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Categories: Transport Aérien

Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia

Published by
Gil Roy

Le rapport d’enquête sur l’accident survenu à un A320 d’Air Asia, le 28 décembre 2014, met en lumière une défaillance de la maintenance de la compagnie indonésienne ainsi que la perte de contrôle de l’avion en croisière par les deux pilotes.


On le fait tous. Quand son ordinateur, sa tablette ou même son smartphone bugue, on l’éteint, et en général, cela suffit pour résoudre le problème, jusqu’à la prochaine fois. C’est exactement ce qu’a fait le commandant de bord de l’A320 d’Air Asia qui s’est perdu en mer, entre Surabaya (Indonésie) et Singapour, le 28 décembre 2014. A trois reprises, il a effectué un « reset », une réinitialisation du système de contrôle électronique de la gouverne de direction (RTLU ou Rudder Travel Limiter Units). C’est ce que met en lumière le rapport final du bureau d’enquête indonésien.

When the aircraft was cruising, there were three master caution activations associated with Rudder Travel Limiter Units (RTLU) and the amber ECAM messages “AUTO FLT RUD TRV LIM SYS” between 2301 and 2313:41 and the pilots performed the ECAM actions and the system returned to function normally.

Alors que la même action avait réussi à trois reprises précédemment, lorsque le problème se posera à nouveau, le simple reset ne fonctionnant pas, le commandant de bord va quitter son siège pour aller actionner un disjoncteur comme lui avait montré, un mécano au sol, trois jours plus tôt. Cette quatrième tentative entraînera la perte de l’avion et de ses occupants. En tentant de réinitialiser le système, le commandant de bord désengagera involontairement le pilote automatique et le contrôle automatique de poussée des moteurs. Le copilote qui était alors aux commandes sera surpris. Il perdra le contrôle de la trajectoire.

Le rapport d’enquête précise que l’A320 s’est incliné de 54° à gauche et son taux de montée a atteint 11.000 ft/mn. L’alarme de décrochage a retenti dans le cockpit. L’inclinaison atteindra 104° à gauche. Le commandant de bord regagnera avec peine son siège. Il reprendra les commandes sans l’annoncer. Les deux pilotes auront des actions opposées en butée : le commandant de bord pousse son mini-manche quand le copilote le tire.

L’A320 était à 38.500 ft d’altitude quand il a décroché. Les pilotes parviendront à remettre les ailes quasiment horizontales vers 29.000 ft alors que l’avion chute à 20.000 ft/mn, mais avec une forte incidence positive de 40°.

At approximately 29,000 feet the aircraft attitude was wings level with pitch and roll angles of approximately zero with the airspeed varied between 100 and 160 knots. The Angle of Attack (AOA) was almost constant at approximately 40° up and the stall warning continued until the end of recording. The aircraft then lost altitude with an average rate of 12,000 feet per minute until the end of the recording.

L’enchaînement des faits et surtout l’action inappropriée de l’équipage qui ne parvient pas à récupérer le décrochage qu’il a provoqué rappelle évidemment le vol AF447 Rio-Paris. C’est une des causes de l’accident. Mais le rapport met aussi à évidence les défaillances de la maintenance d’Air Asia.

Au cours de l’année 2014, à 23 reprises, des équipages ont déclaré le problème lié au système de contrôle électronique de la gouverne de direction. Les enquêteurs détermineront qu’il s’agissait d’une soudure défectueuse sur une carte électronique située au sommet de la dérive. Il semble que la réinitialisation du système ait été la seule réponse des mécanos alors que dans le cas de pannes intermittentes comme celle-ci, il est recommandé de changer l’équipement à la troisième défaillance. Une suite de reset qui au bout d’un an s’est soldée par une catastrophe. Il faut savoir aussi, que cette panne n’empêchait pas de poursuivre le vol et que le reset n’était pas nécessaire.

Cet accident qui au final a causé la mort de 162 passagers et membres d’équipage met en lumière les carences du système de formation des pilotes et les défaillances de la maintenance. Le recadrage sera d’autant plus complexe qu’Air Asia doit gérer une forte croissance. Elle met en ligne en moyenne un nouvel avion par mois. Au total, elle a commandé 475 A320.

Le décrochage ne se produit pas qu’en vol…

Gil Roy

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Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

View Comments

  • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
    La preuve qu'il y a des problèmes de conception des Airbus sur la non conjugaison des mini manches, l'immobilité des manettes des gaz, les lois de pilotages avec le trim automatique, le déroulement de trim à piquer à l'arrondi, les événements de deep stall alors que ces avions sont censés ne pas pouvoir décrocher est simplement l'existence de débats sur ces sujets essentiels à la sécurité. On parle là de l'aptitude d'un avion à voler normalement.

  • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
    Il y a quelque chose que je ne comprends pas : comment peut-on avoir une inclinaison de 104 °, alors qu'elle est par définition maximale à 90° ? Ou même de 54° avec un tel taux de montée alors que l'appareil devrait décrocher ? S'agit-il d'une autre référence de mesure que l'angle entre le plan moyen des ailes et l'horizon ?

  • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
    Peut être que le "slave / master " au sujet des mini manches pourrait résoudre une partie du problème , je reste quand même persuadé que les commandes de vol électriques ont sauvé beaucoup plus de monde qu'elles n'en ont tué . L'entrainement au décrochage ou bien souvent il suffit de laisser faire l'appareil pour s'en sortir et pendant ce temps là au pilote de réfléchir devrait faire l'objet d'une attention toute particulière peut être un peu oubliée ces derniers temps .

  • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
    Après le match Airbus contre Boeing sur les manches, le match pilotes contre ingénieurs refait surface. Prenons garde tout de même de ne pas incriminer des décisions de design prises il y a plus de trente ans, qui ont largement contribué à l'amélioration de la sécurité des vols ... avec comme effet néfaste collatéral, la diminution - certes exceptionnelle - mais constatée lors de tels drames, du niveau d'entraînement et de précaution des équipages de conduite.
    Les deux populations ne sont d'ailleurs pas si séparées qu'on veut bien le dire. Beaucoup de "pilotes - ingénieurs" ont pris part aux choix d'architecture qui ont été mis en oeuvres par beaucoup "d'ingénieurs - pilotes".
    S'Il est légitime de rapprocher AF447 de QZ8501 en raison du point commun (sortie du domaine de vol en croisière et incapacité de l'équipage à récupérer cette situation), on peut aussi les rapprocher par l'enchaînement ayant abouti à la sortie du domaine de vol. Dans les deux cas en effet, on trouve à l'origine une défaillance matérielle banale n'entraînant pas par elle même de perte de contrôlabilité de l'appareil, mais hélas suivie d'une réaction inappropriée. La différence entre les deux cas réside dans la cause du dégagement du PA qui peut être considéré comme l'événement précurseur de la sortie du domaine de vol.
    Dans le premier cas, il découle directement de la défaillance fonctionnelle initiale (temporaire mais simultanée) de plusieurs sondes anémométriques, dans le second en revanche, il n'est que la conséquence de "quasi-pannes" injectées successivement dans le système par l'ensemble des actions inappropriées sur les breakers .

  • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
    @Jean-Marie : c'est bien le problème ! ces définitions ont un défaut qui apparaît dans la phrase suivante : "la sécurité aérienne rend les avions plus surs tandis que la sureté les sécurise". Il y a des gens que ça ne gêne pas ... ce n'est pas mon cas.
    Puisqu'on en est aux digressions sémantiques:
    Les vieux pilotes que j'ai côtoyé dans mon jeune temps appelaient affectueusement leur machine "le piège". Il y avait là dedans un mélange d'ironie espiègle mêlée de crainte respectueuse. Cela contribuait à créer un état d'esprit suspicieux vis à vis des surprises toujours possibles. A tout moment il fallait s'attendre à quelque chose et lorsque cela se produisait, une fois le problème traité, rester concentré pour ne pas se faire avoir par la blague suivante.Les "bons pilotes" ne faisaient pas forcément les vieux pilotes mais les plus "paranos" d'entre eux avaient peut-être quelques chances supplémentaires d'y parvenir. La conduite de la machine consistait alors tout autant dans une série de choses à faire absolument (ces choses étaient dans les check lists et les memory items) ... et d'autres à ne surtout pas faire qui faisaient partie de la culture ambiante alimentée par le retour d'expérience.
    Beaucoup de choses ont changé et ... c'est d'abord une bonne chose, les avions sont devenus intrinsèquement plus fiables tout en possédant davantage de redondance sur leurs systèmes critiques.
    Moins de crainte et de sueurs froides entrent dans la fabrication de la culture qui se construit désormais essentiellement au simulateur ... plus vite, trop peut-être. La crainte respectueuse s'est trop rapidement évanouie et pourtant le "piège" est toujours là. Il s'est juste un peu déplacé et des accidents dus à l'excès de confiance sont désormais possibles. Des sources d'information non officielles entrent semble-t-il sans inhibition dans les pratiques des équipages un peu comme des "codes de triche" circulent sur les forum de joueurs connectés. On agit sur un avion virtuel qui correspond à l'image qu'on s'en fait et on oublie que le système est plus complexe qu'il ne parait.

    • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
      Tout a fait d'accord.
      Mon instructeur CAP 10 (un ancien intructeur Armee de l'Air) me disait toujours: " un bon pilote, c'est un pilote qui devient vieux".
      Avec lui, pas question de voltiger avec meme un peu de carburant dans le reservoir de convoyage.
      Aujourd'hui a force d'entendre que les avions ne peuvent pas deccrocher (mais si puisque les ingenieurs ont presque(?) tout prevu), les pilotes se reposent inconsciement sur les systemes mis a leur disposition.
      Pour preuve, peu avant le deccrochage du AF447, le copi a fait une remarque du style :" heureusement que nous sommes dans un A330".
      C'est vrai le A330 est une merveilleuse machine, mais c'est une machine qui ne contourne pas les lois de la dynamique du vol quand elle sort de son domaine de vol.

  • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
    Christian, Flight Safety se traduit par sécurité aérienne, dans le but d'éviter ce qui est involontaire, comme les accidents.
    Par contre Security se traduit par sûreté, qui a pour but d'éviter des actes volontaires, détournement, attentats, vols etc...
    La Sûreté de l'Etat chez nous. National Security Agency aux States.
    En ces temps troublés, presque tout le monde se trompe en parlant erronément de sécurité.
    Attention aux pièges des faux amis!

  • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
    On a le droit de penser ce qu'on veut des mini manches ... C'est une opinion, et comme toutes elle est respectable. Mais de là à en faire le procès à cette occasion, c'est me semble-t-il aller trop loin ou voir le problème sous un angle un peu biaisé. Dans cette affaire savoir si une colonne traditionnelle ou des manches conjugués auraient permis à cet équipage de sauver l'avion et ses passagers est tout simplement indécidable ... C'est donc là encore une opinion. L'architecture des commandes de vol électriques avec mini manches présente l'inconvénient d'une interface homme-machine potentiellement contre intuitive dit-on .... mais ne faut-il pas plutôt ici se méfier du pilotage "à l'intuition" (un avion n'est pas un smartphone). En revanche, cette architecture apporte des avantages en terme de "safety" (pardon pour l'anglicisme mais je ne connais pas de terme français réellement équivalent). Je continue de croire que des dispositifs additionnels couplant les deux manches comme c'est suggéré, ne feraient qu' ajouter leurs modes de défaillance au système et que ceux là seraient redoutables entre tous. Jean Delemontez disait "ce qu'on ne met pas dans l'avion, ça ne coûte rien, ça ne pèse rien et ça ne tombe pas en panne" . C'est valable pour les liners aussi. Encore faut-il que les avions soient exploités dans le cadre de leur certification tant par les équipes de maintenance que les équipages de conduite. Quand un événement vraiment impondérable survient, il est rassurant de pouvoir compter sur un Sullenberger ou un Crespigny mais dans ces cas emblématiques les choix décisifs ont été cohérents avec les procédures.

  • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
    Y'a peut-être une solution simple pour informer l'autre pilote qu'on a pris les commandes et ainsi éviter des effets contraires désastreux qui pourraient nuire à l'image d'Airbus. Je prends un bon avocat et on en parle...

    • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
      Dans ce cas particulier, il y a simplement l'annonce qui devrait obligatoirement être faite (Cf FCOM Airbus) par le pilote qui prend les commandes: "I have control".

      DC

  • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
    La protection de l'incidence qui disparaît , l'équipage qui rentre dans une zone inconnue ...restent donc une cause d'accident que l'on voudrait voir disparaître.

    La zone inconnue "wing level, pitch 0°, AOA 40 °, Vz 11 000ft/mn " , si on croit le texte , n'est pas un décrochage classique, mais un décrochage profond . Un airliner Boeing ou AIRBUS n'a pas les commandes de vol pour sortir de cette zone.

  • Un reset hasardeux à l’origine du crash de l’A320 Air Asia
    Pas à s'inquiéter, la prochaine génération d'avion n'aura plus de pilotes à bord, des tas de problèmes de cette nature seront réglés, masse salariale réduite, meilleure régularité, plus de profits .... O' Leary, qui en rêve, s'en frotte les mains d'avance ..
    ...
    "Dans les usin's y'a plus personne
    Ça fait plus net quand midi sonne
    Et qu' miss robot dans' la polka
    Y'a des boulons électroniques
    Qui s' viss'nt tout seuls c'est fantastique
    Et qui vont pas au syndicat"
    ..
    Léo Ferré.

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