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Transport Aérien

Parlons facteurs Humains : Modèles de sécurité

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Michel Trémaud

En l’absence d’un modèle global reflétant la diversité et complexité du monde aéronautique, la sécurité aérienne est basée sur un ensemble de modèles représentant des décennies d’expérience… et de leçons parfois chèrement apprises. Nous vous proposons ici un bref survol de ces modèles, illustré par un catalogue montrant la richesse des efforts de notre industrie.

Traditionnellement, les modèles de sécurité en aviation ont été constitués par des normes (règlements de certification, règlements définissant la formation et qualification des équipages, règlements opérationnels, règlements assurant la conformité des unités d’entretien, …).

Notre industrie a rapidement pris conscience qu’assurer le niveau de sécurité attendu par le public nécessitait bien plus que la seule conformité aux exigences réglementaires.

Un de nos anciens ne disait-il pas  » La plupart des accidents affectent des avions qui sont dans un parfait état de navigabilité et exploités par des compagnies qui sont en totale conformité avec la réglementation ! « .

Standards et bonnes pratiques

A l’initiative de tous les acteurs (ICAO, IATA, Flight Safety Foundation, constructeurs, compagnies aériennes, organismes de contrôle aérien, exploitants d’aéroport, …) des initiatives se sont mises en place qui ont proposé de nouveaux standards et bonnes pratiques, tels que :

    • l’installation de nouveaux équipements (GPWS, EGPWS/TAWS, EVS/SVS, …) bien avant que ceux-ci ne soient imposés par les autorités,

 

  • l’adoption de standards et bonnes pratiques en termes de formation et utilisation ; ces recommandations sont résumées dans des Educations-and-Training Aids, Toolkits ou Action Plans consacrés aux différents domaines de risque, tels que :

collision avec le relief, turbulence de sillage, décollage interrompu, approche-et-atterrissage, attitude inusuelles, sortie de piste, remise de gaz, communications pilote/contrôleur, … .

En complément des efforts ci-dessus, plusieurs projets ont été consacrés au développement de modèles de sécurité globaux, reflétant la diversité et complexité du monde opérationnel ; cependant, aucun de ces modèles n’a atteint le stade d’un produit utilisable par l’ensemble de notre industrie.

Approche prédictive et éducation continue du modèle

Néanmoins, ces efforts ont permis de défricher des domaines qui sont venus enrichir et structurer notre vision d’ensemble (global picture).

En effet, la plupart de ces projets s’est attachée à identifier et modéliser (par un vaste maillage) toutes les nuances des chaines d’évènements conduisant à un incident / accident ; en voici quelques exemples :

  • la notion d’interdépendance entre facteurs de risque (hiérarchie, chaines de causalité),
  • la variabilité d’un même risque suivant différentes conditions / circonstances,
  • l’identification des maillons faibles (robustesse et fiabilité des défenses et moyens de mitigation),
  • [ … ].

Ces modèles dynamiques devaient permettre une approche prédictive (en révélant par avance la fragilité éventuelle de certaines lignes de défense ) mais également permettre l’éducation continue du modèle (le dotant d’une forme d’intelligence artificielle en y incorporant les leçons du retour d’expérience).

En intégrant les modèles de sécurité respectifs relatifs à l’avion, au contrôle aérien, aux opérations aéroportuaires, … un modèle de sécurité global aurait pu ainsi voir le jour, prenant en compte les risques d’interface entre les différents domaines.

Qu’en est-il alors, en l’absence de ces modèles globaux ?

Perfectionner les systèmes de classification et d’analyse

Comme nous l’aborderons dans le prochain article  » Analyse Opérationnelles et Facteurs Humains « , en marge des efforts ci-dessus visant au développement de modèles de sécurité globaux et dynamiques, l’industrie s’est attachée à perfectionner les systèmes traditionnels de classification et d’analyse (modèles plus linéaires, basé sur un ensemble de descripteurs, mots-clés et marqueurs).

Au delà de l’analyse individuelle d’un évènement, il s’est avéré extrêmement intéressant de consolider / agréger les observations relatives à un groupe d’évènements du même type (par exemple, approches non stabilisées, sorties de piste, déviations d’altitude, collisions avec le relief, …) afin de définir des stratégies de prévention / récupération / mitigation ciblées sur ce type d’évènement.

Nous avons tenté de répertorier les différents Education-and-Training Aids, Toolkits, Action Plans et autres documents de référence qui ont résulté de cette approche ciblée et qui, pris dans leur ensemble, constituent notre modèle implicite de sécurité pour le domaine des opérations aériennes ; c’est à dire, ce que nous attendons de tous les acteurs de première ligne en termes de standards et bonnes pratiques.

Nous nous devons de reconnaître que peu de domaines de risque sont restés inexplorés par ces efforts et qu’un vaste fond documentaire est à la disposition de chacun pour y puiser et s’interroger sur la mise en conformité de sa propre organisation.

Certainement, beaucoup d’entre vous découvrirons ici la richesse de notre patrimoine commun en matière de projets et documents dédiés à la gestion des menaces qui nous guettent et donc à la prévention des incidents et accidents ; nous souhaitons que cela vous incite à les consulter et à les prendre en compte, pour vous-même et pour votre organisation.

Michel Trémaud

 

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Michel Trémaud

Michel Trémaud a débuté sa carrière au Bureau Veritas, l'a poursuivie à Air Martinique et Aerotour, avant de rejoindre Airbus pour une carrière de près de 30 ans, consacrée principalement aux opérations en vol, essais de développement / certification et sécurité des vols. Dans ces fonctions, il a contribué à de nombreux projets pilotés par l'OACI, IATA, la Flight Safety Foundation et Eurocontrol. Ingénieur et pilote de ligne de formation académique initiale, il est pilote privé ( avion / planeur / ULM ) ... et également formé sur A310/A300-600. Michel Trémaud est décédé en octobre 2022, à l'âge de 70 ans.

View Comments

  • Bonjour Anenometrix,
    Je ne sais pas si vous faites allusion au cas AF Paris-Rio, mais ca y ressemble.. :)
    Je suis bien d accord avec vous, la chaine des responsabilites est totale bien sur, Constructeur (procedure inexistante pour decrochage en croisiere), Authorite Aerienne (aprobation manuels et certification) et Operateur (programmes de formation et entrainement) , Equipage (engagement avec risques internes et externes bien trop eleves)..Mais comme l equipage n est plus la, on a regle le probleme tres facilement.. Apparemment, les evenements n ont pas vraiment servi de lecon, mais ca on y est plutot habitue dans la profession. Helas.
    Le plus important c est les "parapluies" politiques, economiques et administratifs,
    "On" le sait bien (mais "On" est un "C.."..Comme disaient les vieux chibanes..eh eh)

  • Je précise / corrige une phrase de mon post précédant :
    "On peut obtenir des informations de vitesse et d’incidence suffisamment précises à partir des IRS pour se substituer aux instruments en cas de panne et permettre la poursuite du vol en toute sécurité".
    Ce qui sous-tend que c'était possible depuis longtemps mais que rien n'a été fait en ce sens.

    • Bien que les aspects techniques de ce sujet nous éloigne du cadre "facteurs humains" de cette série d'articles, il peut être intéressant pour les lecteurs de préciser, qu'au contraire, de nombreuses pistes ont été explorées.
      Dans ce type de problématique (et le concept en est bien connu des avionneurs comme des motoristes), il existe deux approches :
      - utiliser une valeur de substitution,
      - synthétiser le paramètre affecté à partir d'autres paramètres.
      Cependant le cadre de cette série d'articles ne permet pas de développer plus en détail un type particulier d'événement.
      Le prochain article nous donnera l'occasion d'aborder les quatre piliers du retour d'expérience, les efforts de prévention associés ... et la notion de "preventable accident".

  • Ce n'est pas vraiment la réponse que j'attendais, et je reviens à votre expression : "...« la prévention des incidents et accidents »...
    On peut obtenir des informations de vitesse et d'incidence suffisamment précises pour se substituer aux instruments en cas de panne et permettre la poursuite du vol en toute sécurité.
    Alors où est la "prévention" après tant d'incidents-accidents dus aux pertes de vitesses et d'incidence ?...
    J'attendrai donc votre prochain article sur le sujet ...

  • Bonjour,
    Personne n'ayant réagi, j'en profite :
    .." consolider / agréger les observations relatives à un groupe d’évènements du même type ... définir des stratégies de prévention / récupération / mitigation ..."
    ... "la prévention des incidents et accidents " ...

    Deux cas que vous n'avez pas cité dans vos exemples :
    - La panne des sondes Pitot (multiples cas ... un crash) .. et depuis ?...
    - Le double-pilotage ... (multiples cas ... de la tôle froissée) ... et depuis ?

    Vous dites : "définir des stratégies de prévention" ... qui ? quand ? comment ?

    • Le cas des sondes pitot est effectivement intéressant, il illustre d'ailleurs un aspect abordé dans le prochain article "Analyse des Facteurs Opérationnels et Humains", dans le paragraphe "Elargir le champs d'analyse".

      Le travail sur les conséquences d'un blocage des sondes pitots (quelle qu'en soit la cause) ou le colmatage des prises statiques (quelle qu'en soit la cause) a commencé suite à deux accidents ayant affecté des B757 en Amérique centrale et du Sud.

      Pour ce qui concerne la partie vécue par l'auteur (procédure Flight with Unreliable Airspeed) cela a conduit à de nombreux essais sur simulateur pour définir les éléments d'une nouvelle procédure qui permet de "stabiliser la situation" avant de recourir au QRH pour gérer la poursuite du vol, si la condition anormale persiste.

      Sur les modèles équipés d'un manche classique (yoke), un placard rappelle les éléments (assiette, puissance, ...) permettant de stabiliser rapidement la situation.

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