Les pilotes refusent la prime allant jusqu’à 12.000 euros offerte en échange de jours de congés. Ils ont l’impression d’avoir une chance historique de rééquilibrer leur situation, au moment où Ryanair est confronté à une hémorragie de pilotes. Mais en l’absence de syndicats et compte tenu de la précarité des contrats qui les lient à la compagnie, ils restent vulnérables. Dangereux pour un auto-entrepreneur de tenir tête une firme qui a fait 1,3 milliard de profits en 2016. [29/9/17 : Réaction de Ryanair]
Michael O’Leary, le PDG de Ryanair, reconnaît désormais que les 2.100 vols annulés entre le 21 septembre et le 31 octobre 2017, sont la conséquence de la transition d’un mode de gestion des jours de congés des pilotes vers un autre, imposé par les autorités irlandaises. Il continue d’invoquer des causes extérieures à la compagnie et surtout, il dément fermement un manque de pilotes : « Ryanair is not short of pilots ».
Pour preuve, il évoque la saison de pointe (juin, juillet et août) qui selon lui s’est bien passée. Sauf que, tous les congés qui n’ont pas été pris avant, doivent être soldés maintenant. Ryanair est entré dans le dur et ce ne sont pas les dernières déclarations de son patron, relayées par le SNPL (Syndicat national des pilotes de ligne) qui vont faciliter la recherche d’une solution. O’Leary aurait déclaré que « La fatigue des pilotes n’existe pas sur les vols moyen-courriers ».
Ryanair n’a pas seulement mal anticipé le changement du mode de calcul des jours de congés. En interne, les pilotes déplorent un sous-effectif. Le chiffre de 700 départs en 2016 est avancé.
Si à ce nombre, on ajoute les 500 pilotes supplémentaires, nécessaires pour faire face à la mise en ligne d’un nouvel avion par semaine, on arrive à un besoin de 1.200 pilotes pour l’année. « La compagnie a besoin de pilotes puisqu’elle en perd et qu’elle grossit », résume un pilote de Ryanair, tout en expliquant qu’ « un bonus de bienvenue de 10.000 € est proposé aux nouveaux pilotes »..
Dans ce contexte, la suppression des vols en nombre relève de l’urgence plus que de la recherche d’une solution pérenne. Malgré la prime de 12.000 euros octroyée aux commandants de bord et de 6.000 euros aux premiers officiers, Ryanair n’est pas parvenue à convaincre.
L’offre étant assortie de telles conditions que les pilotes sont convaincus qu’ils ne parviendront jamais à toutes les réunir. Au final, ils craignent de perdre en même temps leurs congés et la prime promise. La direction est dans l’impasse, en recherche de solutions à son problème de sous-effectif.
« Nous avons l’impression qu’il y a une chance historique pour changer les choses, mais nous ne savons pas négocier », nous a déclaré un commandant de bord de la compagnie irlandaise. Mais faute de syndicats, les pilotes ne sont pas structurés pour demander l’ouverture de discussions avec la direction. Ils redoutent des tentatives d’intimidation à travers la menace de changement de base d’affectation.
Et précisément, cette dispersion des 4.000 pilotes sur les 87 bases, ne facilite pas la concertation, même si la création récente d’une page Facebook accélère désormais la circulation de l’information. Il n’en demeure pas moins que les contrats qui lient une partie des pilotes à Ryanair ne leur offre aucune protection.
Au moment de leur recrutement, les pilotes sont invités à se transformer en auto-entrepreneur, en créant leur propre société, afin de contracter avec un intermédiaire comme Brookfield, McGinley Aviation ou Blue Sky Books, désigné par Ryanair. Ils n’ont, en effet, pas la possibilité de signer un contrat directement avec Ryanair. Autrement dit, le pilote n’est pas salarié de la compagnie, mais simple fournisseur.
Jusqu’à un passé récent, les pilotes étaient libres de créer leur société dans le pays de leur choix. Désormais, Ryanair leur impose de le faire en Irlande où les prélèvements à la source peuvent atteindre 40% du bénéfice.
« La plupart des pilotes aimeraient avoir un véritable contrat de travail conforme au droit du pays dans lequel ils sont basés, avec un salaire qui reflète leur qualification », nous confie un pilote qui travaille depuis huit ans chez Ryanair et qui ne se plaint pas de sa situation. Il a souscrit une complémentaire santé et une assurance perte de licence auprès de l’association française APPN (Association de Prévoyance du Personnel Navigant). Depuis qu’il travaille pour Ryanair, il a essuyé deux contrôles fiscaux de l’administration française et deux fois son montage a été validé.
Conforme à la loi ne signifie évidemment pas pas forcément conforme aux attentes de tous les pilotes. Il reconnaît que certains jeunes copilotes qui débutent, plombés par les remboursements des prêts souscrits pour financer leur formation, opte pour une couverture sociale minimale et font l’impasse sur les assurances. Ils prennent des risques inconsidérés…
Ryanair embauche des débutants avec une licence de pilote de ligne (ATPL), une qualification de vol aux instruments (IR) et une qualification multimoteur (ME). Ils débutent leur carrière avec le minimum légal de 250 heures de vol. Ils doivent se financer leur qualification de type 737 dans l’un des deux centres reconnus par Ryanair. De plus en plus, la compagnie préfère qu’ils passent une qualification de travail en équipage (MCC) maison, un moyen de former les nouvelles recrues à ses propres standards.
Sur certaines bases, comme en Pologne, Ryanair finance la qualification de type 737 et exige en contre partie que les nouvelles recrues s’engagent pour 4 ou 6 ans. C’est un moyen de lever des freins. Réunir 30.000 euros pour financer une QT737 n’est pas à la portée de tous.
Selon une source interne à Ryanair, une partie des commandants de bord, parmi les plus âgés, quittent la compagnie, pour aller travailler en Chine, voire au Moyen-Orient. Ils optimisent leur fin de carrière Toutefois, les compagnies du Golfe connaissant un tassement de leur activité et recrutent moins. Actuellement, il semble que Ryanair soit devenue un vivier de recrutement pour Norwegian, en particulier pour son secteur long courrier en fort développement. easyJet aussi se sert chez Ryanair.
La basse saison qui arrive devrait permettre à l’irlandaise de souffler. La pression va mécaniquement retomber, mais le problème demeure entier. Au moment où Ryanair se développe sur les aéroports principaux et propose une nouvelle gamme de services optionnels à sa clientèle, les annulations de vols risquent de lui coûter bien plus cher que les dédommagements forfaitaires ou que les primes accordées à ses pilotes.
Son image est écornée et si elle veut pouvoir continuer à se développer sur le même rythme, ce qui est l’essence même de son modèle économique, elle n’a pas d’autres choix que de considérer ses pilotes avec un peu plus d’égard. Malgré les apparences, O’Leary est un pragmatique qui sait parfaitement où est son intérêt. La « chance historique » se situe peut-être à ce niveau…
Gil Roy / Fabrice Morlon
Réaction de Ryanair / 29 septembre 2017
Dans l’année en cours, moins de 100 des plus de 2 000 commandants de bord ont quitté Ryanair (principalement pour des départs à la retraite ou vers des compagnies aériennes long-courriers) et moins de 160 officiers pilotes ont quitté Ryanair principalement pour rejoindre les compagnies aériennes long-courriers.
Les pilotes de Ryanair bénéficient d’excellents salaires et conditions dans l’industrie comme suit:
• Un commandant de bord gagne entre 120 000 € à 180 000 euros par an
• À Dublin et 3 autres bases, ces salaires ont récemment été augmentés de 10 000 €
• Un officier pilote peut s’attendre à être promu au grade de commandant de bord dans les 4 ans
• Les pilotes bénéficient d’un tableau de service fixe de 5 jours de service suivi de 4 jours de congé, qui équivaut à un long week-end de congés après chaque 5 jours de travail
• Les pilotes sont contraints, par la loi, à ne pas voler plus de 900 heures par an.Michael Lison
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Y a encore du boulot pour harmoniser l'Europe en matiére de droit du travail. Mais faites confiance à O Leary pour trouver une solution qui va le satisfaire ...lui!
Par exemple piloter debout..il gagnera le prix de 2 siéges..
Pourquoi un tel mépris pour le travail, de surcroit qualifié. C'est le travail qui fait tourner un pays, pas la finance.
Et là encore, on est dans le rapport de force ou la capacité de nuisance. Au 21ème siècle, on pourrait attendre mieux!
Voici une petite vidéo qui résume avec humour la situation...
http://www.captiongenerator.com/692732/Hitler-finds-out-Ryanair-is-cancelling-flights
Merci Gil et Fabrice pour cet article, qui contre-balance très bien la brève parue précédemment !
Dans le même genre de registre, ça fait terriblement écho à un reportage télévisé diffusé hier soir :-/
Je salue avec le plus profond respect les pilotes, qui au travers des différentes bases de Ryanair, ont décidé de défendre leurs droits, parfois les plus élémentaires, alors qu'ils assument au quotidien, leurs devoirs.
C'est une armée éparpillée, sans véritables chefs, qui a décidé d'affronter en rase campagne, le rouleau compresseur et destructeur du libéralisme inhumain. Sur le papier, ils n'ont pas plus de chance que David face à Goliath, et on sait au final ce qu'il en est advenu.. .