Le train à grande vitesse s’impose dans le paysage aérien français. Pour tirer parti de ce concurrent redoutable qui peut se révéler dans certains cas précis, un partenaire utile, les compagnies aériennes doivent inventer un service spécifique.
» Le TGV a permis à notre chiffre d’affaires » province » de se développer « , se félicite Patrick Alonso, directeur général France d’American Airlines. Depuis le début de l’année, le numéro un mondial du transport aérien offre de nouvelles possibilités de pré et post acheminement pour treize villes en région. Même enthousiasme chez United Airlines : » nous considérons le TGV en complémentarité de notre alliance avec Lufthansa. Cela nous permet de multiplier les possibilités de départ de province, via Francfort et Munich avec Lufthansa, et via Roissy-CDG avec la SNCF. Nous pouvons ainsi offrir plus de solutions à nos clients de province « , affirme Gilles Talec, le nouveau directeur France de la compagnie américaine, chaud partisan de l’intermodalité.
Intermodalité : le mot est lâché. Le terme fleure bon la technocratie européenne et ne manque pas non plus de relents de colloques sur l’avenir du transport aérien. Il se rapporte à une organisation du voyage reposant sur les deux modes de transport spécifiques que sont l’avion et le train à grande vitesse. C’est devenu le cheval de bataille des ministres successifs des transports et de l’environnement qui voient là le moyen de pallier la saturation des grands aéroports hubbés et d’apporter une solution aux problèmes environnementaux générés par la croissance du trafic sur ces plates-formes.
Cette approche essentiellement dogmatique fait la part belle au train et suscite évidemment des réserves du côté de certains transporteurs aériens qui, à l’évidence, éprouvent des difficultés à considérer un concurrent de toujours comme un partenaire, même s’ils cherchent à minimiser ce paradoxe. » Si le TGV est notre premier concurrent sur le marché domestique français, la compagnie est également partenaire de la SNCF sur plusieurs lignes « , déclare Air France qui en aparté rappelle aussi certaines évidences : » notre métier est de remplir des avions, pas des trains « . Même son de cloche chez les autres partenaires aériens de la SNCF qui confinent aussi le train dans un rôle subalterne. Ce que démontre la pratique quotidienne.
Sur l’axe Lyon-Roissy CDG, en dépit des accords qui la lient à la SNCF, Air France continue à préacheminer massivement ses clients sur ses vols. L’avion représente 95 % du trafic total de la ligne, soit 360 000 passagers aériens pour 8000 passagers confiés au TGV. En revanche, sur Bruxelles-Roissy CDG, depuis la suppression de sa desserte aérienne, la compagnie française dispose d’une capacité de 220 000 sièges dans les rames du Thalys. Le pragmatisme l’emporte sur tout autre considération. Là où l’aérien trouve son compté, la bimodalité fonctionne.
La stratégie de Lufthansa en atteste également. » Le TGV est utilisé en complément de notre réseau aérien français « , déclare Axels Hilgers, directeur France de la compagnie allemande qui, du fait de son expérience acquise sur son marché domestique avec la DB (l’équivalent allemand de la SNCF), a été l’une des premières à mettre en œuvre des accords commerciaux avec la SNCF. La mise en service d’une ligne régulière Lille-Munich en février dernier a entraîné une réduction de l’offre TGV entre Lille et Paris-CDG. De même sur Lyon, le TGV n’est plus proposé depuis que Lyon est connecté aux hubs de Francfort et de Munich. » Sur Marseille, nous proposons sept vols quotidiens. Il n’est pas concevable de remonter des passagers sur Paris pour les faire transiter ensuite par Francfort ou Munich. Commercialement, le train représente un volume marginal, avec environ 1500 passagers par an. Mais il est important de pouvoir le proposer à notre clientèle « .
Pour les compagnies extra européennes, notamment pour les américaines, le problème se pose en termes radicalement différents comme le précise Jacques Alonso (American Airlines) : » le TGV nous offre un accès à la province. Nous avons débuté en 2003 avec Lyon, Lille et Nantes et depuis le 19 janvier, nous sommes passés à 13 villes grâce notamment au TGV Méditerranée. Nous visons un trafic de 5 000 passagers par an « . Le train permet en particulier d’alimenter les lignes transatlantiques.
En octobre dernier, Aix en Provence TGV est devenue la quinzième gare ouverte au produit TGV Air. Parmi les quatre premières compagnies a choisir de commercialiser cette destination figurent trois américaines : American airlines, Continental et Delta. » Les français connaissent le TGV, il suffit de leur faire savoir que nous leur offrons désormais cette possibilité. En revanche, en ce qui concerne les américains, un travail en profondeur est nécessaire. Il faut en particulier leur expliquer que le TGV n’est pas un tortillard. C’est l’une des raisons pour laquelle nous avons fait mettre dans les machines le code TGV à la place de TRN (train) « .
C’est un fait, les trains à grande vitesse qui sillonnent l’Europe, qu’il s’agisse du TGV, de Thalys ou d’Eurostar, offre un niveau de confort qui s’apparente à celui de l’avion. Les compagnies aériennes n’ont de fait aucun scrupule à le proposer à leurs clients en allouant à la SNCF des sièges à bord des TGV (de l’ordre de 4 à 8 sièges selon les compagnies, les lignes et les accords commerciaux).
Sur la ligne Paris gare du Nord-Bruxelles Zaventem et sur la ligne Bruxelles Midi- Roissy CDG, compte tenu des volumes, SN Brussels Airlines et Air France bénéficient de voitures dédiées à l’intérieur desquelles elles peuvent ainsi offrir à leurs clients un service personnalisé qui repose essentiellement sur une collation servie en route. Ce qui n’est évidemment pas possible dans les autres cas. » Nous avons choisi d’embarquer un agent pour assister les passagers et faire des annonces sur les vols en correspondance. Cela permet également de prendre en charge des mineurs non accompagnés (UM) « , précise Herman Carpentier, directeur général France de SNBA.
Cette approche du service rappelle celle de la Lufthansa avec Airport Express, sur le réseau ferroviaire intérieur allemand. La compagnie germanique est le premier transport aérien au monde à avoir mis en service une liaison ferroviaire exploitée comme un vol entre Dusseldorf et Francfort. Il y a 22 ans.
Si les français sont familiers du TGV, il n’en est pas moins vrai que dans le cas d’un voyage aérien, ils empruntent le train que lorsqu’ils ne peuvent pas faire autrement. Les agents de comptoirs savent que lorsque leurs clients ont le choix, ils préfèrent le tout avion. Toutefois, l’évolution des mentalités et surtout des habitudes de voyages font qu’ils sont de moins en moins réfractaires à l’idée de panacher les modes de transport quand cela est nécessaire. » Aujourd’hui les clients ont un comportement de voyage qui fait qu’ils partent d’un aéroport et reviennent par un autre, qu’ils partent en train et reviennent en voiture de location « , confirme Gilles Talec (United).
Parallèlement, les performances de la nouvelle génération de train à grande vitesse, qu’il s’agisse du TGV ou de Thalys, a comblé le fossé qui existait entre le train et l’avion. En termes de confort et de ponctualité, le train n’a rien à envier à l’avion. Au contraire. D’ailleurs la SNCF ne se prive pas de le faire remarquer à longueur de messages publicitaires comparatifs. Ce qui, soit dit en passant, ne constitue pas le moindre des paradoxes qui caractérisent les relations entre des partenaires concurrents.
Quoi qu’il en soit, les passagers acceptent de plus en plus naturellement l’idée de débuter un voyage intercontinental dans une gare. Avant même que le politique européen ne prenne fait et cause pour la bimodalité, les français ont rapidement compris où se situait leur intérêt et ont appris à jongler avec les horaires des TGV pour rejoindre les grands aéroports parisiens, plus particulièrement Roissy. L’implantation de la gare TGV, en 1994, à l’intérieur même de cet aéroport a incité les voyageurs autonomes, ceux qui ont l’habitude d’organiser eux-mêmes leurs déplacements, à prendre le train pour se rendre à Paris quand aucune possibilité n’est offerte par l’aérien ou que la correspondance n’est pas assurée.
Les premiers à l’emprunter ont évidemment été les lyonnais, rejoins ensuite par les habitants de l’ouest de la France et ceux du couloir rhodanien jusqu’à Marseille. Sur les 1,3 millions de voyageurs qui passent chaque année par la gare de l’aéroport Roissy-CDG, 850 000 sont en correspondance air-fer. Il est difficile d’évaluer la part de la clientèle aérienne qui pratique ce pré-acheminement sauvage. A titre d’exemple, Yves Davisse, directeur marketing et ventes de Thalys International estime que » sur la ligne Bruxelles-Roissy CDG cela représente 90 000 passagers par an. A comparer aux 220 000 qui entrent dans le contrat Thalys-Air France « . Cette pratique révèle un manque flagrant d’information.
En achetant séparément leurs billets d’avion et de train, les clients ne peuvent évidemment pas bénéficier des avantages du pré et post acheminement. Les prix des billets s’ajoutent et surtout, en cas de retard à l’arrivée en gare et d’impossibilité d’attraper le vol prévu, le voyageur se retrouve sans recours. Au passage, il perd tous les avantages liés aux différents programmes de fidélité des compagnies aériennes : le train rapport des miles ! A ce niveau, les agences de voyages ont un rôle de conseil à jouer en mettant notamment en avant les avantages du TGV Air qui fait entrer le train dans les GDS.
Le TGV Air offre la possibilité à un client, où qu’il soit dans le monde, d’acheter un billet unique, commercialisé par les compagnies aériennes et les agences de voyages. Il comprend un vol international précédé ou suivi d’un trajet en TGV ou départ ou à destination de la gare de l’aéroport Roissy-CDG. Une quinzaine de routes intérieures françaises sont ainsi ouvertes aux accords bi-modaux et à ce jour huit compagnies ont signé avec la SNCF. Depuis la mise en œuvre du premier accord, au milieu des années 90, le produit TGV Air a régulièrement fait l’objet d’optimisation ou d’essais pour tenter d’homogénéiser les deux modes de transport.
Outre l’intérêt numéro un d’assimiler le pré acheminement par train à un segment aérien, il s’agit aussi d’éviter au passager de subir les désagréments du passage d’un mode de transport à un autre. Et de ce point de vue, la bimodalité relève du mariage de la carpe et du lapin. Le fer et l’air sont deux univers distincts qui ne fonctionnent pas du tout sur les mêmes principes. D’où la nécessité de trouver des interfaces pour faciliter le transfert de l’un à l’autre et tenter, dans la mesure du possible, d’atténuer les conséquences de la rupture de charge.
Le premier problème auquel est confronté le passager détenteur d’un billet combinant un pré acheminement ou un post acheminement par train et un vol international est d’échanger, en gare, son coupon de vol émis lors de l’achat contre un billet TGV. Le passager doit se présenter avec son billet d’avion au guichet TGV Air de sa gare de départ, vingt minutes avant le départ du TGV. Un agent échange une partie du billet d’avion contre un billet de train sans tarif pour le segment TGV. Dans les gares, un guichet est dédié aux voyageurs aériens afin de faciliter cette démarche. Pour Gilles Talec (United), » vingt minutes, ce n’est rien à côté du temps nécessaire à l’enregistrement pour l’avion « .
Toutefois, en cas de changement d’horaire ou d’imprévus, le passager doit s’adresser soit à la compagnie aérienne, soit à l’agence de voyage qui a émis le billet d’avion. Celui-ci émis par le guichet TGV Air en contrepartie du coupon de vol n’est ni échangeable, ni remboursable pour le passager.
Cette procédure qui n’est pas complexe en soit, doit toutefois être clairement détaillée au passager lors de l’achat du billet. Par ailleurs, actuellement, seule Air France offre la possibilité aux passagers d’un enregistrement de bout en bout. Quant au problème de l’enregistrement des bagages, il demeure entier.
Il n’est pas possible d’enregistrer les bagages sur l’ensemble du trajet. Le transfert entre le train et l’avion demeure à la charge du passager. En 1998, Air France a mené une expérimentation en gare de Lille-Europe pour offrir à ses clients la possibilité de faire enregistrer leurs bagages au départ de Lille et jusqu’à la destination finale assurée par Air France via Roissy. » Au cours de cette période de cinq mois, 1500 bagages ont ainsi été pris en charge dès l’arrivée en gare des clients, mais le prix de revient de ce service, de l’ordre, à l’époque de 500 F par bagage soit environ 75 euros n’a pas permis aux deux compagnies de le pérenniser malgré la satisfaction exprimée par la clientèle « , explique Air France.
Si la compagnie française à » temporairement » renoncé, en revanche, SN Brussels Airlines en a fait une condition sine qua non lorsqu’en décembre dernier elle a décidé de substituer Thalys à sa desserte aérienne sur l’axe Paris-Bruxelles. La solution mise en œuvre démontre à elle seule toute la complexité du problème.
Au départ de Paris, les passagers qui souhaitent pré enregistrer leurs bagages doivent venir les déposer en gare, la veille. Deux raisons essentielles imposent une telle organisation. La première est liée aux infrastructures. Contrairement à un aéroport, une gare n’est pas une zone sécurisée. C’est un lieu public où il est possible d’aller et venir librement. Le train ne veut pas renoncer à la possibilité qu’il offre aux passagers de se présenter jusqu’à l’heure de départ. » La nécessité de l’enregistrement est vécue comme un handicap qui ne va pas dans le sens du progrès « , souligne Yves Davisse (Thalys International). Vouloir y remédier entraînerait également des investissements sur les infrastructures d’autant plus importants que la place manque dans les bâtiments existants. Pour les passagers de SNBA, le pré-enregistrement des bagages est effectué, non pas dans l’enceinte de la gare, mais dans un bâtiment annexe de la Sernam.
La seconde raison est liée à la capacité limitée d’emport offerte par le train. Les compartiments bagages des rames sont modestes et en aucune manière adaptée au volume des bagages des voyageurs aériens, d’autant que le trafic de cette ligne est essentiellement ethnique, à destination de l’Afrique noire. La solution passe donc par le transport des bagages par la route, au cours de la nuit.
Si le problème du transfert des bagages reste à résoudre, les professionnels se refusent à admettre pour autant qu’il constitue un frein au développement de la bimodalité. » Nous considérions la rupture de charge comme un frein si nous n’avions pas 10.000 clients qui nous font confiance. Quand on aura résolu le problème des bagages la bimodalité sera un must, mais nous n’en sommes pas encore là. La rupture de charge est acceptée par notre clientèle, même par les hommes d’affaires qui sont pourtant très exigeants et veulent se simplifier le voyage au maximum « , affirme Gilles Talec (United). » Comment font les passagers qui ne voyagent pas avec le TGV Air ? » interroge ironiquement Patrick Alonso (American Airlines). Toutefois pour atténuer les effets négatifs, Air France, par exemple, a mis en place un accueil à Roissy où un bagagiste aide au chargement et au déchargement des bagages.
En dépit de ces freins, il apparaît que la clé du développement de la bimodalité Train-Avion est l’implantation de gares à l’intérieur des grands aéroports afin d’optimiser les connexions. Le succès de la formule réside à ce niveau. Le train y travaille à l’échelle de l’Europe. » C’est parce que Thalys arrive désormais dans l’aéroport de Bruxelles que nous avons pu substituer le train à l’avion entre Paris et Zaventem « , souligne Herman Carpentier (SNBA).
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