Des vols à rallonge pour rejoindre l’Asie

La fermeture de l’espace aérien pour les compagnies aériennes des 27 pays de l’Union Européenne, et une demi-douzaine d’autres, entrainent de lourdes conséquences en termes opérationnels. Le contournement de la Russie génère une augmentation des temps de vol et des coûts supplémentaires pour des compagnies déjà affaiblies par deux ans de pandémie.

En temps normal, des centaines de vols en route vers l’Asie transitent quotidiennement par l’espace aérien russe.  Selon Eurocontrol, à elles seules, les compagnies européennes opéraient 90 vols, quotidiennement, au-dessus du plus vaste État de la planète, avant le conflit en Ukraine. Pour les compagnies britanniques, c’était environ une douzaine de vols quotidiens.

Routes directes

Depuis l’Europe, les vols empruntaient les routes les plus directes : « Les routes sont calculées sur le principe de l’orthodromie », rappelle un pilote-enseignant à l’ENAC (École Nationale de l’Aviation Civile). « C’est-à-dire la distance la plus courte qui sépare deux points sur une sphère ». C’est ainsi que pour des vols vers Tokyo, Pékin ou Séoul, au départ de Londres, Frankfurt ou Paris, les routes les plus directes survolaient en grande partie le Nord du territoire Russe et la Sibérie.

Avant la guerre, le vol Air France reliant Paris-CDG à Tokyo-Narita mettait environ 11 heures en moyenne. Une route Nord-Est pour longer les côtes baltes puis la Russie avec la région de St Pétersbourg comme porte d’entrée. C’est à peu près la même route suivie par les autres opérateurs européens comme Swiss au départ de Zurich en passant d’abord par l’Allemagne.

Pour d’autres destinations, comme Pékin, les avions de Lufthansa quittaient Frankfurt pour tracer une ligne quasi droite jusqu’à la Chine à travers la Russie avec une durée de vol d’environ 8h30 à 9h00 selon les vents. A plus grande échelle, le vol direct de Delhi à New-York opéré par United Airlines (bannie elle aussi du ciel Russe) illustrait bien lui aussi le principe d’orthodromie en passant par le Groenland pour redescendre vers les Etats-Unis en environ 14h30 de vol…

Routes d’évitement

« De Paris à Séoul… Une route via Luxembourg, Allemagne, Autriche, Croatie, Serbie, Bulgarie, Géorgie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Chine et Corée… Coucher de soleil en longeant la Suisse. Une nouvelle route… pour rejoindre la Corée du Sud ! »

C’est ce que relatait un pilote d’Air France sur son compte Linkedin il y a quelques jours. Son vol vers Seoul a duré 11h40 « contre 11 H en moyenne ». En fait, pour rejoindre la Chine, la Corée ou le Japon, Air France, British Airways, Lufthansa ou Swiss vont toutes converger vers la Mer Noire avant de poursuivre plein Est vers le Kazakhstan et la Mongolie et donc des temps de vols rallongés… La route retour est similaire.

En revanche, l’Allemande Lufthansa doit désormais composer avec plus de 10H de vol pour un Frankfurt-Pékin alors qu’Air China, toujours autorisée à survoler la Russie, reste autour des 8h30. De même, sur un Séoul-Paris, Air France dépasse désormais les 13h30 de vol. C’est en moyenne deux de plus que la route normale toujours empruntée par Korean Air…

Finnair, jusque-là avantagée par sa position géographique pour rejoindre le Japon en moins de 9H de vol, doit désormais relier Helsinki à Tokyo avec une rallonge de 2.137 NM (Nautical Miles) soit 3.960 KM et 5 heures de vol supplémentaires selon les données d’Eurocontrol. Pour rejoindre Pékin, ce sera 1.729 NM (3.200 KM) supplémentaires. Shanghai et Séoul passerons à 12H et 14H de vol. Finnair contourne l’Ukraine à l’Ouest par la Pologne et la Roumanie pour rejoindre, elle aussi, la route de la Mer Noire.

« Les deux routes contournent l’espace aérien russe par le sud. » précise la compagnie. « Le vol retour de Séoul à destination d’Helsinki peut également emprunter la route du nord. » En d’autres termes, le vol retour remonte à l’Ouest vers l’Alaska et le Groenland pour redescendre vers la Finlande. Une route alternative insolite de nos jours, réalisée aussi par Japan Airlines de Tokyo à Londres…

« Éviter l’espace aérien russe sur les vols entre l’Europe et l’Asie a des conséquences considérables sur les temps de vol, impactant ainsi les coûts de carburant, de personnel et de navigation. » (Finnair)

Équipages renforcés

Ces temps de vol augmentés peuvent nécessiter de renforcer l’équipage et impliquer de passer de trois à quatre pilotes, comme pour le Paris-Santiago avec ses plus de 15 heures de vol, en limitant éventuellement la charge offerte et donc le nombre de passagers que l’on peut embarquer selon le type d’avion. Sinon il faut faire escale en route…

Pour rappel, chez Air France, à partir d’un temps de vol de 9h30 (Block to Block) l’équipage passe à 3 pilotes (1 CDB et 2 OPL). Au-delà de 13h30, c’est un OPL de plus soit quatre pilotes dans le poste. « Mais cela dépend aussi de l’heure de départ et du nombre de fuseaux horaires traversés. Et des risques de dégagement à destination » nous précise un pilote.

Le 1^er mars 2022, un B777-300 d’Air France a réalisé un vol retour direct de Tokyo à Paris en 15h30. D’après Flight Radar, une étape à Budapest était prévue. « Ce vol devait sans doute être programmé avec une escale technique facultative et au point de décision ayant assez de carburant il a pu continuer sur CDG » souligne-t-il.

En effet, sur ce type de routes très longues les pilotes, afin d’optimiser la quantité de carburant au départ, prévoient un point de décision sur la route. A ce point soit il y a assez de carburant pour poursuivre à destination soit il faut se poser pour refaire un plein de carburant. « Le vol d’Air France a finalement continué… »

Plans de vols au millimètre

En préparant leurs vols, les pilotes se fient aux équipes de « Dispatch » des compagnies aériennes en charge notamment de gérer de nouvelles demandes d’autorisations de survols sur les territoires que traversent les routes alternatives.

Il faut aussi composer avec les zones à risque comme l’Afghanistan ou l’Iran et cela limite les chois de routes.

Il y a quelques jours, un autre vol Air France à destination de Séoul via Luxembourg, Allemagne, Autriche, Croatie, Serbie, Bulgarie, Géorgie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Chine et Corée, n’a obtenu son autorisation de survol de la Chine que 20 minutes avant le décollage. Le vol a finalement pu s’effectuer sans encombre.

Ces routes alternatives ont créées un véritable couloir entre l’Europe de l’Ouest et l’Asie particulièrement au dessus du Kazakhstan. L’ancienne république soviétique a vu tripler le nombre de vols traverser son territoire pour passer à 450 vols quotidiens…

Jérôme Bonnard