En moins d’un mois, deux recommandations sont émises par l’EASA concernant les limites arrière du centre de gravité de certains A321neo et A320neo. Lufthansa et British Airways qui ont fait le choix de motorisations différentes (Leap-1A et PW1100 GTF) ont décidé de neutraliser une voire deux rangées de sièges à l’arrière de la cabine des A320neo.
La décision de Lufthansa de ne plus attribuer aux passagers la dernière rangée de 6 sièges de leur A320neo (New Engine Option) révèle toute la complexité des calculs aérodynamiques avant d’exploiter un avion de ligne en compagnie aérienne. Ce détail, qui pourrait paraître démesuré, démontre ô combien la variation du centrage (CG) est cruciale et peut remettre en question l’aménagement cabine d’un aéronef.
En effet, chaque avion, même s’il est du même type, n’a pas obligatoirement la même masse à vide équipée et c’est une des raisons pour laquelle une fiche de pesée réelle est réalisée régulièrement. La masse de l’équipage (établie par des masses forfaitaires), le chargement hôtelier (catering) et l’ensemble des équipements nécessaires au vol sont ajoutés pour déterminer la masse en ordre d’exploitation.
Une fois le vol clôturé (et qui explique pourquoi les passagers ne peuvent se présenter au-delà d’une heure limite d’enregistrement), l’équipage reçoit un devis de masse et centrage (loadsheet) réalisé par un coordinateur et sur lequel figurent les éléments du jour : nombre, masse et répartition des passagers par zone en cabine et la masse réelle des bagages ou du fret ainsi que leur emplacement dans les soutes (en vrac ou container).
Chaque détail a son importance comme le genre ou le nombre d’adultes et d’enfants même si l’utilisation de masse forfaitaire établie par l’exploitant est alors utilisée. Selon les compagnies, celles-ci varient en fonction de la saison, du pays ou de la nature du vol (régulier ou charter).
Les calculs peuvent alors commencer manuellement ou grâce à un logiciel spécifique en vue d’élaborer les masses du jour qui doivent restées inférieures aux masses maximales de structures (masse maximale sans carburant (MZW), masse maximale au décollage (MTOW) ou à l’atterrissage (MLW) par exemple) et le CG, qui doit se situer à chaque moment du vol dans son domaine de centrage opérationnel défini par le constructeur. L’exploitant a également ajouté des marges de sécurité supplémentaires afin de répondre aux exigences réglementaires du transport aérien du pays souverain.
Cette enveloppe fixe les limites certifiées de centrage avant et arrière tout au cours du vol en prenant en compte les variations de masse liées à la consommation carburant. Le centre de gravité associé à la masse à vide sans carburant est inséré dans le calculateur de bord afin de caler le plan horizontal réglable (PHR) qui doit impérativement rester dans ses limites de certification :
La moindre variation comme le déplacement de quelques passagers avant le décollage ou l’atterrissage peut modifier le CG de manière significative, même pour un avion de ligne, d’autant plus qu’il évolue également au cours du vol. Le juste équilibre entre un centrage avant et arrière permet d’améliorer la stabilité ou la maniabilité (empennage plus ou moins déporteur et réduction de la consommation carburant) tout en respectant le domaine de vol.
Les masses forfaitaires utilisées par la compagnie allemande, l’aménagement monocouloir destiné à 186 passagers ou les équipements de base des avions sont des paramètres à prendre en considération avant d’incriminer la limite de certification arrière du centrage (« foyer » ou « point neutre ») de l’A320neo. Les masses forfaitaires doit pourtant être réduite suite aux recommandations faite par l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) le 31 juillet 2019 EASA AD 2019-01-89. Depuis le 14 août 2019, un délai de 30 jours est accordé aux exploitants pour modifier les centrages arrière de leurs avions. Pour sa part, British Airways y a répondu également en bloquant l’utilisation d’une ou deux des dernières rangées de ses sièges. Si aucun incident n’a jusqu’alors été relevé en vol, ces mesures sont préventives en vue de garantir une sécurité maximale d’exploitation.
Une première alerte avait été donnée suite à l’analyse de paramètres sur certains A321neo liée à une forte augmentation d’incidence (AOA) au cours de manœuvres particulières. L’EASA avait alors émis une AD (Airworthness Directive) EASA AD 2019-01-71R1 le 17 juillet 2019 en vue de diminuer la charge des équipages lors de conditions clairement définies comme celle d’une remise de gaz.
En effet, les pilotes conservent la priorité sur les commandes de vol quel que soit le type de calculateur – ELAC (Elevator and Aileron Computer) pour l’A321neo ou d’AOA (Angle of Attack) pour le 320neo.
Les consignes rédigées par l’EASA définissent des marges de protection supplémentaires aux limites du domaine de centrage arrière sans toutefois concerner les autres membres de la famille Airbus, A320 compris. On notera aussi qu’elles ne distinguent pas le type de moteur de l’A320neo : Leap-1A ou PW1100 GTF.
L’annonce brutale de Lufthansa surprend et remet en question les aménagements cabines bi-classe ou mono-classe de l’A320neo. Toilettes arrières remplacées par des « mini-toilettes chimiques », suppression d’espace trolley ou optimisation de la place en première pour surcharger la classe économique dans le cas de version bi-classe entrainent les compagnies aériennes vers une course aux sièges qui déplace inexorablement le centre de gravité vers sa limites arrière.
La consigne de navigabilité émise par l’EASA en juillet 2019 et les mesures prises par Lufthansa et British Airways, dans la foulée, en réponse, mettent en lumière la délicate gestion du gain de puissance apportée par la nouvelle motorisation de la famille A320neo lors de phases spécifiques du vol. Une remise de gaz engendre un fort moment à cabrer qui peut devenir délicat à gérer en cas de centrage arrière. Il étonnant, à ce stade et à notre connaissance, que seules deux compagnies parmi toutes les utilisatrices d’A320neo, n’aient modifié la répartition des passagers en zone arrière.
Daphné Desrosiers
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L'estimation est calculée...
A320 : par contre, airborne 5 secondes / 100 ft, les ADIRU vont calculer tout ça...
Donc il ne faut pas tous aller en même temps au duty free (en général à l'arrière) au risque de provoquer un centrage AR. Et si en plus les toilettes AR sont occupées ! ???
Une question me vient a l'esprit, on parle de masse forfaitaire pour les pax, mais bien souvent on voit dans les places avant (Je parle des States) des passagers qui manifestement pesent beaucoup plus que la masse forfaitaire ...
Était-ce donc un rêve que j'avais fait, mais je croyais que de nos jours des capteurs étaient placés dans chaque jambe de train d'atterrissage pour JUSTEMENT faire une mesure effective de la répartition des masses afin de mesurer la position du CG au lieu de l'estimer ? L'OMN sur Concorde surveille et gère constamment les transferts de carburant durant le vol.
Par contre je suis sûr d'avoir espérer en vain de voir des moyens modernes de pesée à disposition pour l'aviation de tourisme pour encore une fois remplacer d'hypothétiques calculs par une mesure de position de CG avant chaque vol tant ce problème de centrage est ou doit être une préoccupation majeure de tout pilote.
Les ravitailleurs en kérosène des avions ont le souci de suivre une procédure précise de remplissage des réservoirs sinon - comme ce fut le cas un jour assez récent à Roissy - de voir l'avion sans passager choir sur sa queue.
Le CG est calculé et non estimé. Des capteurs intégrés dans les trains n'intégreraient pas les masses en cabine (seul le carburant des ailes serait pris en compte).Concorde était spécifique car étant un avion supersonique. Le calcul du CG, du monomoteur est important et que ce soit le pilote privé ou le pilote professionnel, il doit vérifier et connaitre les limitations de son avion. Les automatismes ont beaucoup évolué, les calculs se font grâce à des logiciels, et s'ils tombent en panne, on revient à l'apprentissage de base : un crayon et une règle pour établir le devis de masse et centrage. Le cas de l'avion qui a basculé à Orly au sol était une mauvaise gestion du chargement (ou déchargement du fret).
Dès l'instant que vous estimez le poids des passagers, n'importe quel calcul que vous ferez avec ces valeurs sera une ESTIMATION.
Je ne vois pas comment des capteurs dans le train mesureraient la masse du carburant et pas celle des passagers et du fret dès l'instant que tout le monde est à bord.
Vouloir estimer le centrage avec des balances nécessite d'être sur un sol parfaitement plat et sans vent, car le vent fait voler les avions.
Cela fait déjà suffisamment d'obstacles pour une solution intégrée et automatique