mettre fin à son activité. Trois des quatre îles, Juan de Nova, Europa et Glorieuses, situées dans le détroit du Mozambique, entre la pointe sud de l’Afrique et la grande île de Madagascar, à plus de 1500 km en ligne droite de la Réunion, deviennent inaccessibles du fait de l’interdiction de survol de l’île, aux avions immatriculés en France. A son grand regret Gérard Ethève doit renoncer. L’armée de l’air prend le relais.
Défricheur de lignes régionales
Jusque-là, l’aviation n’était encore qu’un passe-temps, une passion. « J’effectuais la desserte des îles météo bénévolement. Je travaillais encore dans l’industrie sucrière. En 1974, je décide de créer une structure commerciale aéronautique, Réunion Air Service, pour développer le transport à la demande entre les îles. Mon activité va prendre un tournant complètement inattendu, que je n’avais pas imaginé, à partir de 1977. Quelques mois plus tôt, l’archipel des Comores prend son indépendance. Mayotte décide de rester rattacher à la France. Dès lors se pose le problème de la desserte aérienne de l’îlot. Air France ne voulant pas s’engager, le préfet se tourne vers moi. Et c’est comme cela que je me suis lancé dans le transport régulier avec un bimoteur Hawker Siddley HS748. En 1977, Saint-Denis – Mayotte est ainsi devenue la première ligne régulière régionale ».
A travers Réunion Air Service, il va également introduire l’hélicoptère à la Réunion, en s’associant avec Héli Union. « Nous avons commencé avec un Lama, puis une Alouette 2 et trois Alouette 3 » en exploitant une Alouette 2 et un Lama pour desservir le chantier de construction d’un barrage hydroélectrique sur la rivière de l’Est. Il va proposer les premiers survols touristiques de l’île. Au passage, il devient pilote d’hélicoptère, pour le plaisir.
En 1987, un double pontage cardiaque met un terme définitif à la carrière de pilote de Gérard Ethève. L’artiste peintre range définitivement ses pinceaux. Il vend Réunion Air Service.
« A l’époque, le trafic régional était la conséquence du réseau français. Les lignes inter-îles étaient en fait des prolongements des lignes avec la métropole. L’allongement de la piste de Gillot va changer la donne. Air France ouvre des vols directs ». La desserte régionale devient un problème. L’idée d’une compagnie régionale de l’océan indien commence à germer dans la tête des élus locaux. « La Région et Air France se sont tournées vers moi pour me proposer de créer une nouvelle compagnie ». Gérard Ethève devient marchand de tableaux. « J’ouvre l’ère du vol direct ».
En 1990, Réunion Air Service qui était devenu entre temps Air Réunion, est rebaptisée Air Austral. Elle affiche ses ambitions. Elle débute son exploitation avec un premier 737-500 sur la ligne historique Réunion – Mayotte. Puis la flotte s’étoffe avec un deuxième, puis un troisième 737 et un ATR72-500, au fur et à mesure que le réseau s’étoffe. « L’activité était au rendez-vous. Dès le début, la compagnie a fait de bons résultats et jusqu’à ce jour, nous avons toujours fait des bénéfices ». Le fait est suffisamment rare pour être souligné.
Question de bon sens
« J’ai toujours eu une politique de père de famille. Je gravis les marches les unes après les autres. Aujourd’hui, Air Austral est une réussite. A titre personnel, je la vis comme une aventure extraordinaire. Mais même quand on aime l’aventure, la qualité qui doit être associée est le pragmatisme. J’ai 8.000 heures de vol dont 7.000 heures en survol maritime, sans jamais avoir eu de pépin. Je suis un passionné de mécanique. Je me suis toujours occupé moi-même de l’entretien de nos avions. Je pense qu’un pilote aventurier n’est pas forcément destiné à se casser la figure ». Une compagnie aérienne n’est pas obligatoirement vouée non plus à accumuler les pertes financières d’un exercice sur l’autre. Il faut redonner sa place au bon sens.
Air France qui détenait un tiers du capital d’Air Austral vient de se retirer, à la surprise de tous. « Je ne sais pas pourquoi », avoue Gérard Ethève. « Depuis que nous avons mis en service son 777, Air France nous considère désormais comme des concurrents. Nous avons trois longs courriers alors qu’ils ont 533 avions. C’est un sujet de satisfaction pour moi », ajoute-t-il avec ironie. Ce revirement de situation n’a pas été sans conséquence. Il a fallu trouver de nouveaux actionnaires pour remplacer Air France qui détenait tout de même un tiers du capital.
Au passage, le patron d’Air Austral, ne peut pas cacher son exaspération face au climat de concurrence qui règne dans le monde du transport aérien. « Regardez la grande distribution. Quand un nouvel hypermarché s’ouvre quelque part, les autres ne cherchent pas à le couler systématiquement. Ils font au contraire leur métier naturellement, du mieux qu’ils peuvent. Alors que dans l’aérien, dès qu’une nouvelle compagnie apparaît la règle, pour les anciennes, est de la couler à tout prix. »
Et les exemples ne manquent pas à la Réunion. Aéromaritime, Minerve, AOM, Point Air, Corsair, Air Lib, Aérolyon, Air Bourbon… Depuis 1986, c’est la grosse hécatombe. Air France n’est évidemment pas responsable, à lui seul, de ce carnage. La plupart des projets étaient voués à l’échec. « En cassant les prix au-delà du raisonnable, chaque nouvel arrivant a toutefois fait progresser le trafic entre la Réunion et la métropole. Après sa disparition, il est intéressant de noter que le nombre des passagers s’est maintenu au niveau qu’il avait atteint à coup de promotions. Il a à nouveau progressé avec l’arrivée d’une nouvelle compagnie et ainsi de suite. Le trafic se développe en escalier ».
Une vénération pour le métier de pilote
Gérard Ethève refuse de se lancer dans une bataille rangée avec Air France. Toutefois, la flambée du prix du pétrole l’inquiète. « Un aller retour sur la métropole coûte 100.000 euros de carburant. Quand le baril était à 25 $, le coût du carburant était de 180 € par passager avec un taux de remplissage de 78%,. A 65/70$ il est de 345 €. Même avec une surcharge carburant de 96€, ça ne passe plus. Les promotions des compagnies sont aberrantes. Il faut annoncer la vérité aux clients. Pour une île isolée comme la Réunion, le prix du carburant est un grave problème ».
Quand il était artiste peintre, Gérard Ethève se préoccupait de sa montre et de son cap. Aujourd’hui qu’il est devenu marchand de tableaux, il s’inquiète de surtaxe carburant. Mais en prenant le soin de baptiser ses avions du nom de pionniers de l’aviation réunionnaise, il démontre qu’il n’a pas oublié la peinture. Sa rigueur de gestionnaire ne l’empêche pas de continuer à se passionner pour l’aéronautique. Même s’il n’a jamais plus piloté depuis ses soucis de santé survenus en 1985, il est resté un homme de l’art. « Je suis proche de mes pilotes, je les connais tous. Ils font un métier que je vénère ». Décidément ce patron de compagnie n’est pas comme les autres. Il ne faut sans doute pas chercher plus loin la clé de sa réussite. Quand il a commandé son premier 777, il a adressé une lettre à chacun de ses pilotes de 737 et d’ATR pour leur proposer de passer sur le nouvel avion. « Nous n’avons pas opté pour le système de l’échelle de perroquet d’Air France. Nous sommes trop petit, nous n’avons pas de moyens. Il y a des opportunités. Aux pilotes de savoir les saisir ». C’est aussi sa règle de vie.
Gil Roy
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un grand bravo gerard vous souvenez vous de votre premier vol de nuit a gilot avec paul et moi comme caution j'etais lieutenant a l'epoque 1964 je crois
Gérard Ethève, pionnier moderne de l’aviation réunionnaise
Bravo monsieur Ethève!
Peut être nos routes se croiseront elles pour un projet
Futur? vous l'infatigable défricheur d'Etoiles...
18.000hdv qualifié C310,embraer 110,atr 42-72,
Airbus A318-319-320-321-330-340.
BOEING 737-747-777-787.
Marc :Ancien du Lycée Leconte de L'Isle,et de la rue Fénelon à St Denis.