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Transport Aérien

Parlons Facteurs Humains : Comprendre les Procédures Standards (SOP’s)

Published by
Michel Trémaud

De la même façon qu’une culture définit un ensemble de valeurs et de normes qui régit notre « vivre ensemble », les procédures standards (Standard Operating Procedures – SOP’s) définissent un ensemble de valeurs, normes et bonnes pratiques qui régissent notre « voler ensemble ». Briefing …

Avant propos

Les rapports d’incidents et d’accidents indiquent encore trop souvent un non respect des SOP’s, ou l’absence d’une répartition claire des diverses tâches entre chaque membre d’équipage, comme un facteur causal ou contributif. Ce non-respect des SOP’s implique le plus souvent les déviations suivantes :

  • omission d’une action,
  • exécution d’une action inappropriée,
  • non-respect des critères d’approche non-stabilisée (absence de remise de gaz),
  • manque de coordination équipage, support mutuel et vérification croisée,
  • déviation volontaire,
  • non utilisation des checklists,
  • absence d’annonces (annonces standards et/ou annonces de déviations excessives),
  • [ … ].

Sans un respect strict des SOP’s, la mise en place des principes et bonnes pratiques de CRM (Crew Resources Management) est impossible.

Fondements des SOP’s

L’histoire a retenu que les checklists sont nées après l’accident du prototype du B-17 qui s’est écrasé après avoir décollé avec le dispositif de blocage des commandes (gust lock) toujours verrouillé. De la même façon, l’histoire nous dit que la formalisation de procédures normales élaborées trouve ses racines dans l’énorme organisation qu’a nécessitée le pont aérien sur Berlin (Berlin airlift) en 1948-1949.

Le nombre d’avions impliqués, leur rythme et espacements de vol, les contraintes associées au vol dans trois corridors spécifiques, l’absence de possibilité pour une deuxième approche en cas de remise de gaz, … ont obligé l’encadrement à définir une doctrine opérationnelle et des références de standardisation qui ont conduit à un taux d’échec et d’accident relativement faible en regard des conditions exceptionnelles de cette opération.

La plupart des standards de vol aux instruments (instrument flight rules – IFR) et de contrôle aérien (air traffic control – ATC) ont également été développés ou améliorés dans le cadre du pont aérien sur Berlin.

Naissance des SOP’s – Pont aérien sur Berlin – 1948-1949 © DR

Nos procédures normales (standards) actuelles reflètent donc des décennies d’expérience, enrichies de l’apport des pilotes d’essai et pilotes de ligne qui ont mis en œuvre les générations successives d’appareil de transport, d’affaires et de loisir.

Manuel d’Exploitation (ManEx)

Le Manuel d’Exploitation d’un opérateur comporte généralement deux parties :

  • une partie dédiée aux doctrines (philosophies) générales d’opération, applicables à tous les modèles de la flotte,
  • une partie dédiée aux données d’utilisation propres à chaque modèle / type d’avion.

Les SOP’s peuvent donc être incluses dans l’une ou l’autre de ces parties, suivant leur caractère spécifique ou général.

SOP’s constructeur – SOP’s opérateur

Les SOP’s du constructeur reflète sa philosophie en matière de conception du cockpit et sa doctrine en matière d’utilisation, cette dernière prend en compte la diversité des opérateurs et de leur environnement opérationnel.

Les SOP’s de l’opérateur reflètent sa doctrine d’utilisation, propre à son type d’exploitation et à son environnement opérationnel ; elles s’efforcent – chaque fois que possible – de maintenir une standardisation entre les différents modèles constituant la flotte.

Les pilotes et personnels de cabines devraient être associés au développement des SOP’s compagnie afin de s’assurer que les règles et procédures sont bien comprises, ainsi que les raisons pour leur adoption.

Principes généraux

Le principal objectif des SOP’s est d’identifier et de décrire l’ensemble des tâches à effectuer pour chaque phase de vol :

  • quoi faire ?
  • quand ?
  • par qui ?

En effet, la définition du partage des tâches entre le pilote-en-fonction (PF) et le pilote-non-en-fonction (PNF), également appelé pilote-en-supervision (pilote monitoring – PM), est un des piliers du concept d’équipage et pilotage « à deux ».

Les SOP’s sont généralement exécutées de mémoire, suivant un circuit visuel global du cockpit (préparation initiale avant mise en route) ou un cheminement spécifique (autres phases de vol) ; les actions critiques (configuration becs et volets, réglage du compensateur de profondeur, calage altimétrique, armement des ground spoilers, …) sont ensuite vérifiées par l’utilisation d’une checklist du type question-réponse (challenge-and-response).

Les checklists de type question-réponse sont initiées par le PF, lues par le PNF et répondues par le PF (ou les deux pilotes, lorsque la vérification concerne leurs instruments respectifs).

Ces checklists figurent généralement au dos du QRH et – pour les appareils de dernière génération – sur les écrans multifonctions de la suite avionique (voir illustration ci-dessous et illustration de titre, respectivement).

SOP’s – QRH – NORMAL CHECK LIST © Airbus

Une erreur ou un oubli ne sont pas blâmables en soi, à partir du moment ou l’exécution de la checklist permet de détecter et corriger la dite erreur / le dit oubli.

Standardisation

Les SOP’s constituent la référence pour la standardisation de tous les membres d’équipage permettant de maintenir un niveau de performance identique quels que soient les pilotes effectuant un vol donné. Le strict respect des SOP’s permet également de :

  • prévenir les erreurs ou d’en atténuer les conséquences,
  • anticiper et gérer les « menaces » (threats),
  • [ … ].

Partage des tâches PF / PNF (PM)

La notion de partage des tâches entre le PF et le PNF (PM) est un des fondements du pilotage avec deux membres d’équipage seulement. Ce partage ne souffre que peu d’exceptions, la principale étant un partage des tâches du type CPT – F/O (Captain – First Officer) pour la décision et la conduite d’un décollage interrompu.

Le PF est responsable en premier lieu de la trajectoire horizontale et verticale de l’avion ainsi que de son niveau d’énergie :

  • en supervisant le pilote automatique (compris ici comme l’ensemble AP/FD/ATHR/FMS), comme détaillé dans les articles précédents; ou,
  • en pilotant l’avion manuellement, avec ou sans le support du FD, avec ou sans le support de l’ATHR ; dans ce cas, le PNF (PM) devient responsable des différentes actions – entrées / sélections / engagements / armements / … – concernant le pilote automatique.

Le PNF (PM) a en effet un double rôle de PNF et de PM, il/elle est donc responsable :

  • des actions SOP’s dévolues au PNF (PM), c’est à dire la configuration des systèmes, les communications radio, la lecture des checklists, l’exécution des actions demandées par le PF, …,
  • de la lecture et de l’exécution des procédures anormales et d’urgence, en étroite coordination avec le PF,
  • de la supervision de la configuration avion, de son attitude / vitesse / trajectoire / …,
  • de l’interface avec le pilote automatique, lorsque le PF pilote manuellement avec le support du FD,
  • d’assister le PF dans ses diverses tâches (support, vérification, annonces standards, annonces de déviations excessives, demandes de confirmation en cas de doute, proposition d’options si nécessaire, …, reprise des commandes si la situation le justifie).

En fait, le PF et le PNF ont tous deux un rôle de « supervision », l’un envers l’autre, mais également concernant la configuration de l’appareil et la progression du vol.

SOP’s – Rôles du PNF durant l’approche : supervision / information / proposition / annonces / … © Michel Trémaud / Aerobuzz.fr

SOP’s – Rôle du PNF durant la remise de gaz : annonces de déviation(s) excessive(s) © Michel Trémaud / Aerobuzz.fr

 

Discipline – Silence et annonces

Les SOP’s incluent deux concepts qui sont parfois mal interprétés :

  • « sterile cockpit » , un concept – introduit par la US FAA et repris par l’EASA – qui interdit toute conversation non pertinente pour la conduite du vol durant les phases de vol dites « critiques » ; cela inclus typiquement toutes opérations au sol ou en vol en dessous de 10,000 ft,
  • « silent » cockpit, un concept – introduit par certaines compagnies – qui limite les annonces (engagements / armements de modes, transition et réversions, …) aux seuls cas qui ne sont pas conformes aux attentes des pilotes … en d’autres termes, quand tout va bien on ne dit rien ! Un concept qui semble fragiliser la communication entre PF / PNF et la construction / le maintien d’une représentation mentale commune de la situation.

Minimiser les erreurs et omissions

Les SOP’s comportent généralement un certain nombre de protections pour minimiser les risques d’erreur ou omission, d’une manière générale mais surtout en cas de distraction / interruption ou en situation anormale / d’urgence :

  • initiateurs : évènements ou actions qui initient d’autres actions (passage 10,000 ft, …),
  • blocs d’actions : séquence d’actions étant exécutées ensemble et dans un ordre donné (bloc d’actions « 10,000 ft »),
  • circuits d’actions : séquences d’actions suivant un cheminement précis sur les différentes parties et sections du cockpit,
  • annonces standards : annonces standardisées permettant une communication effective entre les membres d’équipage et donc une conscience de la situation meilleure et partagée (ceci inclut également les annonces de déviation excessive).

SOP’s et formation

Le respect strict et discipliné des SOP’s doit commencer dès la qualification de type (sur simulateur ou sur avion) car il est démontré que les habitudes et gestuelles acquises et pratiquées durant la formation ont un effet durable.

La qualification de type et le contrôle périodique des compétences constituent également des opportunités uniques de discuter et comprendre le pourquoi des règles et procédures, ainsi que les implications encourues en cas de déviations. Au simulateur, il peut être tentant de gagner du temps en tolérant une utilisation moins formelle des SOP’s ; une telle pratique doit être réfrénée car elle pourrait encourager une attitude analogue en opérations réelles.

N’oublions donc pas d’appliquer le célèbre dicton Anglo-Saxon : « Train as you fly … and fly as you train » (« Formez / entrainez comme vous volez … et volez comme vous formez / entrainez » )

Facteurs humains et déviations des SOP’s

Pour assurer un strict respect des SOP’s, ou minimiser son propre risque de déviation, il est important de comprendre quels facteurs ou circonstances peuvent conduire à une déviation volontaire ou involontaire des SOP’s.

Dans la plupart des déviations, le pilote est persuadé que sa façon d’agir est mieux adaptée à la situation … du moins, sur la base des informations dont il dispose et de la perception qu’il a de cette situation. Un exemple typique est la continuation d’une approche non stabilisée lorsque le pilote juge que la remise de gaz peut présenter plus de difficultés / risques que la poursuite de l’approche.

Les facteurs suivants ont été fréquemment observés dans des études ou rapports traitant des déviations par rapport aux SOP’s :

  • culture compagnie ne mettant pas suffisamment l’accent sur la notion de standardisation et donc sur l’importance des SOP’s,
  • méconnaissance ou incompréhension des règles, procédures ou actions, conduisant à une remise en question de celles-ci,
  • baisse de vigilance (distraction, interruption, fatigue, …),
  • charge de travail (saturation de tâches, sollicitations multiples, …),
  • mauvaise gestion des priorités (absence de modèle de décision pour les situations à forte pression temporelle),
  • focalisation (effet tunnel),
  • défaillance dans les pratiques de CRM (absence de support mutuel / vérification croisée / …),
  • pression de l’organisation concernant les horaires, les déroutements, les remises de gaz, amplitudes de vol, … ,
  • pression personnelle (professionnelle, familiale, …),
  • Relâchement,
  • Excès de confiance,
  • [ … ].

Conscience de la situation : marge par rapport au relief (terrain awareness)
© TAKEOFF – The Swiss Professional Pilots’ Association Magazine

Compléments aux SOP’s

Les SOP’s peuvent inclure les aspects suivants ou se référer à la partie consacrée aux aspects généraux, non liés à un modèle / type particulier d’appareil :

  • Doctrine d’utilisation des automatismes,
  • Briefings,
  • Annonces (standards ou de déviation excessive),
  • Critères d’approche stabilisée,
  • Conditions de remise de gaz,
  • Gestion de l’énergie en descente et en approche,
  • Utilisation des baro et radio altimètres pour déterminer la marge par rapport au relief pour chaque segment de l’approche (terrain awareness),
  • Opérations en conditions environnementales dégradées (cellules convectives, turbulence / turbulence en ciel clair, cisaillement de vent, cristaux de glace d’altitude, cendres volcaniques, …),
  • Prévention de risques spécifiques (collision en vol ou au sol, perte de contrôle, sortie de piste, …),
  • Opérations en espace ETOPS, RVSM, …
  • Autres techniques dites « supplémentaires »,
  • [ … ].

En résumé

Les SOP’s et checklists associées constituent les fondations de la standardisation et, donc, du vol en équipage. Leur strict respect permet la mise en œuvre effective des bonnes pratiques de CRM et forme la meilleure ligne de défense contre les erreurs et omissions.

Dans le prochain article (mise en ligne du 22/12), nous aborderons le cas des procédures anormales et d’urgence, et l’utilisation des checklists du type lire-et-faire (read-and-do).

Michel Trémaud

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Michel Trémaud

Michel Trémaud a débuté sa carrière au Bureau Veritas, l'a poursuivie à Air Martinique et Aerotour, avant de rejoindre Airbus pour une carrière de près de 30 ans, consacrée principalement aux opérations en vol, essais de développement / certification et sécurité des vols. Dans ces fonctions, il a contribué à de nombreux projets pilotés par l'OACI, IATA, la Flight Safety Foundation et Eurocontrol. Ingénieur et pilote de ligne de formation académique initiale, il est pilote privé ( avion / planeur / ULM ) ... et également formé sur A310/A300-600. Michel Trémaud est décédé en octobre 2022, à l'âge de 70 ans.

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