Le Falcon 7X fera sa première apparition officielle le 15 de ce mois, et son premier vol dans les semaines qui suivent. Avec ce nouveau triréacteur, Dassault est entré de plain-pied dans l’ère de l’entreprise virtuelle. Une révolution qui laisse sur place, non seulement les concurrents du constructeur, mais aussi les autorités chargées de la certification.
Les premiers essais en vol du Falcon 7X débutent prochainement. En fait, il apparaît qu’il s’agit moins d’essais que de vérifications. Les essais ont en effet été simulés au fur et à mesure du développement du projet et ils se sont révélés concluants. Sûr de son fait, le constructeur est d’ailleurs parvenu à faire l’économie de prototypes. Les trois avions impliqués dans le programme de certification sont les trois premiers appareils de série. A l’exception du numéro 1, ils sont déjà vendus et seront livrés à partir de fin 2006.
La puissance de Catia
Avec le 7X, Dassault fait entrer l’aéronautique dans l’ère virtuelle. Ce nouvel avion n’est évidemment pas le premier à avoir été conçu entièrement par ordinateur, mais de toute évidence, c’est la première fois qu’un constructeur va aussi loin dans la simulation. Il ne s’est d’ailleurs pas uniquement satisfait de faire l’impasse sur les prototypes, il n’a pas éprouvé, non plus, la nécessité d’en passer par des maquettes, ni même de l’outillage. Pas de brouillon. Le premier jet est le bon. Matrix n’est plus très loin.
En fait, le système qui est à l’origine de ce saut technologique s’appelle Catia. Il a été développé par Dassault, au milieu des années soixante-dix, pour ses propres besoins. D’emblée, les informaticiens et les ingénieurs maisons ont compris qu’avec ce logiciel de simulation ils venaient de créer un outil conceptuel révolutionnaire. La suite leur a donné raison puisque aujourd’hui, Catia est la référence universelle qui déborde très largement du cadre de l’aéronautique. La quasi totalité des avionneurs en sont équipés, à commencer par Airbus et Boeing (ce dernier l’utilisant dans son programme 7 E 7). Tous les constructeurs automobiles de la planète aussi. Au total plus de 65 000 utilisateurs à travers 80 pays.
Avec, ce logiciel, Dassault Systèmes qui le commercialise depuis 1981, est à l’industrie, ce que Microsoft est à l’informatique grand public. L’un comme l’autre sont incontournables et d’ailleurs, en novembre dernier, à l’occasion de la visite en France de Bill Gates, le patron de Microsoft, des accords ont été noués entre les deux Goliath.
Maquette numérique 3D
Dassault innove en continu. Malgré cela, à l’occasion du programme 7X, un pas de géant à tout de même été accompli. L’un des aspects les plus spectaculaire pour les non initiés est sans doute la possibilité offerte aux ingénieurs et techniciens équipés de lunettes 3D, de travailler sur une maquette numérique. Grâce à cet outil extraordinaire, tous les éléments qui composent l’avion ont pu être virtuellement démontés par des mécaniciens travaillant sur une image à l’échelle 1 de l’avion avant même que l’avion n’existe. Cela a permis, notamment, de vérifier que tous les systèmes étaient accessibles avant que leur définition finale ne soit gelée, aussi bien pour le montage que le démontage.
Cette étape visait à optimiser la maintenance et les réparations futures. Il y avait du Néo dans ces ingénieurs chaussés de lunettes 3D, évoluant à l’intérieur de l’avion virtuel, un avion que seuls eux pouvaient appréhender dans toutes ses dimensions.
Si tous les ingénieurs du monde travaillent sur Catia, seuls ceux de Dassault et de ses partenaires, ont poussé le logiciel aussi loin.
Le haut de gamme
Le 7X est le haut de gamme de la famille Falcon. Le projet a été dévoilé, en juin 2001, au salon du Bourget, sous le nom de code FNX. Avec une distance de franchissement de 5700 NM (10 556 km avec 8 passagers), il trouve sa place sur le créneau des avions d’affaires à long rayon d’action. Il est aussi le plus rapide avec une vitesse transsonique de Mach 0,90. Il présente également des plus en matière de performances. Il peut croiser à 51 000 pieds.
Il offre un plus grand confort à ses passagers. Outre un travail poussé sur l’ambiance lumineuse, le volume cabine est de 20% supérieur à celui du Falcon900EX, une référence en la matière. Le niveau sonore intérieur a été atténué par un travail sur l’aérodynamique et surtout la mise en œuvre de solutions originales (matelas multimatériaux, couches amortissantes viscoélasiques ou encore suspensions souples des moteurs).
L’altitude cabine a été abaissée, ce qui, en soi, n’est pas un mince problème. Vouloir maintenir une pression cabine équivalente à une altitude de 6000 pieds soit 2 000 mètres pour un avion volant en croisière à 51 000 pieds, soit plus de 15 000 mètres, est un réel défi technique. A noter au passage que le Falcon 7X volera dans un espace aérien quasiment désert, à des niveaux de vol largement supérieur à ceux des avions de ligne. C’est la garantie de gain de temps sur des voyages pouvant durer jusqu’à 12 heures, en utilisant des routes directes. Une possibilité renforcée par le fait que le 7X étant, comme les Falcon 50 et 900, un triréacteur, il échappe à la règle de l’ETOPS (Extended-range twin-engine operations) qui contraint les biréacteurs à suivre des itinéraires situés à un temps de vol donné (120, 180, 210 ou encore 240 minutes) d’un aérodrome de déroutement.
Ce nouvel avion a été dessiné pour relier, en directe, au départ de New York, l’Europe dans son intégralité, le Moyen-Orient et l’Amérique du sud. Ou encore, San Francisco, Tokyo ou Johannesburg-Le Bourget sans escale. Ses performances lui permettent d’utiliser des pistes de 1300 m de long seulement, ce qui lui ouvre un choix d’aérodromes dix fois supérieur à celui proposé par la ligne. Un argument de vente mis systématiquement en avant par l’aviation d’affaires.
Pour atteindre cet objectif de croisière rapide à haute altitude, mais aussi de décollage et d’atterrissage courts, une aile entièrement nouvelle a été redessinée. Elle présente une envergure supérieure de près de 6 mètres à celle du 900EX et surtout un plus grand allongement. Elle est également plus en flèche. C’est un véritable couteau.
Réunion de matière grise
Une fois les objectifs commerciaux du 7X fixés, Dassault a réalisé un casting à l’échelle de la planète pour recruter les meilleurs virtuoses dans chaque registre. Il est allé jusqu’à imposer à ses propres usines d’y participer. Puis, en septembre 2001, il a réuni ses partenaires industriels dans ses bureaux de Saint-Cloud, près de Paris.
Au final, 27 industriels sont associés au programme 7X. Ils entrent pour 40% dans la valeur du produit. A ce niveau d’excellence et surtout d’implication, il n’est plus possible de parler de sous-traitants, mais de véritables associés, en ce sens qu’ils ont été appelés à développer sur leurs fonds propres des systèmes et des solutions innovantes. Il ne s’agissait pas d’aller chercher sur une étagère un ensemble existant, ayant déjà fait ses preuves sur un autre avion, mais bien d’inventer quelque chose de nouveau. Chacun a dû se surpasser.
En septembre 2001, Dassault a donc réuni les équipes missionnées par ses 27 partenaires. Pendant 18 mois, plus de 400 ingénieurs venus de 7 pays différents ont travaillé ensemble à construire le Falcon 7X. Un véritable conclave. Chacun à son niveau a imaginé, conçu et mis au point, sa pièce ou son sous-ensemble en fonction de la place qu’elle ou qu’il allait occuper dans le mécano final. C’est la première fois dans l’histoire aéronautique et sans doute industrielle que l’interactivité a été poussée aussi loin. Chaque solution a ainsi pu être optimisée.
Bureau d’études virtuel
Ensuite, à l’automne 2002, lorsque l’esquisse a été achevée, les ingénieurs ont regagné leur bureau respectif pour aborder l’étape suivante de la conception détaillée en vue de la production. Ils ont néanmoins continué à travailler ensemble, en réseau, de la même manière, sur les mêmes outils et en partageant la même banque de données. Du plateau physique de Saint-Cloud, ils sont passés au plateau virtuel. 40 000 pièces détachées, 200 000 fixations et 25 kilomètres de câbles ont ainsi été mis au point de même que tous les systèmes et équipements sophistiqués qui font le Falcon 7X.
Ce travail en réseau, en temps réel, a été rendu possible grâce à Enovia, système informatique également développé par Dassault Systèmes qui permet de réaliser des mises à jour quotidiennes des bases de données, là où avant, ces réactualisations n’étaient opérées que tous les deux mois. Avec Enovia, où que soit situé le bureau d’études ou l’atelier, les ingénieurs et techniciens possèdent le même niveau d’information que l’équipe du constructeur qui coordonne le programme, à Saint-Cloud. Plus de 1000 ingénieurs ont ainsi pu travailler en réseau.
Catia, associé à Enovia et Delmia, constitue ce que Dassault Systèmes a baptisé PLM pour Product Lifecycle Management. Le tout en un. Un kit informatique qui permet de concevoir un avion, de définir dans le détail les dizaines de milliers d’éléments qui le constituent, de mettre au point le process industriel, de gérer l’assemblage final et d’anticiper la maintenance future pour les trente ans à venir. Le tout à partir d’une maquette numérique et d’une base de données unique. Dans la mesure où le 7X tiendra ses promesses (ce dont, chez Dassault, tout le monde est convaincu), PLM devrait s’imposer comme un standard. Dassault fait d’une pierre deux coups, même si le nouvel avion ne manquera pas de voler la vedette au logiciel.
Bon du premier coup
La performance du concept PLM s’est véritablement révélée au moment de l’assemblage. Les différents éléments qui composent le nouveau triréacteur ont été expédiés vers l’usine Charles Lindbergh, située sur l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, construite spécialement pour le 7X. Des éléments fabriqués à des milliers de kilomètres les uns des autres se sont ajustés, les une ou autres, avec une précision parfaite. Ce qui fait dire aux techniciens de Dassault que le niveau de perfection du premier avion sorti de la chaîne de montage est identique à celui du centième. Ils font également remarquer qu’auparavant, il fallait compter trois à quatre fois plus de temps pour assembler les premiers appareils de série, que le cinquantième. Aujourd’hui, il n’y a plus de différence.
Auparavant, jusqu’au vingtième appareil de série, des modifications pouvaient intervenir. Il fallait les faire remonter aux sous-traitants. Désormais, tout est bon d’entrée de jeu. A terme, cela signifie aussi la disparition des ajusteurs. Dassault a conscience que la physionomie sociale de la société est appelée à évoluer.
Les équipes chargées de l’assemblage final des Falcon 7X ont à leur disposition des ardoises magiques Hewlett Packard. Ces écrans tactiles qui ont approximativement la taille d’une feuille A4 contiennent la base de données de l’avion. Quand un technicien doit intervenir sur un élément du 7X, il zoome sur son emplacement dans l’avion. Il le visualise sous tous les angles. Il peut obtenir sa nomenclature détaillée. En fait il dispose des mêmes informations que toutes les personnes qui ont à intervenir à un niveau ou un autre dans la conception, l’élaboration, la fabrication, l’assemblage ou la maintenance, à Mérignac, comme n’importe où ailleurs dans le monde. En fait, cette ardoise magique contient la maquette numérique du Falcon 7X, le secret du montage sans outillage.
Premier vol au printemps 2005
Une cinquantaine d’appareils ont déjà été vendus. Les clients de ce magnifique avion à 37 millions de dollars ont eux aussi accès à la maquette numérique pour choisir la couleur du cuir des fauteuils, les vasques du cabinet de toilettes, ou encore la vaisselle. Ces moyens de simulations qui permettent de personnaliser une cabine ont aussi permis au constructeur de s’engager vis-à-vis de ces mêmes clients sur les performances de l’avion. C’est aussi avec de tels outils que Dassault s’était également engagé sur la signature radar du Rafale. Les tests en vraie grandeur sur le terrain d’opérations ont confirmé.
Dans les semaines à venir, les pilotes d’essais vont devoir confirmer les uns après les autres les résultats obtenus par les ordinateurs. Ils n’ont pas attendu le premier vol programmé le mois prochain pour entrer en scène.
Pendant plusieurs mois, en simulateur, ils ont participé à la mise au point des commandes de vol électriques. Dans les prochaines semaines, ils auront la délicate mission de faire décoller pour la première fois un Falcon 7X, et même si les ingénieurs affirment que le N°1 de série est en tout point identique au N°100, ce sera tout de même aux pilotes d’essais d’aller le vérifier dans le ciel d’Aquitaine.
Gil Roy
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