Nos principes de sécurité et hypothèses opérationnelles sont-ils aussi robustes et fiables que nous le pensons ? L’analyse des évènements survenus en service commercial nous révèle les écarts entre nos croyances et le monde réel ; arrêtons nous un instant pour découvrir ce que cette analyse nous enseigne.
Formuler
Le développement d’un avion (ou de tout autre système complexe) – c’est à dire, la définition de ses principes de conception de haut-niveau, de sa doctrine et de ses procédures d’utilisation, et de son programme de formation – conduit les concepteurs à formuler de façon explicite ou implicite un ensemble d’hypothèses à propos de l’utilisateur futur :
Cet ensemble d’hypothèses – ou d’attentes – résulte de l’interprétation consciente ou inconsciente des différents modèles de sécurité (abordés dans l’article du 28 octobre).
Vérifier
Nos principes de sécurité et nos hypothèses opérationnelles reflètent des décennies d’expérience, mais une analyse sérieuse et complète des évènements en services ne saurait éviter de s’interroger sur la robustesse et la fiabilité de ces principes et hypothèses.
Cette analyse ainsi que l’analyse des précurseurs (signaux faibles) nous donne en effet une occasion unique de comprendre la vie réelle telle qu’elle est et non telle que nous croyons / souhaiterions qu’elle soit … et ainsi d’améliorer nos stratégies de prévention (évitement d’une situation), de récupération (gestion de la situation) et de mitigation (atténuation des conséquences).
Bien que globalement nos hypothèses opérationnelles aient surmonté l’épreuve du temps, certaines ont été mises à l’épreuve / prises en défaut lors d’évènements survenus en opérations, dans tous les secteurs de notre industrie.
En effet, même les croyances les plus solidement ancrées dans notre culture peuvent être mises en défaut, comme le rappelle avec sagesse Ann Azevedo de la US FAA : » Ne prenez jamais pour acquis que quelque chose ne se produira jamais »
Illustrer
Une liste – bien sûr non-exhaustive – d’hypothèses opérationnelles mises à l’épreuve / prises en défaut par la réalité a été établie après l’analyse d’un grand nombre d’évènements survenus en service commercial ; un tel référentiel n’existait pas jusqu’alors.
En voici quelques exemples, présentés par thèmes – chaque alinéa peut être lu en commençant par « Contrairement à ce que nous pensions, … » :
Informations météorologiques :
Les techniques modernes de prédiction et de transmission des informations météorologiques ne permettent pas toujours aux pilotes d’éviter les cellules convectives durant l’approche et l’atterrissage.
Les pilotes n’ont pas toujours accès à une information précise concernant la condition de la piste (nature et épaisseur du contaminant). Cette information étant souvent limitée à une estimation de la qualité du freinage.
Formation et règles de l’art :
Les pilotes n’ont pas toujours conscience de la relation « assiette / puissance / performance » de leur appareil.
Les pilotes ne se conforment pas toujours à la règle d’or « planifier / exécuter / vérifier ».
Les équipages de cabine ne sont pas toujours informés des circonstances qui justifient de passer outre la règle du « sterile cockpit » durant les phases critiques de vol.
Contrôle aérien :
Les contrôleurs ne sont pas toujours conscients des performances de décélération des appareils (capacité à descendre tout en décélérant).
Les contrôleurs ne sont pas toujours conscients des tâches associées à la reconfiguration des systèmes de gestion du vol, en cas de changement de piste de dernière minute.
La piste en service n’est pas toujours la piste la plus favorable en termes de moyens d’approche et/ou de vent effectif (souvent pour des raisons environnementales).
Procédures standards d’utilisation (SOP’s) :
Certains opérateurs (principalement en aviation non-commerciale) ne possèdent pas encore de SOP’s définissant les notions de PF / PNF (PM), les rôles et le partage des tâches associés.
Les circonstances de vols peuvent amener les équipages à dévier des procédures standards, en omettant l’exécution des checklists ou la verbalisation des annonces ; alors que ces lignes de défenses sont justement prévues pour les aider à gérer de telles circonstances.
Procédures anormales et d’urgence :
Les procédures ne sont pas toujours accomplies telles que publiées (par exemple, dans la bonne séquence et/ou dans leur intégralité),
Des disjoncteurs sont parfois cyclés – en l’absence de toute procédure correspondante – dans un souci de recherche de panne, de réactivation d’un système ou de suppression d’une alarme.
Gestion des ressources :
Le manque de communication au sein de l’équipage, le manque de vérification-croisée et/ou de surveillance réciproque empêchent la détection et la récupération d’erreurs d’exécution ou d’erreurs de supervision.
Charge de travail et fatigue :
La stricte adhérence aux procédures et aux principes de gestion des ressources ne suffisent pas toujours à compenser les effets de la fatigue (et à éviter les erreurs d’exécution ou de jugement qui en découlent).
Analyser
Adaptée sous forme d’histogramme, la liste des hypothèses opérationnelles mises à l’épreuve / prise en défaut par le monde réel nous révèle que nos hypothèses opérationnelles (nos certitudes) sont plus fragiles que nous le pensions, principalement dans deux domaines
(Figure 1) :
Ceci nous confirme que la performance de l’équipage est directement influencée par l’environnement et les circonstances … mais est-ce vraiment une révélation ?
Comme dans le processus d’analyse décrit dans l’article précédent, descendons d’un niveau afin de faire un zoom sur chaque domaine, voici ce que nous révèle alors notre analyse
(Figure 2) :
Nous y voyons apparaitre quatre aspects liés à la performance de l’équipage :
Bien que cette étude date de plusieurs années, les observations ci-dessus nous montrent néanmoins clairement dans quelles directions nous devons diriger et/ou maintenir nos efforts.
En résumé
L’analyse des événements opérationnels (évènements mineurs, incidents et accidents) démontre que nos hypothèses opérationnelles sont parfois fragiles et défiées / prises en défaut par la réalité quotidienne.
Un nouveau pas serait franchi en matière de sécurité des vols si nous acceptions ce fait avec humilité et si nous le prenions plus formellement en compte dans la conception, les procédures d’utilisation, la formation et l’information continue sur le retour d’expérience.
Il serait sévère d’affirmer que cela n’est pas pris en considération aujourd’hui, mais il est également vrai que notre industrie s’est souvent montrée réticente à faire de cet aspect un véritable chapitre de son grand livre sur la sécurité aérienne.
Nous verrons en effet dans l’article suivant « Hypothèses opérationnelles – Défi ou déni ? » que la remise en cause de la robustesse de nos principes et hypothèses est parfois accueillie avec une certaine forme de déni.
Michel Trémaud
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