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Transport Aérien

Parlons Facteurs Humains : Pilote automatique – Avatar du pilote ?

Published by
Michel Trémaud

L’ensemble pilote automatique / auto-manettes fonctionne comme un pilote humain … il n’a que deux mains (en l’occurrence des servo-moteurs); voyons comment, suivant les phases de vol, le pilote automatique et l’auto-manettes se partagent … et s’échangent … le maintien de la vitesse et de la trajectoire.

Quel que soit le constructeur, le type et modèle d’un appareil, un avion reste un avion et – sans renier les différences qui font la « différenciation » entre constructeurs et entre modèles – les mêmes grandes fonctions s’y retrouvent, bien que déclinées avec des philosophies et technologies différentes.

Cet article est donc applicable – dans l’esprit, sinon dans la lettre – à tout type d’appareil équipé d’un directeur de vol (flight director ou FD) / pilote automatique (autopilot ou AP), d’auto-manettes (autothrust ou ATHR) et d’un système de gestion du vol (flight management system ou FMS) … mais il est écrit pour l’information et le bénéfice des lecteurs qui ne bénéficient pas d’une telle technologie.

Les automatismes actuels fournissent au pilote une variété d’options pour exécuter une tâche donnée, il appartient au pilot de choisir le niveau d’assistance le plus approprié pour chaque tâche et pour chaque circonstance.

Seule une bonne connaissance des différents modules du système, de leur architecture et de leur model de conception peut amener à une utilisation optimale et éviter les situations incomprises (souvent appelées « automation surprises »).

Directeur de vol

Le directeur de vol (au travers de ses « barres de commande » ou « moustaches ») donne au pilote des informations de guidage afin d’acquérir et maintenir la trajectoire définie par ce dernier (consignes sélectées et modes engagés). Le FD est un sous-système (module) du pilote automatique, on parle donc souvent d’ensemble intégré AP/FD.

Pilote automatique – Avatar du pilote

Lorsque le pilote automatique est engagé, il s’engage en gardant les modes qui avaient été engagés / armés par le pilote pour le FD ; en bon pilote discipliné, l’AP se contente donc de suivre les ordres du FD ! En effet, l’ensemble pilote automatique / auto-manettes fonctionne en fait comme un pilote humain … il n’a que deux mains (en l’occurrence, des servo-moteurs).

Prenons l’exemple du pilotage dans le plan vertical, un servomoteur actionne les gouvernes de profondeur, un autre les manettes de puissance / poussée. Suivant les phases de vol, le maintien de la vitesse est confié soit au pilote automatique (via les gouvernes de profondeur) soit à l’auto-manettes (via la puissance / poussée).

En voici une brève description pour un vol utilisant les modes de base pour la capture et le maintien d’une altitude ou d’un niveau de vol :

  • En montée (mode de changement de niveau), l’auto-manettes maintient une poussée fixe (ATHR THR mode), le maintien de la vitesse est donc confié aux gouvernes de profondeur qui font varier l’assiette pour maintenir la vitesse désirée (AP SPD mode),
  • En croisière (mode de maintien d’altitude), seule la profondeur peut maintenir l’altitude choisie (AP ALT mode), le maintien de la vitesse est donc confié à l’auto-manettes qui ajuste la puissance / poussée pour maintenir la vitesse sélectée (ATHR SPD mode),
  • Durant la descente (mode de changement de niveau), l’auto-manettes ramène la puissance au ralenti et la profondeur reprend le relais pour le maintien de la vitesse (AP SPD mode),
  • En approche (mode de capture et de maintien de l’ILS), l’auto-manettes reprend le contrôle de la vitesse (ATHR SPD mode), la profondeur étant en charge du maintien de l’altitude de capture du glide-slope puis de son suivi (AP ALT mode puis AP G/S mode).

Cet échange de tâches entre le pilote automatique et l’auto-manettes peut être manuel ou entièrement automatique suivant les générations et types d’avions. C’est également l’échange que tout pilote effectue inconsciemment durant un vol en pilotage manuel.

La description ci-dessus, également illustrée par le tableau ci-dessous, reflète les grandes lignes du fonctionnement de base du couple pilote automatique / auto-manettes. Ces principes de base sont universels, leur compréhension est un acquis qui accompagne le pilote de machine en machine.

Auto-manettes
( ATHR )
Pilote automatique
Directeur de vol
( AP/FD )
Manettes de puissance
/ poussée
Gouvernes de profondeur
Maintien

Performance

Poussée donnée (THR)
ou
Ralenti (IDLE)
Vitesse (SPD)
Maintien

Trajectoire

Vitesse (SPD) Vitesse verticale (V/S)
Altitude (ALT)
Profil vertical (VNAV)
Glide slope (G/S)

Association des modes AP/FD et ATHR – (Source – Auteur – FSF ALAR Briefing Note 1.2)

Choix tactiques / stratégiques

Afin d’adapter le niveau d’automatisation en fonction des choix tactiques (à court terme) et stratégiques (à long terme) du pilote, deux approches et deux interfaces sont généralement envisagés :

  • pour les choix tactiques : un choix de consignes et modes « sélectés » par le pilote sur le bandeau / panneau pilote automatique (flight control unit ou FCU),
  • pour les choix stratégiques : un ensemble d’options, consignes et modes programmés par le pilote au travers de l’interface FMS (MFS MCDU), et ensuite « managés » / séquencés par le FMS.

Le cadre de cet article ne permet pas de décrire chaque mode individuellement, la description des modes de base verticaux (changement de niveau et maintien d’altitude) et le tableau ci-dessus illustrent les principes de base qui vous permettront de comprendre les autres modes verticaux et latéraux.

Transitions / réversions de modes

Pour superviser le guidage vertical et latéral de l’avion, il est important de bien comprendre les notions de transition et de réversion de modes :

  • une transition est un changement / séquencement d’un mode à un autre résultant d’une action du pilote (transition immédiate dans le cas de l’engagement d’un mode ou transition différée dans le cas de l’armement d’un mode),
  • une réversion est un changement d’un mode à un autre résultant d’une condition logique du système (réversion automatique … c’est le cas de certaines protections) ou d’une action du pilote (réversion manuelle … c’est le cas des réassociations de modes latéraux / verticaux après un changement de mode).

Pour illustrer ce dernier cas, prenons l’exemple du respect des contraintes (en vitesse, altitude, temps) associées à un ou plusieurs waypoint(s) du plan de vol, durant la montée :

  • la prise en compte de ces contraintes nécessite naturellement que le plan de vol latéral / vertical soit suivi (en mode LNAV/VNAV, ou équivalent, comme illustré ci-dessous),
  • si le pilote quitte le mode LNAV, par exemple en sélectionnant le mode HDG – heading – pour l’évitement d’une cellule convective, l’avion ne suivant plus le plan de vol latéral, le mode VNAV ne sait plus associer les différentes contraintes et leurs waypoints respectifs,
  • le mode VNAV cède alors la main au mode de base vertical approprié (mode de changement de niveau, comme illustré ci-dessous) … au travers d’une réversion de mode,
  • le pilote doit alors avoir conscience que la responsabilité de se conformer aux différentes contraintes lui incombe désormais … complexe penserez-vous ? … complexe oui … mais logique !

Sélection manuelle LNAV -> HDG / Réversion automatique VNAV -> mode de base de montée © Coll. M. Trémaud

Là encore, le système agit en avatar du pilote … qui agirait / réagirait de façon identique, en vol purement manuel !

Interface pilote / système

Le bandeau / panneau pilote automatique est l’interface principal entre le pilote et l’AP :

  • toute sélection d’une consigne (vitesse, cap, altitude, vitesse verticale ou pente) et tout engagement de mode est prise en compte pour le guidage immédiat de l’avion,
  • tout armement de mode est mis « en attente » jusqu’à ce que les conditions de capture soient réalisées.

FCU © Airbus

L’écran et clavier du FMS (multi-purpose control and display unit ou MCDU, plus la track-ball sur les modèles les plus récents) constituent l’interface du pilote avec le FMS pour le guidage à plus long terme de l’avion (c’est à dire, pour la phase de vol en cours et les phases de vol suivantes).

FMS MCDU (Source Airbus)

Interfacer de façon effective avec le FMS requiert une parfaite connaissance de l’arborescence d’accès aux différentes « pages », de la syntaxe et du format des « entrées »,… .

Toute sélection / action sur le FCU ou le MCDU reflète les intentions / attentes du pilote concernant la trajectoire de l’avion; le pilote doit donc avoir une vision claire des aspects suivants:

  • Quelles sont mes intentions pour le guidage immédiat de l’avion ?
  • Quelles sont mes attentes pour le guidage futur de l’avion ?

Ceci implique que le pilote ait une parfaite conscience et compréhension de ses sélections / actions passées et de leurs résultats présents ou à venir :

  • Quelle(s) consigne(s) ai-je sélectée(s) et quel(s) mode(s) ai-je engagé(s) pour le guidage actuel de l’avion ?
  • L’avion suit-il correctement la trajectoire (verticale et horizontale) et maintient-il correctement les consignes préalablement définies ?
  • Quelle(s) consigne(s) ai-je sélectée(s) et quel(s) mode(s) ai-je armé(s) pour le guidage futur de l’avion ?

Comme discuté dans l’article précédent « Interface Homme-Machine – Apprendre à communiquer », le FMA (pour les modes engagés / armés) et les différentes échelles des PFD / ND (pour les consignes sélectées) constituent les principales références du pilote pour répondre à ces questions, comme illustré ci-dessous.

PFD © Airbus

ND © Airbus

C’est ce que les Anglo-Saxons résument par la phrase « Fly with your eyes » (« Volez avec vos yeux »).

Règles d’or d’utilisation

L’adhésion du pilote aux règles d’or suivantes pour l’utilisation et la supervision du pilote automatique (compris ici comme l’ensemble AP/FD/ATHR/FMS) permet à ce dernier de rester en avance sur l’avion et d’être prêt à faire face à toute situation imprévue :

  • Utiliser le pilote automatique pour réduire la charge de travail et libérer ainsi des ressources pour la gestion et la supervision du vol,
  • Profiter de circonstances et d’un environnement favorables pour maintenir les compétences de pilotage en vol manuel, avec ou sans FD,
  • Choisir le niveau d’assistance du pilote automatique en fonction de la tâche à accomplir et des circonstances,
  • Avoir à chaque instant conscience des consignes et modes de guidage actifs, … ou en attente,
  • Superviser en permanence les paramètres du guidage afin de s’assurer que leurs résultats sur la trajectoire et le niveau d’énergie sont conformes aux attentes,
  • Ne pas hésiter à revenir à un niveau d’assistance plus simple et plus direct (modes de base), si jugé plus approprié,
  • Garder à l’esprit que le « bon niveau d’assistance » est celui que le pilote comprend et maitrise, et donc avec lequel il/elle se sent le plus à l’aise,
  • Revenir au pilotage manuel (avec ou sans support du FD, avec ou sans support de l’ATHR) pour un contrôle direct de la trajectoire et de la puissance / poussée, si justifié par la situation,
  • [ … ].

En résumé

Idéalement, le pilote automatique (compris ici comme l’ensemble AP/FD/ATHR/FMS) doit refléter notre modèle mental de pilote pour conduire un appareil de son point de départ à sa destination; son architecture, son interface et son utilisation doivent donc être intuitives.

Cependant, la maitrise du pilote automatique nécessite une phase d’appropriation de la part du pilote car … si la machine doit s’adapter à l’humain, l’humain doit également s’adapter à la machine par une formation théorique et pratique appropriée.

Avec les années, les fonctionnalités du pilote automatique se sont complexifiées … parce que l’environnement opérationnel s’est lui-même complexifié … la technologie a permis de s’adapter à ces évolutions … Cette technologie et les automatismes sont souvent remis en question, le problème – si problème il y a – n’est-il pas beaucoup plus large ?

Cet article clôture la série de trois articles consacrés aux automatismes; à partir de la semaine prochaine (mise en ligne du 15/12), nous aborderons une série consacrées à la compréhension des procédures et à l’ergonomie de la documentation opérationnelle.

Michel Trémaud

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Michel Trémaud

Michel Trémaud a débuté sa carrière au Bureau Veritas, l'a poursuivie à Air Martinique et Aerotour, avant de rejoindre Airbus pour une carrière de près de 30 ans, consacrée principalement aux opérations en vol, essais de développement / certification et sécurité des vols. Dans ces fonctions, il a contribué à de nombreux projets pilotés par l'OACI, IATA, la Flight Safety Foundation et Eurocontrol. Ingénieur et pilote de ligne de formation académique initiale, il est pilote privé ( avion / planeur / ULM ) ... et également formé sur A310/A300-600. Michel Trémaud est décédé en octobre 2022, à l'âge de 70 ans.

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  • Je suis auditrice qualité sécurité dans une petite compagnie aérienne et je trouve vos explications vraiment intéressantes. Merci.

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