Dans l’attente des modalités définitives de décentralisation des aéroports régionaux et de la définition de leur futur régime de gestion, les collectivités locales suivent avec intérêt les premières expériences menées, en vraie grandeur.
Le mouvement de décentralisation a connu une accélération au cours du mois de juillet dernier, avec l’adoption définitive de la loi, par l’Assemblée nationale, à la veille de la trêve estivale. Le transfert de propriété des aéroports régionaux secondaires de l’Etat aux collectivités territoriales est enclenché. Du coup, tous les regards se tournent vers Chambéry (137 000 passagers en 2003) et Grenoble (178 500), les deux premiers aéroports de taille moyenne, à être passés récemment sous gestion privée.
Pour les collectivités locales vers lesquelles doit être transférée, la propriété des plates-formes aéroportuaires, les cas de Grenoble et de Chambéry, offrent en effet l’opportunité d’évaluer sur pièce, l’une des nouvelles alternatives qui se présentent à elles. De leur côté, les chambres de commerce, gestionnaires historiques, sont aussi directement concernées. Cette double première va leur permettre de jauger, à l’épreuve des faits, un concurrent auquel elles vont être appelées à se mesurer, à l’occasion de chaque nouvel appel d’offre.
» Nous sommes contre le fait d’appeler cela une privatisation « , tranche Nicolas Notebaert, directeur France du développement et de l’exploitation de Vinci Airports, société qui avec Keolis dirige depuis quelques semaines les aéroports de Grenoble et de Chambéry. » Il s’agit d’une délégation au privé d’un service public avec des obligations claires. Nous avons une approche d’entreprise avec des objectifs de rentabilité, mais aussi avec des exigences « . Dans les faits, la collectivité conserve le contrôle : » elles délèguent le développement commercial de l’ensemble, mais elle peuvent continuer à influer dessus au travers de comités de suivi « , précise Gilles Darriau, directeur du département aéroports de Kéolis.
Grenoble a basculé du public dans le privé au début de l’année et Chambéry, cet été. Ce transfert intervient dans un contexte économique peu favorable lié à la restructuration du transport aérien régional qui se traduit en particulier par la suppression pure et simple des lignes jugées déficitaires. Chambéry a perdu, il y a dix-huit mois, sa liaison avec Paris et Air France a annoncé l’arrêt de la ligne Grenoble-Paris à compter d’octobre prochain. Ces deux aéroports, victimes notamment du TGV, sont confrontés à la disparition de leur trafic régulier et de ce fait à la perte d’une partie substantielle de leurs revenus.
» En 2003, la ligne sur Paris-Orly a représenté un peu plus de 70 000 passagers avec 4 rotations. Depuis 10 ans, le trafic était en baisse. Il a amorcé une reprise au deuxième trimestre de cette année à la suite du travail de prospection et de promotion que nous avons réalisé « , remarque avec regret Benoît Brunot, directeur Marketing de Vinci Airports, conscient qu’Air France privilégie sa plate-forme de correspondances de Lyon-Saint Exupéry. » Nous pensons qu’il est possible de mettre sur pied une offre complémentaire en régulier en développant un réseau point à point, certes limité, mais en s’axant plus sur le middle cost et le low cost. Le bassin de chalandise grenoblois justifie le court courrier européen. La croissance économique de la région grenobloise est supérieure à celle de Lyon « . Le gestionnaire ne renonce pas pour autant à assurer la continuité de la ligne sur Paris dont il estime le potentiel annuel entre 80 et 100 000 passagers. Il a démarché en ce sens des compagnies.
Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, Angers doit également faire face à la décision d’Air France d’arrêter la ligne qui la reliait au hub de Clermont-Ferrand, jusqu’en février dernier. Cette plate-forme qui a traité 8600 passagers en 2003 est gérée par Kéolis depuis 1998. Elle a été la première concédée au privé.
Même si la problématique de ce petit aéroport est différente de celle d’équipements de taille plus importante comme Grenoble ou Chambéry, il est intéressant de noter que, ce ne sont plus les collectivités locales, ni les forces politiques locales qui montent au créneau pour récupérer une ligne, comme c’est le cas en pareille situation, mais le gestionnaire privé. » Nous finalisons la création d’une ligne en OSP (Obligation de service public) sur Lyon. Nous avons obtenu le feu vert de l’Europe et l’appel d’offre sera lancé prochainement pour une ouverture fin 2004 « , explique Gilles Darriau. Kéolis a réalisé une étude de marché et proposé une ligne nouvelle, avant même que la liaison existante ne soit supprimée. » Afin de limiter la participation financière des collectivités locales, nous avons opté pour un stop qui augmente le marché potentiel et permet de passer sur un ATR42 plus opérationnel. Nous proposons les solutions, nous opérons les rapprochements avec les autres villes susceptibles d’être intéressées, mais c’est la communauté d’agglomérations, propriétaire de l’aéroport, qui en dernier ressort décide « .
Ce mode de fonctionnement préfigure ce que pourraient être les relations entre collectivités locales et gestionnaires, qu’ils soient privés ou publics. » L’arrivée de groupes privés dans la gestion des aéroports peut avoir des points positifs », affirme Lionel Guerin, président de la Fédération nationale de l’aviation marchande et PDG d’Airlinair. » Mais je voudrais faire remarquer qu’il y a en France des chambres de commerce dynamiques qui gèrent leurs aéroports comme de véritables entreprises et qui savent aller chercher les compagnies « . On peut penser à Carcassonne, Bergerac ou encore Pau.
A Pau, une équipe de trois salariés a en charge la promotion de l’aéroport et l’étude de son marché. C’est elle qui est allée chercher Ryanair. » Au cours des deux dernières années, nous avons gagné 150 000 passagers et nous pensons atteindre cette année entre 710 et 715 000 passagers « , précise Jean-Luc Cohen, le directeur de l’aéroport. » Nous maîtrisons la chaîne de production dans son intégralité. Nous employons 170 salariés et plutôt que de dédoubler les postes, nous jouons sur la polyvalence de tous ces acteurs « . A Pau, un agent de sùreté peut faire le ménage d’une salle d’embarquement, comme à Angers, où le comptable est aussi pompier.
Tirant parti de la proximité géographique fortuite des deux premiers aéroports français de taille moyenne concédés, le groupement Vinci Airports – Kéolis a mis en place, à Chambéry et à Grenoble, une équipe commerciale et marketing commune. Elle se compose, là aussi, de trois personnes. Elle est dirigée par un transfuge du concurrent lyonnais et elle opère, à cheval sur les deux aéroports. Elle a notamment pour mission de positionner les deux plates-formes sur leur marché respectif et de les vendre. Elle a donc vocation à prospecter les compagnies, réaliser des études de marché, démarcher les entreprises et servir d’interface avec l’industrie du tourisme. » Nous avons une vision industrielle de la question. Les deux aéroports proposent des produits plutôt voisins avec des zones de chalandise différentes « , souligne Benoît Brunot.
Jusque-là concurrentes sur le marché des charters des neiges, Grenoble et Chambéry sont appelés à devenir complémentaires, d’où la nécessité d’un repositionnement stratégique. Sans chercher à basculer du trafic de l’un vers l’autre, Grenoble veut se développer sur le charter de masse. Sa nouvelle aérogare, sa piste et ses parkings permettent le traitement de nombreux avions simultanément. En revanche, d’un point de vue technique, Chambéry est plus contraint, mais il possède une clientèle d’affaires sur laquelle veut miser le nouveau gestionnaire. Les samedi d’hiver, les Falcon 900 et Gulfstream GV côtoient les 737-800 et BAe146 qui amènent les skieurs britanniques. » D’ici sept ans, nous pensons atteindre 220 000 passagers avec les charters des neiges, ce qui constitue un maximum pour Chambéry « , prévoit Benoît Brunot. » Nous visons toutefois le haut de gamme en proposant un vrai produit d’aviation d’affaires. Cela passe obligatoirement par une différenciation des produits : installations, terminal dédié, salon VIP, accueil limousine, etc. »
Actuellement la quasi totalité du trafic annuel se concentre sur seize week-ends d’hiver. « Ces jours-là, nous sommes déjà en rupture de confiance avec nos clients « . Des travaux s’imposent. » Pour la saison prochaine, nous envisageons des structures modulaires temporaires en attendant de réaménager l’aérogare « , résume Benoît Brunot.
En accord avec le conseil général de Savoie, Vinci-Kéolis a été décidé d’optimiser l’existant, plutôt que d’envisager de grands travaux. L’aérogare sera réaménagée. Tout ce qui n’est pas directement lié à l’accueil et au traitement des passagers sera sorti du bâtiment principal afin de libérer le maximum d’espace. Les travaux, d’un montant de 14 millions d’euros sur 7 ans, seront financés par les collectivités locales.
Le conseil général de Savoie, comme celui de l’Isère, ont décidé d’expérimenter un mode de gestion délégué, en explorant progressivement cette nouvelle voie. En contrepartie d’une limitation de la durée du contrat (5 ans à partir du 1er janvier 2004 pour Grenoble et 7 ans à partir du 1er juillet 2004 pour Chambéry), ils prennent en charge les investissements et le groupement Vinci Airports – Kéolis assume les charges de renouvellements et d’entretien courant. » Nous définissons les règles du jeu au fur et à mesure. Le département découvre un nouveau métier. Nous mettons en place un nouveau schéma de gestion « , résume Benoît Brunot.
La durée du contrat de concession liant la collectivité locale au gestionnaire est un point capital sur lequel l’UCCEGA n’a cessé d’attirer l’attention du gouvernement pendant la phase préparatoire de la loi. » Dans un passé lointain, les gouvernements avaient eu la sagesse de placer l’exploitation des aéroports dans un système durable, les concessions étant de 50 ans « , rappelle Pierre Flotat, président de l’UCCEGA. » Une certaine précarité a ensuite été instaurée à partir des années 70 dans l’attente d’un nouveau cahier des charges type des concessions. Cette précarité a été amplifiée par le gouvernement Jospin qui a reconduit des concessions pour des durées de 3 à 5 ans, éventuellement plus dans des cas dùment justifiés. Cette précarité n’est bonne pour personne, ni pour l’Etat, ni pour les économies régionales, ni pour l’opérateur, ni pour les transporteurs aériens « .
Autre paramètre déterminant de la décentralisation : le volet social. A Grenoble, les 65 salariés de la plate-forme étant en contrat avec la Chambre de commerce, ont pu être facilement repris par le nouvel établissement. Le directeur est resté en place. En revanche, à Chambéry, la moitié des effectifs était statutaire. Pour Nicolas Notebaert, c’est » un mécanisme naturel prévu par la législation du travail « . La gestion de la mutation a néanmoins été rendue plus complexe par le fait que Vinci Airports – Kéolis a du négocier avec la Chambre de commerce de Savoie, candidate malheureuse à sa succession. Elle était de surcroît en mesure de revendiquer un bilan positif de sa gestion avec une progression spectaculaire du trafic durant l’hiver 2003-2004.
Il est évident que la nature des relations existant entre l’ancien et le nouveau gestionnaire conditionne le transfert. » A Grenoble la transition s’est opérée dans un contexte partenarial, la Chambre de commerce de Lyon ayant choisi de se retirer de l’appel d’offres. En revanche, à Chambéry elle est plus délicate d’autant que les délais ont été réduits. L’appel d’offres, la négociation et le transfert proprement dit ont été ramenés à six mois au total, alors que pour Grenoble, chacune des trois phases à pris six mois. C’est une échelle de temps raisonnable pour faire les choses de manière correcte « , constate Benoît Brunot.
Sans attendre le vote de la loi de décentralisation, la chambre de commerce de Pau, candidate à sa succession, a entrepris une action de sensibilisation des élus locaux des 180 communes regroupées en syndicat mixte pour les encourager à se porter candidats à la mutation domaniale de l’aéroport. » Nous les rassurons en leur expliquant qu’en termes financiers, cela ne devrait pas avoir de conséquences pour eux, puisque l’Etat s’est déjà déchargé depuis longtemps sur les gestionnaires « , précise Jean-Luc Cohen.
Les deux appels d’offres de Grenoble et Chambéry ont permis de découvrir quels seront les principaux acteurs de la gestion future des aéroports régionaux. Vinci Airports qui reconnaît également être prêt à entrer dans le capital des sociétés aéroportuaires qui géreront les grands aéroports régionaux, tient évidemment la corde. Outre les chambres de commerce locales qui s’estiment généralement légitimes en la matière, le groupe Vivendi se positionne sur ce marché, de même que la Caisse des dépôts et consignation par l’intermédiaire de filiale. Des aéroports étrangers sont également sur les rangs (Turin dans le cas de Grenoble). Si ADP ne peut toujours pas intervenir au niveau national, son statut le lui interdisant, en revanche, l’aéroport de Nice s’y intéresse. Ce n’est apparemment pas encore le cas de Lyon.
En se retirant de l’appel d’offre grenoblois, la Chambre de commerce de Lyon, laisse l’adversité s’installer sur sa zone de chalandise. Les premières conséquences sont d’ores et déjà mesurables. Lyon-Saint Exupéry n’hésite pas à qualifier de » catastrophique » sa dernière saison neige en estimant que 50 à 60 000 passagers, soit environ 30% du volume total, se sont reportés sur Grenoble à la suite d’actions commerciales menées par le nouveau gestionnaire à destination des tours opérateurs anglais et des compagnies charters.
Avec la décentralisation, les aéroports régionaux vont aussi découvrir la concurrence. L’ouverture du marché national aux low cost leur en a donné un avant-goùt.
Gil Roy. Air et Cosmos N°1948 / Septembre 2004
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