Roissy, Orly, Lyon, Clermont-Ferrand, Morlaix, Marseille, Vatry, Lille, Tarbes… Partout les avions sont stockés dans l’attente de jours meilleurs et surtout dans le respect de procédures strictes de confinement. Tour de France, à la rencontre des gestionnaires d’aéroports reconvertis en gardiens de parkings.
En Allemagne, le Groupe Lufthansa a été l’un des premiers à réduire la voilure à seulement 5% de l’habituel. Quelques 700 avions du Groupe sont immobilisés à Frankfort (principalement) où la piste Nord est fermée depuis le 23 mars 2020 à 8h00 locale, ainsi qu’à Berlin Schönefled. Même chose chez Air France-KLM, où les gros porteurs Boeing 747-400 et A380 ont été immobilisés en premier dès le 16 mars 2020 à Amsterdam Schiphol et Roissy CDG. A ce jour, la capacité globale du Groupe en sièges kilomètres offerts (SKO) est tombée à 10% (et selon nos informations elle pourrait être quasi nulle d’ici fin mars).
Quelques jours avant ce « shut down » annoncé du ciel, Air France convoyait déjà (les samedi 14 mars et mardi 17 mars) six Boeing 777 (trois -300 et trois -200) de CDG à Paris-Vatry, au sud de Reims ; l’aéroport marnais offre une capacité d’accueil de gros appareils équivalente à celle de Roissy.
Contacté par Aerobuzz.fr, la communication de l’aéroport nous précise que la direction a été sollicitée par d’autres compagnies pour stocker leurs avions. « Nous avons toutefois donné priorité à Air France et sa filiale régionale HOP si besoin. Nous sommes en capacité d’accueillir 20 avions de type Airbus A320 supplémentaires. A priori les 6 Boeing 777 sont là pour plusieurs semaines. »
Selon un pilote de la compagnie contacté par Aerobuzz.fr, « ces avions sont immobilisés ici car ils n’ont pas besoin de maintenance ou de révision actuellement. Cela permet de désengorger un peu Roissy qui va vite se remplir ! ».
« Nous ne sommes pas en alerte de saturation de stationnement. … Nous devons par ailleurs conserver une réserve d’espace suffisante pour les avions en exploitations, notamment les avions dédiés au fret, les vols gouvernementaux ou les vols de rapatriements » a confié à Aerobuzz.fr, Isabelle Dreyssé, Directrice des aires aéronautiques de l’aéroport Paris Charles de Gaulle.
A Roissy, les taxiways sont reconvertis en parkings longue durée… Des dizaines de carlingues alignées en épis ou l’une derrière l’autre. Le 24 mars 2020, la plateforme accueillait déjà une centaine d’avions immobilisés, en grande partie de la flotte Air France (et Hop), avec aussi des appareils d’Easyjet, ASL Airlines et Vueling. « C’est presque autant de gros que de moyens porteurs. Nous pouvons en accueillir près de 130 supplémentaires. Actuellement la voie Charly au Sud-Ouest de la plateforme est transformée en aire de stockage. Elle accueille une trentaine de moyens porteurs types A320.»
Groupe ADP précise toutefois que la récente fermeture des pistes (doublet sud 08/26 jusqu’au 28 mai 2020) n’est aucunement liée aux besoins de stockages. « Cette fermeture est due à la baisse du trafic mais aussi pour des raisons de sécurité car la situation implique une baisse de personnel au sol. Des avions parqués durant une longue période nécessitent de la maintenance régulière pouvant provoquer de la pollution aux hydrocarbures par exemple, pouvant donc endommager le revêtement en enrobé. Ce dernier peut aussi être endommagé par une charge statique, le poids d’un avion sur plusieurs jours. » nous explique Isabelle Dreyssé.
L’aéroport du sud de Paris sera totalement fermé dès le 31 mars 2020. En date du 21 mars, selon nos informations, 23 des 38 avions de la flotte Transavia France (la filiale low-cost d’Air France) étaient déjà immobilisés et stockés à Orly pour une durée indéterminée. A leurs côtés, une quinzaine d’avions courts et moyens courriers de La Navette Air France (A319-320-321) ainsi que 3 de ses Boeing 777. Toute la flotte d’Air Caraïbes (A350 et A330) se trouve aussi à Orly mis à part deux A330 envoyés à Tarbes. Sa petite sœur French Bee est quant à elle presqu’au complet (un A350 à Tarbes lui aussi) tout comme les avions de Corsair, LEVEL, La Compagnie…
Groupe ADP nous a confirmé la fermeture de la piste 02/20 d’Orly entre le 18 mars et le 18 avril tout en précisant que « cette fermeture était planifiée de longue date pour travaux ».
« Stocker les avions ne s’improvise pas. Nous avons dessiné un plan de stationnement très précis et la répartition est mise à jour quotidiennement selon les demandes des compagnies aériennes » nous explique Isabelle Dreyssé.
A CDG, la nécessité d’immobiliser autant d‘avions en si peu de temps demande beaucoup de rigueur et d’organisation. « Nous avons réalisé des marquages spécifiques sur les voies de circulation avion qui entrent dans le plan de débord. Il faut s’adapter et anticiper les situations particulières. Comme par exemple les distances de sécurité entre les aéronefs, 100 mètres entre deux gros porteurs type 777. Car s’ils restent longtemps immobilisés, les moteurs seront mis en route une à deux fois par mois pour être testés et il ne faut pas que le souffle endommage les autres appareils. »
Autre situation inédite, celle de devoir parquer des avions sur les postes terminaux non prévus pour accueillir certains types d’appareils. C’est le cas du 2G à Roissy, destiné aux vols dans l’Espace Schengen et conçu pour recevoir des avions de type Embraer 190 ou Bombardier CRJ-1000 ne dépassant pas les 150 places mise à part 2 postes seulement dédiés aux A320. « Nous avons des demandes pour placer des Airbus A320 sur davantage de postes. Ce n’est pas la même envergure qu’un Embraer. Il faut donc refaire tout le plan de stationnement e étudier les règles de sécurité, dans des délais courtspour être capable rapidement de répondre à la demande. »
L’hécatombe, aussi chez les low-cost. L’irlandaise Ryanair a officiellement annoncé le 24 mars 2020 qu’elle cesserait toutes ses opérations jusqu’à fin juin 2020, « tout en gardant à disposition des gouvernements quelques avions disponibles pour des vols sanitaires (transferts ou transport de matériel). » Contactée par Aerobuzz.fr,, la compagnie a confirmé avoir cloué au sol la quasi totalité de ses 470 Boeing 737 sans détailler explicitement où. « En raison de la crise du Covid-19, nous nous occupons actuellement de communication axée sur le client » a-t-elle précisé. A noter que Ryanair possède un total de 82 bases à travers l’Europe (dont trois en France) et le Maghreb.
Easyjet a quand à elle confirmé à Aerobuzz.fr avoir « immobilisé au sol la majorité de sa flotte (344 avions) à travers ses différentes bases et en garder moins de 35 pour exploitation. » L’aéroport Lyon St-Exupéry nous a confirmé que huit de ses Airbus sont immobilisés sur la base lyonnaise (aux côtés de 14 avions Air France/Hop et deux Boeing 737 de Transavia).
Un pilote de chez Hop nous a confié que la compagnie a organisé 45 vols de convoyage entre le 21 et 23 mars 2020 pour regrouper et immobiliser tous ses avions dans ses bases. Le dernier appareil s’est posé à Lyon St Exupéry en soirée le 23 mars. L’aéroport de Morlaix accueille huit avions CRJ-700 et CRJ-1000. C’est le second plus grand site de stockage de la compagnie derrière Clermont-Ferrand (17 avions de types Embraer E170 et E190) et Lille-Lesquin (15 avions aussi de type E170, E190 et E145). « Nous pouvons encore accueillir quelques avions » nous précise Edouard Aulanier le porte-parole de la plateforme tout en rajoutant « la proximité des ateliers de maintenance de Hop à Lille sont dédiés aux Embraer d’où ce choix de la compagnie de les stocker ici »
C’est aussi le cas pour Chalair avec ses 5 ATR immobilisés à Limoges et ses 10 Beech 1900 sur l’Aéroport de Caen-Carpiquet. « Nous choisissons ces lieux uniques pour ces raisons. Dans un premier temps, nous stockons tous nos avions pour une période de 30 jours » confie Alain Battisti le PDG de Chalair, à Aerobuzz.fr.
Chez Twinjet, sept des treize Beech 1900D sont eux regroupés à Marseille (4) et Aix-en-Provence (3). « Ils seront les premiers prêts à repartir lors de la reprise » nous explique Guillaume Collinot, Directeur Général de la compagnie, « ils sont en effet déjà sur place si besoin de maintenance particulière, cela nous évite de demander des dérogations pour faire venir un avion à vide et le préparer à la reprise ».
Cette complexité logistique du lieu de stationnement des aéronefs est accrue par les aspects techniques requis lors du stockage. Les avions doivent être immobilisés de manière à leur permettre de reprendre du service en parfait état à tout moment. On parle de processus d’embaumement aéronautique.
« Préparer un avion au stockage peut prendre plusieurs jours, voire plus d’une semaine selon la durée prévue et la taille de l’aéronef » explique Patrick Lecer, le PDG de Tarmac Aerosave, à Aerobuzz.fr. Cette société française experte dans le stockage des avions (elle réalise aussi du recyclage et de la maintenance) croule désormais sous les demandes de stockage depuis le début de la crise. Elle accueille déjà 170 avions sur ses trois sites (Tarbes, Toulouse-Francazal et Teruel en Espagne).
« On opère une trame commune à tous les avions. Cela implique de vidanger divers fluides, boucher les APU, faire du graissage, couvrir les entrées et les zones d’échappement des moteurs, protéger les instruments externes comme les tubes de Pitot, couvrir les fenêtres et pneus, scotcher les cockpits et hublots »
Une fois préparés, les avions doivent être entretenus alors sans savoir quand ils pourront redécoller… « Les tâches de maintenance sont spécifiques à chaque avion » nous rappelle Patrick Lecer. « La moitié des avions stockés chez-nous actuellement le sont pour du court terme c’est à dire moins de deux mois. » Ce qui laisse présager une reprise très lente déjà anticipée par les opérateurs lorsque la crise COVID-19 sera passée…
« Pour le court-terme, le protocole n’est pas contraignant mais pour les autres, il faudra envisager des essais de roulages et essais systèmes (tous les 3 mois), les trains (tous les 6 mois). Chez Airbus, sur du parking FRC (Flight Ready Conditions) ou « active parking », l’avion doit voler au bout de 3 mois, sinon il doit être transféré sur du stockage, dit « long term ». Pour le stockage, l’avion ne peut pas rester sans voler plus de 2 ans, toutes procédures additionnées. Il n’y a pas de limite chez Boeing.… »
Stocker un avion selon les réglementations et consignes constructeurs impose d’avoir les agréments de maintenance et de faire des visites régulières. © Tarmac Aerosave (archive)Comme nous l’explique un pilote de ligne, il existe des particularités pour les trubopropulseurs type ATR. « Si l’avion reste longtemps à l’arrêt, avec l’inertie, le poids de l’hélice risque d’endommager l’arbre en le tordant. » Cet avion nécessite donc de faire un point fixe et démarrer les moteurs environ tous les 15 jours. « On en profite pour vérifier les systèmes, la pression hydraulique, les fuites éventuelles. Déplacer l’avion permet aussi d’entretenir les pneus immobilisés » nous confirme Alain Battisti, Président de Chalair.
« Nous évitons de stocker les avions sur les aires des ateliers Air France », nous confie Isabelle Dreyssé, « car la compagnie nationale continue de faire de la maintenance sur certains avions avant ou pendant leur stockage. Il faudra donc pouvoir les acheminer facilement de et vers leurs points de parkings. »
Contacté par Aerobuzz.fr,, un commandant de bord sur 777 chez Air France nous explique que cette période de confinement est en effet une opportunité pour accélérer certaines révisions. « Cela va de l’installation des systèmes Wifi, la poursuite d’aménagements des cabines et système de divertissements, ou des mises à jours (version 1 vers version 2) des systèmes AIMS « Airplane Information Management Systems » sur les plus anciens Boeing 777-200. » Ces systèmes gèrent notamment la gestion du vol informatisée, la navigation…
Groupe ADP nous a confirmé la gratuité des redevances (incluant les frais de parking) pour toutes les compagnies aériennes présentent sur ses plateformes le temps de ce stockage en masse forcé par la crise du Coronavirus. C’est le cas aussi chez Vinci Airports, comme nous a confirmé Isabelle Rousset, en charge de la communication de Lyon Saint-Exupéry.
Contacté par Aerobuzz.fr,, l’aéroport de Clermont-Ferrand nous a aussi expliqué pourquoi cette remise inédite compte tenu de la situation : « L’aéroport Clermont-Ferrand Auvergne se mobilise pour mettre à disposition, gracieusement lorsque la capacité de l’aéroport le permet, des postes de stationnement avion afin d’accueillir les aéronefs des compagnies aériennes qui suspendent ou diminuent drastiquement leur activité. »
Il y a eu en revanche des négociations sur d’autres plateformes comme par exemple à Vatry « Les tarifs parking ont été négociés » nous répond le porte-parole sans nous préciser le montant journalier.
Quoiqu’il en soit, le coût du Coronavirus ne restera pas sans conséquences sur le transport aérien mondial. Pour Alain Battisti, qui est aussi Président de la Fnam (Fédération Nationale de l’Aviation Marchande) « Il est très difficile d’imaginer le redémarrage. Le retour à la normale sera extrêmement lent et progressif, au mieux il faudra 12 à 18 mois pour revenir à une situation stabilisée… » Et donc certainement pour beaucoup d’avions, encore de nombreuses semaines voir des mois cloués au sol…
Jérôme Bonnard
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Bonjour, comment un arbre d'helice peut-il "se tordre" turbo prop ATR a l'arret ????
Les problemes vont se poser pour les appareils dont la date de D-Check (grande visite) est proche, certaines compagnies comme Delta ou American Airlines preferant retirer ces appareils de leurs flottes de facon definitive en les envoyant a la casse, quel gachis ...
Le problème s'accentue gravement, malgré que toutes les compagnies dispose du yield management ou de leur propre système ( qui est un logiciel d'optimisation de gestion notamment pour l'aviation) laisser des avions au sol va poser des coûts supplémentaires à ajouter à une longue liste et cela va faire très mal sachant que les marges pour les compagnies sont très faibles entre 1 et 2 % !!.